Australie : Plantes Carnivores en liberté
(2ème partie)



1ère partie
(Serge Lavayssière)
précédemment paru dans le bulletin nº35 de Dionée

3ème partie


SOMMAIRE


A deux pas de Perth

Nicholson Road
Kenwick


Cohunu Koala Park

Albany Highway






A deux pas de Perth


Nicholson Road
Notre deuxième étape avec Mark Stuart, Robert Gibson et James Fielder, se situait dans la banlieue de Perth.


Entre l'océan Indien et la chaîne de la Darling Range, s'étend la "Sandy Coastal Plain" (plaine côtière sableuse), une longue bande d'une vingtaine de km de large. Le sol y est essentiellement constitué d'un sable fin, siliceux, blanc, que les Australiens nomment "silver sand" (sable argenté), comparable à notre sable dit "de Fontainebleau" ou a une terre de bruyère fortement sableuse. Cette couche superficielle, plus ou moins épaisse, recouvre un sous sol argileux, imperméable. Selon l'épaisseur de la couche de sable, l'eau de pluie s'infiltre ou affleure, créant ainsi différents biotopes qui seront l'habitat de plantes différentes.


Dans la liste des espèces que nous souhaitions voir, Byblis gigantea figurait bien évidemment en tête. Mark nous avait expliqué que nous risquions d'être un peu déçus, car, lors de sa dernière visite quelques semaines plus tôt, les nouvelles tiges commençaient à peine à émerger. Cette espèce en effet a un cycle végétatif assez tardif. La croissance ne reprend qu'au coeur de l'hiver (et non pas dès les premières pluies comme pour les DROSERA), la floraison et la fructification ne se produisant qu'en saison chaude (et sèche), les DROSERA étant depuis longtemps en dormance. Cependant, le simple fait de visiter le biotope de cette "Rainbow Plant" (plante arc-en-ciel) nous remplissait d'impatience, comment pourrions-nous être déçus ?


Alors qu'une pluie fine commençait à tomber, nous arrivions dans une zone franchement urbanisée. Finis les décors de forêt sauvage de la Darling Range ! La route était de part en part bordée de centres commerciaux, station services, quartiers résidentiels, séparés par ce que nous appellerions chez nous des terrains vagues. C'est à peine à 8km du centre de Perth, sur Nicholson Road, en bordure d'un ces terrains vagues que Mark se gara et nous indiqua que nous étions arrivés.
La végétation arbustive correspondait à ce qui serait chez nous une lande à genêts et à bruyères : quelques arbres (Eucalyptus sp.), des CYCAS, des buissons de Proteacées ou de Myrtacées ainsi qu'une couche herbacée éparse au feuillage souvent coriace. Le sable n'est qu'à peine humide, la couche imperméable semblant à cette endroit assez profonde.


Nous serions facilement passés à côté du but de notre étape, si Mark ne nous avait montré ces touffes d'herbes (blasphème!!!) sèches, montant à 60cm de haut, avec de jeunes feuilles de seulement 15cm au pied. Nous avancerons comme excuse cette pluie qui masquait les gouttelettes collantes couvrant toutes les parties vivantes. Les anciennes capsules, avaient hélas depuis longtemps dispersé leurs graines.

Là, à moins de 50 mètres de la route, nous avons pu compter plus d'une vingtaine de plantes, mais déjà Mark nous entraînait un peu plus loin.
Bien que rien dans la végétation environnante ne semblait avoir changé, Byblis gigantea avait disparu, mais nous trouvâmes alors Drosera paleacea ssp paleacea, Drosera menziesii ssp menziesii ainsi que plusieurs colonies de Drosera erythrorhiza ssp erythrorhiza.


Drosera paleacea ssp paleacea


Cette forme est sans confusion possible bien différente de la sous-espèce collina et de la forme "Roleystone Red" (voir Dionée 34). Les plus gros spécimens ne dépassent guère 5cm de diamètre avec 5 feuilles, pour plus de 10cm et jusqu'à une dizaine de feuilles pour les formes de ssp collina. Le milieu est également radicalement différent : lande au sol sableux pour l'une, Jarrah Forest (forêt de Eucalyptus marginata) au sol latéritique pour l'autre. Drosera erythrorhiza ssp erythrorhiza forme des colonies très compactes, jusqu'à tapisser le sol sur plus d'un mètre carré. La multiplication végétative par tubercules secondaires est très efficace chez cette espèce.





Mark nous proposa alors une visite non loin de là, où il pensait pouvoir nous faire une surprise. Nous retournâmes donc à la voiture pour arriver sur un site assez semblable. Là, la fréquentation semblait plus importante comme en attestait la piste que nous prenions, piste au bord de laquelle de nombreux signes témoignaient de présence humaine : de nombreux détritus, vieilles machines à laver, réfrigérateurs, carrosseries de voitures et autres gâchaient vraiment le paysage. Grosse déception ! Etait-ce donc là la surprise promise, les Australiens ne sont-ils pas fortement sensibilisés aux problèmes écologiques ? Mark nous expliqua que ce site était sur le point d'être "aménagé" pour construire un centre commercial. Donc condamné pour condamné !!! C'est donc à cet endroit fort peu engageant, à quelques centaines de mètres de la route, que Mark gara son véhicule et nous engagea à descendre. En marchant au milieu de la végétation basse, sur ce sol très sableux, nous retrouvâmes plusieurs colonies de Drosera erythrorhiza ssp. erythrorhiza. Rien de bien nouveau, et Mark semblait chercher autre chose. Nous nous étions dispersés pour mieux fouiller ce site à la recherche de la surprise promise lorsque Mark, soudain, nous appela : à ses pieds une autre colonie de Drosera eryth...



Mais non ! de loin bien sûr, c'était la même chose, même taille, même couleur d'un vert pâle, mais une observation plus attentive révélait des rosettes aux nombreuses petites feuilles serrées, soigneusement emboîtées les unes contre les autres comme des écailles de poisson... La surprise était bien digne du détour : le mythique Drosera zonaria, présent par dizaines ! Hélas, très peu présentaient la couleur rougeâtre spécifique qui ne se développe que sur les rosettes âgées. Enfin, nous n'allions pas nous plaindre !


C'est malheureusement là le seul site connu de Mark où cette plante pousse. Il en existe quelques autres, mais lui n'en a jamais trouvé ailleurs. Autre particularité de cette espèce extrêmement rare : sa fleur n'a été vue que deux fois.


Kenwick
Notre prochaine étape, toujours dans la banlieue sud de Perth, devait être à Kenwick. Là, en face d'un quartier résidentiel, s'étend sur plusieurs hectares une lande humide. En bordure de la route, un fossé de drainage atteste de la présence d'argile à faible profondeur. Bien qu'il n'ait pas plu depuis plus d'une semaine, nous pataugions vite dans quelques centimètres d'eau, cachée par la végétation basse (analogue à nos bruyères).

Par endroits, émergeaient quelques "marguerites" aux pétales frangés de rose, surmontant une fine tige aux feuilles carnivores d'un vert jaune doré. Drosera heterophylla était abondant ici aussi, sur un sol bien différent de celui où nous l'avions vu pour la première fois à John Forest National Park (voir Dionée 34).

Au fur et à mesure de notre progression vers le centre de cette prairie humide, la végétation basse s'éclaircissait pour laisser place à quelques bancs de sable. Soudain Mark nous appela : à ses pieds, sur un de ces bancs de sable pur, quelques rosettes rougeâtres de Drosera tubaestylis baignaient dans l'eau. Alors que nous nous apprêtions à installer les trépieds des appareils photos, Mark nous conseilla de modérer notre impatience, le choix des sujets à immortaliser serait bien plus grand quelques centaines de mètres plus loin.
De là où nous étions, nous pouvions en effet voir miroiter au loin de plus vastes bancs de sable. A relever les yeux ainsi pour scruter l'horizon, je m'aperçus alors que brillaient dans un furtif rayon de soleil plusieurs dizaines de Drosera macrantha, dont les têtes émergeaient de la végétation basse.

Non pas groupées comme les espèces en rosettes, ces Droséras grimpants semblaient plutôt régulièrement éparpillés pour mieux occuper l'espace. Ce n'était cependant pas pour cette plante omniprésente que nous étions là, aussi, après avoir vérifié que quelle que soit la direction dans laquelle nous regardions (elles étaient tout de même bien plus visibles à contre-jour) nous pouvions en apercevoir plus de dix, nous continuâmes d'un pas de plus en plus excité vers ces étendues sableuses si riches de promesses.


Après quelques minutes, nous arrivions enfin. En effet, des centaines, des milliers (des millions ?) de rosettes, parfois isolées, parfois en groupes de quelques dizaines, étaient vraiment l'espèce dominante sur le sable pur. Et pourtant, ce ne furent pas ces Droseras qui attiraient le regard : image inoubliable, sur ce sable d'un blanc pur, de nombreuses petites fleurs rouge brillant dominaient de quelques centimètres de petites touffes vertes de feuilles serrées : Utricularia menziesii était en pleine floraison !
Jamais je n'avais vu "en chair et en os" cet Utriculaire aux moeurs si bizarres (c'est une espèce qui, habitant les même biotopes que certains Droséras tubéreux, a adopté la même adaptation qui consiste à passer la saison sèche sous la forme de tubercules dormants), je n'en connaissais que quelques photos qui m'avaient bien fait rêvé.


Depuis quelques années, un de mes terrarium en abritait bien un exemplaire, mais celui-ci avait bien du mal à grossir d'année en année (la touffe de feuilles ne dépassant pas 1,5cm pour le double ici), et bien sûr, jamais la moindre velléité de floraison. Et voilà qu'il me fallait (encore une fois) bien faire attention pour ne pas marcher dessus ! Là encore beaucoup d'enseignements à tirer de ces découvertes en milieu naturel.
Dès mon retour je m'empressai de rempoter mes Drosera tubaestylis et mon Utricularia menziesii dans un compost composé de sable presque pur (3 parts de sable pour une de tourbe) et les garde depuis bien plus immergés que d'autres espèces. J'ai eu l'espoir déçu, l'hiver suivant, de voir pousser une tige florale qui a malheureusement avorté quelques jours avant l'éclosion (notre hiver a été, de très loin, bien plus gris et sombre que l'hiver australien).


Comme quasiment partout en Western Australia, le sol se dessèche complètement en été et toutes ces plantes disparaissent, stockant leurs réserves dans un (ou plusieurs) tubercule souterrain. Drosera tubaestylis forme des petites boules oranges de moins d'un centimètre, réfugiées sous 3 à 4 centimètres de sable. Ces tubercules constituent un met de choix pour les lapins, abondants sur ce site sableux. Les tubercules d'Utricularia menziesii restent juste sous la surface du sol, en grappes, leur forme, leur couleur et leur taille rappelant fortement des grains de riz. Drosera macrantha et D. heterophylla ont eux des tubercules blanchâtres enterrés à 5 ou 6 centimètres de profondeur.


Lors de notre retour au véhicule, nous sommes tombés nez à nez avec un habitant des lieux, le "blue tongue lizard", Scinque à langue bleue. Très nonchalant, la seule défense de cet animal consiste à ouvrir la bouche et à exhiber sa langue d'une étrange couleur bleue. Nos intentions étant des plus pacifiques, cette "défense" s'avéra fort efficace puisqu'il en resta quitte pour une belle frayeur, rien de plus.


La nuit tombant, nous sommes tous rentrés partager un repas chaleureux au domicile de Mark. Une fois restaurés, Mark sortit un sac plastique d'une étagère et m'offrit un nombre impressionnant de graines diverses qui ont, j'espère, fait le bonheur de quelques-uns, par le biais de la Bourse de Graines. La journée avait été trop courte pour visiter tous les sites connus de Mark, aussi, nous passâmes une bonne heure penchés sur les cartes pour repérer quelques sites intéressants. Malgré son infinie gentillesse, je dois reprocher à Mark un débit verbal assez rapide qui, je l'avoue, me posa quelques problèmes ! Nous n'étions cependant pas ses seuls invités de ce jour et notre intérêt n'avait rien à envier à celui de Robert Gibson ou de James Fielder. Malgré tout, nous avions maintenant quelques repères pour effectuer seuls quelques balades prometteuses.


Cohunu Koala Park


Depuis notre arrivée en Australie, nous n'avions vu de kangourous que comme les hérissons chez nous : morts au bord des routes. Si les petits kangourous (wallabies, rats-kangourous) ont grandement souffert de l'introduction de prédateurs tels que chats et renards (beaucoup de ces petites espèces ont irrémédiablement disparu), les grands kangourous (gris et roux) prolifèrent, profitant des aménagements et des points d'eau installés par l'homme. Les accidents routiers sont nombreux, et heurter un kangourou de 80kg est sans commune mesure avec la rencontre d'un hérisson ! Dans notre hôtel, un dépliant invitait à visiter le Cohunu Koala Park, à 25km au sud-est de Perth, en plein coeur de la Darling Range. Si la visite du parc de 16 hectares où évoluent plusieurs exemplaires de la faune typique (kangourous, wallabies, émeus...) fut fort agréable, ce n'est pas vraiment le sujet de cet article... En rejoignant notre véhicule, nous aperçûmes de l'autre côté du parking une zone de forêt brûlée lors du précédent été. L'envie nous prit d'aller y jeter un coup d'oeil.

Toute cette colline de latérite rouge, aux troncs brûlés, renaissait de ses cendres : non seulement les graines de nombreux arbres et arbustes profitaient de l'espace récemment nettoyé par le feu, mais d'innombrables plantes herbacées fleurissaient abondamment afin que leurs graines aussi disposent d'espace et de lumière.



Prasophyllum sp.
Orchidées (Prasophyllum sp.dont les fleurs inversées ont un labelle orienté vers le haut, Cyanicula sp. se présentant comme de petites étoiles bleues à 10cm du sol, Thelymitra antennifera dont les pétales jaunes à l'intérieur sont rosâtres à l'extérieur) admirables, mais surtout Drosera stolonifera ssp porrecta en pleine floraison.


Cyanicula sp.
Les tiges émergeant verticalement du sol, portaient deux ou trois rosettes de feuilles carnivores avant de se ramifier en plusieurs branches, certaines ne portant que des feuilles, d'autres de nombreux bourgeons floraux dont les premiers s'épanouissaient. Les fleurs blanches, aux étamines jaunes, répandaient une forte odeur de miel.





Les tubercules rouges, assez profondément enterrés (15 à 20cm) commençaient déjà à se renouveler. En effet, à l'intérieur de l'ancienne enveloppe flétrie contenant encore une sorte de "purée" brunâtre, grossissaient les nouveaux, plus petits, rouges et bien fermes.



En observant de plus près le sol granuleux, nous découvrions de nombreuses rosettes de Droséras Pygmées, impossibles à identifier sans les fleurs, mais que je soupçonnais être Drosera hyperostigma.


Continuant notre promenade, nous arrivâmes sur un sentier qui longeait un ruisseau saisonnier, serpentant entre deux collines. Là, dans ces creux plus ombragés et plus humides, Drosera stolonifera se faisait plus rare, et était alors remplacé par Drosera erythrorhiza ssp collina. Comme souvent après le feu, une majorité de plantes présentaient des capsules de graines déjà mûres. De part en part, quelques exemplaires de l'omniprésent Drosera macrantha grimpaient à l'assaut des tronc calcinés (mais pas morts) des Eucalyptus marginata ou de quelques "Black Boys" (voir Dionée 34).


Albany Highway


Parmi l'un des sites indiqués par Mark, l'un se situait sur la Albany Highway, la route menant à Albany, à 450km au sud. S'il était bien prévu que nous y irions, ce n'était pas encore ce jour, plusieurs sites d'intérêt n'étant qu'à moins de 50km de Perth. Cette partie de la Darling Range est l'aire de répartition de Drosera erythrorhiza ssp squamosa, bien connue des collectionneurs pour la bande rouge foncé bordant ses feuilles. Mark nous avait bien indiqué un site, où nous devrions également trouver Drosera mannii, mais je n'étais pas sûr de bien avoir compris ses explications (et n'avais osé lui demandé de répéter une troisième fois !!!). Les repères à surveiller étaient une aire de repos, en bordure de la route, dont l'entrée devait être barrée par un tronc brûlé. Malheureusement, nous avions déjà parcouru près d'une centaine de kilomètres et aucune aire de pique-nique ne présentait cette barrière reconnaissable. Nous avons alors décidé de faire demi-tour. Erreur fatale : à cause mes automatismes de conducteurs français, ce n'est qu'une dizaine de minutes plus tard, face à un "road train" (camion tractant 3 remorques) que je me rappelais qu'en Australie, on conduit à gauche !


Enfin, nous arrivâmes tout de même sains et saufs à une aire de pique-nique où nous décidâmes e nous arrêter. Après une clairière et les inévitables barbecues, un chemin s'enfonçait plus avant dans la forêt. Inutile d'aller bien loin pour trouver les premiers Drosera erythrorhiza ssp squamosa, sur un tapis de feuilles mortes d'Eucalyptus marginata et de Banksia grandis. Aucun doute possible : des rosettes de 6 à 8cm, composées de 5 à 8 feuilles superbement bordées de rouge bordeaux. une grande diversité de formes apparaissait, certaines plantes présentant des feuilles presque rondes, d'autres pratiquement deux fois plus longues que larges. nous avons compte plus d'une dizaine de plantes irrégulièrement réparties juste en bordure du sentier. Quelques pas en sous-bois en révélèrent bien d'autres, certaines partiellement recouvertes de feuilles mortes.






Le sentier conduisait en contrebas, avant de remonter au flanc de la colline d'en bas. Là, dans le creux, la nature du sol différait, et de granuleux (latéritique) devenait plus riche, légèrement sableux (les eaux de ruissellement concentrent dans les creux sable et sédiments). Au milieu du chemin, sur ce sol humide et nu, nous trouvâmes quelques rosettes de Drosera rosulata (ou D. bulbosa ?) ainsi que quelques Pygmées qui pourraient bien être, comme Mark nous l'avait annoncé, Drosera mannii. Impossible, en l'absence de fleur, d'en avoir la certitude.




Drosera rosulata (?)


Drosera mannii


Drosera mannii


Drosera mannii