Découverte de Pinguicula grandiflora ssp. rosea (Éric PARTRAT, Bérénice BERNARD)
Mon travail m'impose quelques déplacements ponctuels dans toute la
France, ce qui pour un amateur de plantes carnivores, est aussi
l'opportunité de découvrir parfois des sites. La volonté de Dionée de ne
pas communiquer les sites a pour inconvénient principal d'imposer à
l'amateur de ne pouvoir compter que sur le hasard pour les trouver,
d'autant plus que certains d'entre eux sont parfois si peu étendus.
Un de ces déplacements avait pour destination la région de Grenoble
(38). Tous les amateurs de grassettes savent quelle merveille est cachée
au sein des montagnes de Grenoble. Je m'étais déjà rendu sur place
auparavant et je savais que trouver P. grandiflora ssp. rosea dans les
montagnes de Grenoble, c'était un peu comme chercher une aiguille dans
une botte de foin. Heureusement, un autre amateur de plantes m'avait
vaguement pointé le site sur une carte, mais à une échelle telle qu'un point
grossier représente pas loin de quelques kilomètres carrés.
Lorsque l'on a déjà trouvé des grassettes dans la nature, on finit
heureusement par savoir limiter ses recherches aux seuls sites potentiels
(fossés de drainage, pelouses humides, flancs d'escarpement rocheux,
bord de ruisseau...), quoique...
C'est en cherchant donc cette grassette, que je suis d'abord tombé par
hasard sur P. vulgaris. Le site est en bordure de route dans un virage. C'est
les racines incrustées dans le flanc de la falaise, que poussaient une
cinquantaine de P. vulgaris en fleurs. Les grassettes étaient un peu plus
grosses que la moyenne des plantes que j'avais rencontrées dans le Jura
et les extrémités des feuilles très arrondies. De trois à cinq hampes florales
simultanées par plante se dressaient majestueusement. Cela me changeait
de mon balcon, où dans une jardinière, une vingtaine de Pinguicula
vulgaris du Jura, m'offrent depuis cette année seulement (c'était un semis),
une seule hampe florale par pied. Laurent LEGENDRE me signalait une
plante qu'il avait eu en culture et qui dans la nature donnait plusieurs fleurs
par hampe florale ! Cette plante était originaire de la région de St
Gervais-les- Bains mais les deux seuls sites existants auraient disparus et le
seul clone en culture, victime d'un cambriolage, a succombé il y a
longtemps. Lors d'une sortie dans le Jura en 97, nous étions tombés sur
des P. vulgaris avec des hampes florales d'une longueur impressionnante.
P. vulgaris est réputée pour être une plante très variable. Il existe ainsi
beaucoup de formes que l'on rencontre parfois, comme la P. vulgaris f.
bicolor ou la forme étrange de la région de Reims à capsule de graines
ronde. Mickaël LEGRAND m'a également donné une plantule de P.
vulgaris, originaire des Pyrénées, dont les feuilles se teignent de rouge au
soleil. D'après la personne qui lui en a procuré deux gemmes, l'ensemble
des grassettes du site présentait cette caractéristique. Lorsque la plantule
sera plus grande, je tenterai la mise au soleil. Mes P. vulgaris du Jura, qui
sont pourtant exposées au soleil de la région parisienne, restent fidèles à
leur couleur verte (ce qui leur va très bien d'ailleurs !). En revanche, les
grassettes de Reims se teignent très légèrement au soleil.
Pour en revenir à ma recherche de P. grandiflora ssp. rosea, ce n'est
qu'au bout d'une longue et froide journée de recherche en compagnie de
ma très patiente et tolérante amie (au fait, Bérénice, connais-tu la région de
St Gervais-les-Bains ?), que nous sommes tombés dessus. L'effusion de
joie si spontanée que nous avons laissé éclater, nous a fait passer pour
des fous aux yeux des quelques utilisateurs de cette route.
C'est sur un escarpement de roche qu'une quinzaine de pieds adultes
poussaient. Le site est très peu étendu donc vulnérable. Quelle a été ma
surprise lorsque j'ai regardé de plus près ce site. J'avais en effet
l'impression qu'un car entier de touristes était passé dessus. Quelques
pieds étaient enterrés, dont seulement un bout de feuille dépassait (par
conscience, j'ai scrupuleusement sauvé la vie d'une dizaine de pieds).
L'explication de ce tremblement de terre est en fait très simple. Ce site
est situé en bord de route et même si celle-ci est très peu fréquentée, les
quelques arbrisseaux au-dessus du site ne devaient pas avoir assez de sol
pour que leurs racines s'ancrent assez profondément. Ils devaient en effet
menacer la route en contrebas. Par sécurité, ce site venait donc de subir
un défrichement de l'ONF ou de la DDE (je n'accuse personne en
particulier !). Le problème, c'est que les racines de ces arbrisseaux
retenaient la terre argilo-calcaire au-dessus des plantes. Une fois arrachés
plus rien ne pouvait retenir l'eau qui ruisselait abondamment et qui pouvait
à loisir entraîner terre et donc grassettes. Les pieds les plus touchés étaient
ceux situés en bas de l'escarpement et au sommet de celui-ci. Les
grassettes confortablement ancrées dans la roche étaient plus à l'abri. Les
grassettes en fleurs laissaient de toute façon entrevoir une recolonisation
rapide grâce aux graines qui allaient être produites. De plus, certains pieds
adultes étaient entourés d'une quantité impressionnante de jeunes pieds,
constitués par le développement estival des jeunes gemmes (jusqu'à 20
par pied !). La situation du site devrait en plus préserver les grassettes du
soleil de l'Isère.
En longeant le bord de la route, on pouvait voir en deux endroits
différents, quelques pieds qui poussaient sur la pelouse, cachés dans les
herbes. Ce type de site est le même où l'on peut trouver P. grandiflora, au
Col de la Faucille dans le Jura. En tout cas, on ne rencontre le long de
cette route aucun pied de P. grandiflora type ou forme pâle.
Quoi qu'il en soit, même ces pieds malmenés n'ont rien à voir avec les
quelques pieds que je cultive avec patience (et que je trouve maintenant
moins beaux !). Ces derniers ont apprécié l'apport de terre du site visité (il
faut voir maintenant le changement !). L'inconvénient d'utiliser cette terre
argilo-calcaire c'est qu'il faut faire attention à ce qu'elle ne sèche pas. Une
fois sèche en effet, la terre est très difficile à hydrater à nouveau et les
grassettes n'apprécient pas du tout une sécheresse brusque alors qu'elles
sont en pleine croissance. L'an prochain, je vais essayer de mélanger le
substrat usuel avec des billes de terre argilo-calcaire, ce qui permettra une
meilleure circulation de l'eau dans le sol tout en apportant le calcaire
nécessaire à nos grassettes.
Lorsque je relis la bibliographie, je ne peux que me souvenir que l'on
signalait déjà que Pinguicula grandiflora ssp. rosea appréciait la présence
de calcaire et l'ombre. Je n'avais qu'à suivre attentivement ces conseils
dès le début, ce qui aurait évité de faire souffrir mes quelques plantes
inutilement.
Pour mémoire, voici ce que l'on pouvait lire dans un texte de Jürg F.
STEIGER (CPN VOL. IV, N°1) il y a quelques années et que je trouve
incontournable avec le recul (pour les amateurs de grassettes uniquement
cela va de soi !). La mise en forme est personnelle et ne respecte pas celle
d'origine.
C'est donc à l'abri du soleil, au plus frais possible (15°C la nuit mais
avec des pointes à 25°C en été malheureusement), une bonne humidité
atmosphérique, un sol humide avec de l'eau régulièrement renouvelée et
du substrat calcaire que mes Pinguicula grandiflora ssp. rosea vont
poursuivre leur croissance dorénavant.
Encore une fois, la conclusion est la même, montrant que l'observation
in situ est irremplaçable. Heureusement, l'aide de photos peuvent
permettre d'y voir plus clair dans la connaissance de nos plantes mais on
ne trouve que trop souvent dans nos revues ou livres, des photos de nos
plantes hors de leur biotope. Notre Association (et ses réunions) sont
heureusement là pour permettre à tous de progresser sur la connaissance
et le maintien en culture de nos protégées et éviter de refaire plusieurs fois
les mêmes erreurs.
DIONÉE 46 - 2001
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