PINGUICULA MEDUSINA, Zamudio et Studnicka sp. nova :
Une nouvelle espèce gypsophile de l'état d'Oaxaca au Mexique.

(E.PARTRAT)
( d'après Acta Botanica Mexicana (2000), 53 : 67-74)


Une nouvelle espèce de grassette a été récemment décrite par les célèbres auteurs S. Zamudio Ruiz et M. Studnika. Elle provient du Mexique, sur des collines de gypse au lieu dit « Laguna Encantata », à 3km au nord de Santiago Juxtlahuaca dans l'état de Oaxaca. Il s'agit de Pinguicula medusina. Tous les amateurs de Pinguicula se réjouiront car pour une fois, il ne s'agit pas d'une plante lointaine et inaccessible dont on ne trouvera pas (voire jamais pour certaines !) d'exemplaires en culture : cette espèce est déjà cultivée en Europe sous le nom de Pinguicula heterophylla f. alfredae ou parfois dePinguicula alfredae.

Cette plante fut découverte par Alfred Lau en 1977 (d'où le nom original « alfredae » !) alors qu'il explorait une colline de gypse à la recherche de cactus. Alfred Lau collecta quelques individus de ce pinguicula et les expédia à plusieurs jardins botaniques européens. Les premières tentatives de culture furent infructueuses : les plantes envoyées au Jardin Botanique de l'Université de Charles à Prague pourrirent en peu de temps mais à Linz, en Autriche, ils réussirent à la cultiver et à la multiplier. Cela permit de la distribuer à d'autres endroits sous le nom superflu de Pinguicula 'alfredae' sans définir sa situation taxonomique exacte.

Van Marm et Lampard (1992) considérèrent à l'époque que le dilemme consistait à savoir si P. alfredae était une forme de Pinguicula heterophyllaou non. Ils conclurent à l'époque qu'ils ne disposaient pas de suffisamment de matériel pour se décider et qu'il était nécessaire de réaliser des études complémentaires sur le terrain en même temps que des études en serre. Entre 1998 et 1999, plusieurs expéditions eurent lieu dans l'état de Oaxaca à la recherche de populations de ces plantes en vue de collecter de nouveaux spécimens pour les étudier et lever ces doutes. En même temps, des études comparatives entre les deux espèces eurent lieu, au Jardin Botanique de Liberec en République Tchèque qui permirent de vérifier qu'il s'agissait bien de deux espèces différentes, qui se distinguaient par la morphologie de leurs fleurs, leur phénologie et leurs préférences écologiques.

Voici donc la description officielle de Pinguicula medusina Zamudio et Studnicka sp. nova



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Fig 1 : Pinguicula medusina. A. plante en fleur ; B. corolle vue de face ; C. vue postérieure de la corolle ; D. vue latérale de la corolle ; E. calice ; F. "rosette estivale" ; G. "rosette hivernale" ; H. série de "feuilles hivernales" ; I. feuilles transitoires ; J. "feuilles estivales" ; K. plantule sur l'extrémité de la feuille ; L. plantule développée ; M. poils du tube de la corolle.
Dessins de Rogelio Cardenas dans Acta Botanica Mexicana (2000), 53 : 67 74

Herba perennis. Folia radicala rosulata integerrima biformia ; « rosula hiemis » hypogaea 9-23mm longa, 9-20mm lata bulbiformis ex pluribus foliis numerosis (70-90) composita, foliis exterioribus squamiformibus lanceolatis vel anguste lanceolatis acutis vel acuminatis glabriusculis marginibus longe ciliatis 8-23mm longis 1.5-3.5mm latis, intimis similibus sed non ciliatis ; « rosula aestatis » 6-10 (12) foliis initio erecta basi longe ciliata superne glandulis sessilibus dense et glandulis stipitatis modice dense vestita, foliis exterioribus (transitionis) 2-3 (4)obovato-oblongis vel oblongo-lanceolatis obtusis vel acutiusculis 20-40mm longis 3-7.5mm latis, intimis longe lineari-lanceolatis gradatim in acumen tenue circinatum abeuntibus 70-190mm longis 1.5-3.5mm latis margine valde revolutis, gemmas in apicem formatibus. Pedunculi 1-3 erecti glandulis stipitatis obsiti 40-140mm alti uniflori. Flores 16-23mm longi (calcare incluso). Calyx bilabiatus extus glandulis stipitatis obsitus ; labium superum usque ad basim trilobum, lobis triangulatis, labium inferum bilobum lobis usque ad 2/3 longitudinis divisis, lobis triangulatis. Corolla subisoloba alba vel alba violaceo marginata extus glandulis stipitatis disperse obsita logis oblongis vel anguste-obovatis truncatis vel rotundatis 5-9mm longis 2.5-5mm latis. Tubus cylindricus sine palato albus vel violaceus ventraliter maculis flavovirentibus 6-9mm longus intus pilosus basin tubi versus pilis brevioribus irregulater capitatis. Calcar subcylindricum breve rotundatum 3-5mm longum, cum tubo subporrectum. Stamina +/- 2mm longa ; pollen (4)-5(6)-colporatum. Ovarium subglobosum glandulis stipitatis disperse obsitum. Stigma violaceum bilabiatum labio infero suborbiculato dentato alae angustae dentatae formans. Capsula subglobosa +/- 3mm diametro. Semina fusiformia +/- 1mm longa +/- 0.25mm lata, alveolata.

La floraison a lieu de fin mai à juillet. La rosette d'été apparaît vers la fin du mois de mai, par l'émission de 3 à 4 feuilles transitoires de forme obovale-oblongue à oblongue-lancéolée, plus courtes que les feuilles estivales et qui subsistent peu de temps. Les feuilles estivales apparaissent vers juillet jusqu'en novembre ou décembre quand se forme la « rosette hivernale ». Celle-ci est compacte, de la forme d'un bulbe et enterrée dans le sol. La plante est alors protégée par une carapace de feuilles sèches de consistance squameuse jusqu'au début du cycle suivant.

Les feuilles de la « rosette estivale » de cette nouvelle espèce sont érigées au début puis penchent jusqu'à toucher le sol à maturité. On note la formation de plantules à l'extrémité de ces feuilles permettant une multiplication végétative. Ces jeunes plantules se forment uniquement à l'extrémité supérieure des feuilles et produisent rapidement des racines leur permettant de s'ancrer dans le sol. Ces jeunes plantes cessent leur croissance pendant l'hiver, adoptant une période de latence leur permettant de supporter les températures et l'atmosphère sèche du site puis de continuer leur croissance quand l'humidité du sol redevient propice au printemps suivant.

Les auteurs de la description mentionnent que l'occurrence de ce type de mécanisme de propagation végétatif serait un cas unique dans le genre, puisqu'il n'est connu chez aucune autre espèce. La littérature mentionne la formation de bulbilles axillaires chez Pinguicula alpina L., P. grandiflora Lam.,P. longifolia Ram. Ex DC. et P. vulgaris L. tandis que chez d'autres comme P. calyptrata H.B.K., P. longifolia Ram. Ex DC., P. orchioides DC., et P. vallisneriifolia Webb., on mentionne la formation de stolons avec plantules. (Casper, 1966, Luhrs 1995, Zamudio, 1998).

Que penser alors de Pinguicula primuliflora qui forme également des plantules sur la partie extrême de ses feuilles ?

On rencontre la plante sur les pentes de collines de gypse, ombragées et humides avec une végétation de type «matorral rosetofilo» (steppe à végétaux aux feuilles en rosettes) et de bois tropicaux caducs en compagnie deBursera schlechtendalii, B. mirandae, Vallesia sp., Dasylirion sp. , Agavesp., entre 1600 et 1700m d'altitude.

A ce jour, on ne la connaît que de la localité type aux environs de la «Laguna Encatada» à +/- 3km au nord de Santiago Juxtlahuaca à Oaxaca.

Toute la difficulté était de différencier cette nouvelle espèce de P. heterophylla et de la classer en tant qu'espèce à part entière.

En 1992, Van Marm et Lampard ont noté que l'on trouvait, chez Pinguicula heterophylla et chez P. 'alfredae' (maintenant P. medusina) des feuilles linéaires érigées ressemblant à celles de Pinguicula gypsicola Brandegee. Cependant, les fleurs ayant une corolle subisolobe, un tube cylindrique et un éperon plus court que le tube, elle se situe plutôt dans la sectionHeterophyllum (sous-genre Isoloba) proposée par Casper (1966), plus éloignée de la section Orcheosanthus (Sous-genre Pinguicula) à laquelle appartient P. gypsicola. Cela suggère que la similitude de la forme des «feuilles estivales» chez ces plantes est le résultat d'une évolution convergente.

Pinguicula 'alfredae' (P. medusina) montre une forte ressemblance avecPinguicula heterophylla avec laquelle elle partage une majorité de caractères communs. Si des doutes pouvaient exister auparavant sur le fait que P. medusina pouvait être une variété de P. heretophylla ou une espèce indépendante (Van Marm et Lampard , 1992) car il semblait à première vue difficile de les séparer, il est maintenant clair qu'il existe en fait des différences marquées au niveau de la fleur et des habitats qu'elles occupent respectivement. En général, la fleur de Pinguicula medusina est un peu plus petite et mince que celle de Pinguicula heterophylla. La position des lobes de la corolle diffère notamment puisque chez Pinguicula heterophylla, ils se replient fortement, tandis que chez Pinguicula medusina, ce n'est pas le cas. Chez P. heterophylla, les lobes du labelle inférieur de la corolle sont obovale-oblongs, arrondis à l'extrémité et se chevauchent sur leur côté. ChezP. medusina, au contraire, ils sont oblongs et étroits, obovales, tronqués et arrondis à l'extrémité et ne se chevauchent pas. (Fig. 2).


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Fig. 2. Comparaison de la fleur de Pinguicula heterophylla A C et de Pinguicula medusina D F.
Dessins de Rogelio Cardenas dans Acta Botanica Mexicana (2000), 53 : 67 74

Le patron de coloration de la fleur est aussi différent : chez Pinguicula heterophylla, la corolle est de couleur lilas ou blanchâtre, avec une tache jaune-verdâtre sur la gorge et l'éperon est vert clair ; au contraire, chezPinguicula medusina la corolle est blanche ou blanche avec le bord des lobes de couleur lilas, le tube est blanc ou teint de violet avec une tache verte-jaunâtre sur la partie du bas et l'éperon est blanc.

Lorsque l'on cultive des individus des deux espèces sous des mêmes conditions, on observe des différences sur leur phénologie : P. heterophyllaprésente des fleurs de mai à début juin, pendant que surviennent les feuilles transitoires entre la «rosette d'hiver» et la «rosette estivale». Les feuilles d'été sont formées entre fin juin et fin octobre, où débute la formation de la «rosette hivernale», qui subsiste jusqu'en avril de l'année suivante. Pour sa part, chezPinguicula medusina, la période de floraison débute de début juin à début juillet, et comme dans le cas précédent, on note la présence de feuilles transitoires, qui se maintiennent jusqu'à mi-août. Les «feuilles estivales» se développent d'août à décembre, et c'est en janvier qu'à lieu la formation de la «rosette hivernale». Celle-ci subsiste jusqu'en juin de l'année suivante (tableau 1).


Tableau 1 : Différences dans la phénologie de Pinguicula medusina et Pinguicula heterophyllamaintenues dans des mêmes conditions de culture.

Dans la nature, les différentes étapes du cycle annuel entre les deux espèces est moins marqué qu'en culture, chez Pinguicula medusina la production de fleurs dure approximativement un mois et se concentre de fin mai à début juillet, et la formation de la rosette hivernale débute vers novembre. Au contraire, pour Pinguicula heterophylla, la floraison dure plus de trois mois (de mai à début août). Quelques différences ont été observées sur les «rosettes estivales» des plantes cultivées : avant le développement des feuilles linéaires-lancéolées, on note la présence de 2 à 3(4) feuilles transitoires chez Pinguicula medusina tandis que chez Pinguicula heterophylla, on peut en noter jusqu'à sept de ce type. Quand la «rosette estivale» atteint sa maturité, il peut y avoir jusqu'à 6 à 12 feuilles chez P. medusina et de 15 à 20 chez Pinguicula heterophylla. Une autre différence importante est la production de plantules chez Pinguicula medusina à l'extrémité des feuilles estivales, qui donnent naissance à de nouvelles plantes par reproduction végétative, tandis que chez Pinguicula heterophylla, ce phénomène n'a pas lieu.

On peut aussi observer des différences dans l'habitat qu'elles occupent : P. heterophylla a été collecté en forêt de chênes, en forêt de pins et en forêt mixte de chênes et de pins, poussant sur des sols de couleur rouge-café, provenant de roches volcaniques andésites ou de roches métamorphiques granitiques, à des altitudes entre 1500 et 3000 mètres, dans les états de Michoacan, Guerrero et Oaxaca. Pour sa part, P. medusina ne se rencontre que sur la localité type, sur des sites avec une végétation de type matorral rosetofilo ou de bois de caduques tropicaux, sur des sols sommaires issus de roches gypseuses, entre 1600 et 1700m.

Il est probable que P. medusina et P. heterophylla possèdent un ancêtre commun. P. medusina s'est adapté à vivre sur des sols gypseux en ambiance plus sèche, ce qui lui a permis de se différencier et de suivre une évolution propre.

Quant au nom de l'espèce, il fait référence à la forme de la plante avec sa base bulbeuse et ses grandes feuilles linéaires érigées et tordues, qui rappelle la tête de Méduse. Dans la mythologie grecque, la Méduse est une des filles de Forcis, divinité de la mer, qui selon la légende aurait des serpents pour cheveux.

Je cultive cette espèce depuis quelques temps et je ne la considère pas comme une plante difficile. Le mélange de culture que j'utilise est classique chez toutes mes pinguiculas du Mexique (voir l'article dans le bulletin DionéeNo43/2000 : « Pinguicula du Mexique : Petit retour sur l'expérience de 5 années de culture »).

Pour mémoire, il s'agit d'un mélange de 1/3 perlite, 1/3 vermiculite et 1/3 de sable de Loire avec un peu de terre argilo-calcaire. Ce substrat, qui a l'avantage de pouvoir sécher ou s'humidifier facilement, est aussi très drainant. Il apporte également le calcaire que les pinguiculas mexicains apprécient tant. Dernière remarque pratique : il ne faut pas oublier que la plante se reproduit facilement et qu'il faut penser à prévoir un pot suffisamment large : mon unique pied a cette année produit 12 plantules qui commencent également à se multiplier à leur tour !

En hiver, comme pour la plupart des grassettes mexicaines, il est nécessaire de laisser sécher le milieu tout en conservant une bonne humidité atmosphérique afin que le bulbe hivernal ne se dessèche pas à outrance.

Cette plante attire l' oeil du visiteur par son coté arachnoïde qui la distingue des autres plantes à rosette basale et comblera l'amateur par sa facilité de culture.

Bibliographie :

  • ZAMUDIO RUIZ (S.) & STUDNICKA (M.). «Nueva especie gipsicola de Pinguicula (Lentibulariaceae) del estado de oaxaca, Mexico.» Acta Botanica Mexicana (2000), 53 : 67-74.




DIONÉE 47 - 2002