Heliamphora hispida, une nouvelle espèce du Cerro Neblina

(Mickaël LEGRAND)




Il faut espérer que si les tépuis du Venezuela s'enveloppent de brumes, ce n'est pas par honte de leurs extrémités tronquées. Car ils ont à s'enorgueillir d'une flore étonnante. Ce serait donc pour la préserver jalousement ? Par leur relative inaccessibilité, les tépuis ont la vertu de demeurer aujourd'hui encore des terrains d'exploration peu connus, à l'écologie hors-du-commun, excitant l'imagination de tous les amoureux de plantes singulières. En cela, le Cerro Neblina, le tépui le plus au Sud (à la frontière Venezuela / Brésil), s'avère le plus représentatif, avec l'endémisme le plus marqué parmi tous ses semblables. On nous promettait depuis longtemps de nouvelles découvertes chez Heliamphora, le genre attaché aux tépuis dans l'imaginaire des amateurs de plantes carnivores, et une exploration du Neblina en décembre 1998 par F. Rivadavia, A. Wistuba et J. Nerz entre autres, a «logiquement» concrétisé cet espoir. Bien entendu, s'il ne faut pas s'attendre à ce qu'un nouveau taxon révolutionne ce genre Heliamphora dont les différences morphologiques interspécifiques sont souvent plus subtiles que flagrantes (opposez-le à Sarracenia, de la même famille : S. flava / S. purpurea / S. psittacina ), le mythe attaché aux tépuis et par assimilation aux héliamphoras (renforcé par leur rareté et leur culture délicate, ou tout au moins très particulière), fait qu'une découverte dans le domaine reste un événement.



Heliamphora hispida Nerz & Wistuba, décrit en juin 2000, apporte néanmoins plusieurs éclairages nouveaux sur le genre. La plante en elle-même se rapproche le plus du petit H. minor et du géant H. ionasii : comme eux, la base de ses urnes est plutôt ventrue. L'évasement de ses urnes dans leur partie supérieure et la forme de la cuillère à nectar font songer au second ; sa taille plus modeste (15-25 cm de long pour 5-8 cm de large) au premier. Et comme chez les deux, les poils qui tapissent l'intérieur des cornets rougeâtres, peuvent être remarquables (pour H. minor, plutôt dans ses formes des tépuis Chimanta et Akopan que chez celle plus répandue en culture de l'Auyan Tepui). Sans peut-être en avoir l'air, le simple caractère compact de la plante met à mal une idée qui commençait à prendre corps chez les botanistes quant à la répartition du genre. En effet, on croyait jusque là que les tépuis du Sud étaient dévolus aux urnes longues et tubulaires d'H. tatei var. tatei ou var. neblinae, tandis que les tépuis de l'est (après un trou "heliamphoresque" de 600 km) abritaient toutes les autres espèces, plus massives. Avec la découverte d'Heliamphora hispida sur le tépui d'H. tatei var. neblinae, les rapprochements géographico-morphologiques ne tiennent plus.



Sur le plan de l'écologie, H. hispida est tout aussi intéressant. Bien qu'il pousse sur le même tépui qu'H. tatei var. neblinae, il préfère coloniser la partie sud-est du massif, caractérisée par ses forêts basses et ses marécages couverts de buissons - un milieu sur lequel son compatriote ne semble pas adapté pour prospérer, préférant des zones totalement dégagées (au nord-est, où il s'associe à Brocchinia reducta). On n'a trouvé les deux espèces cohabitant qu'à un seul endroit, mais là y compris, elles avaient des territoires distincts, H. hispida poussant dans un marécage, à l'ombre des buissons qui clairsemaient celui-ci. Une petite population trouvée dans une zone intermédiaire pourrait avoir pour origine une hybridation de ces deux espèces (urnes assez longues et tubulaires, mais cuillère réduite et ronde); à noter qu'aucune d'entre elles ne poussait à proximité. L'espèce ne semble pas craindre l'eau - elle a été fréquemment trouvée en partie submergée, de sorte que le niveau d'eau environnant atteignait celui de l'intérieur des urnes - pas plus que le froid, poussant à des altitudes supérieures (1800-3014 m) à celle d'H. tatei.



D'une plante qui subit des conditions si extrèmes, on peut attendre deux choses (en espérant la seconde) : qu'elle ait des exigences difficile à satisfaire en culture, ou au contraire, qu'elle soit d'une tolérance à toute épreuve. Pour une fois, c'est le meilleur qui se réalise ! Et A. Wistuba va jusqu'à le conseiller aux débutants dans sa plaquette 2001. A celà, s'ajoute une bonne croissance, avec un passage rapide des urnes à une forme adulte (une qualité appréciable par rapport à H. sp. "Ilu", par exemple). Enfin, sachez que les plantes sont déjà diffusées dans le commerce.



Bibliographie :

  • NERZ, Joachim & WISTUBA, Andreas. «Heliamphora hispida (Sarraceniaceae), a New Species from Cerro Neblina, Brazil-Venezuela». Carnivorous Plant Newsletter, vol. 29 : n°2, juin 2000, p. 37-41.

  • WISTUBA, A., «Heliamphora - a miniguide», autodiffusé, 2001.



DIONÉE 46 - 2001