Dionaea muscipula : plante et piège

Feuille de D. rotundifolia

Pièges d'Aldrovanda vesiculosa


Photos : Serge Lavayssière

Fonctionnement du piège de la dionée et de deux autres genres carnivores apparentés, Drosera et Aldrovanda

(L. Legendre)



Darwin disait de la dionée qu'elle est la plante la plus merveilleuse du monde. Sa curiosité scientifique l'a rapidement amené à expérimenter sur cette plante et de nombreux autres scientifiques l'ont alors suivi dans sa quête de savoir. Malgré la complexité des mécanismes biochimiques de contrôle de la fermeture des pièges qui ont été découverts ou qui restent encore insondables par les outils modernes, la dionée demeure un modèle expérimental de choix pour le scientifique amateur et pour l'enseignement des sciences naturelles expérimentales. Cet article a ainsi pour but de vulgariser les connaissances acquises sur cette plante et de proposer des expériences (parfois décrites pour la première fois) qui peuvent toutes être reproduites à la maison et peuvent être le point de départ de toute une foule d'autres expériences simples que tout un chacun pourra concevoir à sa guise.


Description générale du piège de la dionée

Figure 1: Représentation schématique d'un pied de dionée arborant fleurs et pièges.

Les pièges de la dionée sont portés par le bout des feuilles (Fig. 1). Ils sont constitués de 2 lobes reliés par une nervure centrale épaisse. De nombreuses excroissances en forme de pointes (appelées «dents») sont présentes à leur périphérie. Celles-ci sont souples et n'ont pas pour fonction de transpercer les proies. Lors de la fermeture du piège, elles s'entrecroiseront, d'une manière assez peu reproductible d'ailleurs, pour empêcher l'animal captif de s'échapper.

De nombreuses glandes nectarifères sont présentes à la base des dents (Fig. 2). Leur présence à la périphérie du piège va attirer les futurs condamnés et les forcer à se positionner sur la face interne des lobes du piège, où se situent des poils sensitifs très fins (trois sur chaque lobe en moyenne). Une fois touchés, ces poils induisent une modification de la forme des deux lobes. Eux qui sont normalement plans vont, en effet, s'incurver pour devenir convexes (Fig. 2). La nervure centrale ne joue pas le rôle de charnière et le piège ne se referme donc pas comme un livre. Toute sa structure bouge, et la courbure des parois des lobes est d'autant plus grande que l'on se rapproche des dents. Tout piège se compose ainsi d'une zone capable de sentir la présence de la proie (zone réceptrice), constituée par les poils sensitifs, et d'une zone capable de fermer le piège (zone motrice), constituée ici par les couches cellulaires externes des lobes du piège (Fig. 2).

Figure 2: Représentation schématique d'une feuille de dionée coupée dans sa longueur (A) ou sa largeur (B). La zone de digestion est ponctuée de nombreuses taches rouges qui sont en fait les glandes digestives.
Une simple loupe permet l'observation de ces détails anatomiques.


Tout pied de dionée produit deux sortes de feuilles, appelée feuilles d'été et feuilles d'hiver. Les feuilles d'été sont érigées avec des pétioles fins et longs alors que celles d'hiver sont collées sur le sol avec des pétioles courts et larges. Les pièges ont cependant toujours la même structure et fonctionnent de la même manière.


Le phénomène de fermeture

Expérience 1 : Activez la fermeture du piège à l'aide d'un bout de bois ou d'une aiguille. Vous observerez alors qu'il se rouvrira dès le lendemain. Par contre, si vous le fermez en y déposant différentes substances présentes dans la maison, vous verrez qu'il restera fermé plus longtemps et effectuera le deuxième mouvement de fermeture uniquement si il a englouti une matière azotée (jambon, blanc d'oeuf, insecte...) contrairement à d'autres substances (plastique, sucre, coton...). Choisissez des pièges jeunes, et effectuez les expériences en milieu de journée.

Figure 3: Piège de dionée vu en coupe transversale au repos (A), après le premier mouvement rapide de fermeture (B), ou après le deuxième mouvement de fermeture (C)


Le piège de la dionée se ferme en deux étapes distinctes. Il y a tout d'abord une phase de fermeture rapide qui s'effectue en un dixième de seconde et qui est induite mécaniquement en touchant les poils sensitifs. A l'issue de cette phase, les dents du piège s'entrecroisent et le piège est encore partiellement ouvert sur l'extérieur (Fig. 3). Il s'ensuit un phénomène plus lent (quelques heures) qui va permettre une fermeture étanche du piège : une condition nécessaire pour une bonne digestion. Cette deuxième étape de fermeture nécessite la présence de nourriture azotée dans le piège. Elle est induite chimiquement par des composants suintants de la proie lors d'un début de digestion. Ce deuxième mouvement ne pourra donc être obtenu si la plante a initialement été leurrée (Exp. 1). Les dents du piège sont alors parallèles (Fig. 3).

Figure 4: Variation de la tension exercée par les deux lobes du piège l'un sur l'autre pendant les 6 jours qui suivent la prise d'une proie (Source : Juniper et al., 1989)

Une mesure fine montre que la pression exercée par les deux lobes l'un sur l'autre varie en intensité selon un rythme circadien, dès le deuxième jour qui suit la capture d'une proie, pour être maximale au début de chaque après-midi (Fig. 4).

Pour éviter une fermeture intempestive du piège par des gouttes de pluie ou des brindilles poussées par le vent, le piège ne peut se fermer qu'après une double stimulation des poils sensitifs. Notez dès maintenant que ce double contact peut s'effectuer sur le même poil sensitif ou bien sur deux poils différents (Exp. 2). La fermeture du piège de la dionée est donc un phénomène complexe contrôlé par le transfert de nombreux signaux à travers sa structure. Un premier signal est envoyé par le premier poil sensitif à être touché en direction des autres poils pour les sensibiliser. Puis, un deuxième signal est envoyé par le deuxième poil touché en direction des parties externes des lobes pour induire leur courbure. La nature exacte de ces signaux reste encore largement inconnue. Un grand débat fait même rage pour savoir s'il s'agit en fait de deux signaux différents ou bien d'un effet cumulatif sur une même molécule signal.

Expérience 2 : Si vous ne touchez, par exemple avec une aiguille, qu'une seule fois un des 6 poils sensitifs, le piège ne se fermera pas. Par contre, si vous retouchez ce même poil une deuxième fois, le piège de la dionée se fermera instantanément. Essayez maintenant de provoquer la fermeture du piège en touchant non pas deux fois de suite le même poil sensitif, mais en touchant deux poils situés sur des lobes différents. Le piège se fermera alors tout aussi bien.


La mémoire de la dionée

Comme nous venons de le voir, une double stimulation du piège est nécessaire pour sa fermeture. Mais combien de temps un piège de dionée se souvient-il avoir été stimulé une première fois ? Le moins que l'on puisse dire est que la dionée a la mémoire courte et qu'il est heureux pour elle que les insectes ne s'en soient pas encore rendus compte. Si on espace de plus de 20 s les deux stimulations, le piège ne se fermera pas complètement et d'autres stimulations seront nécessaires pour une fermeture totale (Exp. 3). Un délai de 1 min nécessitera 6 stimulations pour une fermeture complète (Fig. 5) et un délai de 2 min demandera 27 stimulations dont 10, juste pour voir le piège opérer un début de fermeture.

Expérience 3 : Effectuez l'expérience décrite dans la figure 5 en faisant varier le temps entre deux stimulations de 10s à 2min pour observer que plus le temps entre deux stimulations est grand, plus le nombre de stimulations doit lui aussi être grand pour aboutir à une fermeture complète. Vous pourrez également déterminer si le temps de mémorisation d'une première stimulation est le même si le même poil ou si deux poils différents sont stimulés.

Figure 5: Un poil sensitif d'un piège de dionée est activé régulièrement à 1min d'intervalle. Le degré de fermeture du piège est alors mesuré (Source : Juniper et al., 1989)



Stimulation mécanique de la fermeture du piège de la dionée

Figure 6: Représentation schématique d'un poil sensitif de dionée faisant apparaître une zone charnière plus fine et souple qui plie quand une pression mécanique est exercée sur la partie pointue du poil (Source : Juniper et al., 1989)

Une énigme troublante concerne la stratégie utilisée par de si petits poils sensitifs, après avoir été touchés par des insectes si frêles, pour induire une fermeture si violente du piège. Ces poils contiennent en fait une zone charnière (zone plus fine et donc plus souple) dans leur structure (Fig. 6). Les cellules de cette zone subissent une forte déformation quand le bout du poil est touché. Elles sont donc plus sensibles que les autres au toucher du poil et, comme de nombreuses expériences l'ont désormais démontré, ce sont elles qui vont signaler à la plante la présence d'un insecte. En effet, si un poil sensitif est découpé (de manière chirurgicale) sous cette zone charnière, il ne peut plus réagir à la présence d'une proie.

De manière intéressante, les cellules de la zone charnière des poils sensitifs ont une structure interne très particulière qui est unique dans le règne végétal et qui ressemble beaucoup à celle qui se trouve dans les cellules musculaires animales. Mais il ne faut surtout pas voir là une relation évolutive entre les plantes carnivores et le règne animal. En effet, comme nous allons le voir ci-dessous, ces deux types d'organismes fonctionnent de manière inverse dans le sens où c'est un signal nerveux, de nature électrique, qui active les cellules musculaires animales, alors que ce sont les cellules sensorielles des dionées qui envoient un signal électrique à travers la feuille.


Communication chimique entre les zones réceptrice et motrice du piège de la dionée

Les cellules de la partie charnière des poils sensitifs décrits ci-dessus perçoivent un signal mécanique en provenance de la proie. Ce n'est pas ce signal qui va être transmis aux zones motrices qui en sont éloignées de 1 à plusieurs millimètres (et parfois de plus d'1 cm !). Le mouvement de l'insecte est en fait traduit par les cellules des poils sensitifs en signal chimique qui pourra être véhiculé à travers les lobes du piège de cellule en cellule. La nature exacte des sels impliqués dans ces phénomènes de signalisation ionique, ainsi que celle des protéines responsables de leur transport et de leurs effets, commencent tout juste à être connues et un gros effort reste à accomplir en ce domaine. Seule l'implication des ions chlorure et calcium ainsi que des protéines G et des canaux ioniques a pu être démontrée. Le repliement artificiel d'une feuille peut ainsi être obtenu en ajoutant des solutions concentrées en sels aux plantes (Exp. 4). Si on plonge une feuille de dionée dans une solution de sel de cuisine (chlorure de sodium), le piège se refermera peu de temps après. Ce phénomène n'est pas lié à des forces osmotiques puisqu'une solution aussi concentrée en sucre de cuisine (saccharose) reste sans effet.

Expérience 4 : Découpez avec une paire de ciseaux le pétiole d'une feuille de dionée 5mm à 1cm sous le piège. Puis plongez immédiatement après la zone découpée dans une solution liquide en maintenant le piège hors de l'eau. Pour cela, placez une feuille d'aluminium sur un verre d'eau rempli à ras bord. Glissez alors la feuille de dionée à travers une petite fente réalisée au préalable dans la feuille d'aluminium. L'expérience consistera alors à faire varier la solution aqueuse dans laquelle baigne le bas de la feuille. Une solution de sel de cuisine plus ou moins concentrée (58.5g/l fonctionne très bien pour commencer) provoque la fermeture contrairement à une solution d'eau osmosée ou de sucre (322g/l par exemple). D'autres sels peuvent aussi être testés selon cette méthode.

Notons au passage que le signal ionique contrôlant la fermeture des pièges est transmis à grande vitesse (10 cm/s soit 360 m/h) à travers tout le piège pour être certain que les deux lobes se ferment en même temps sans délai apparent, bien que le poil d'un seul des deux lobes ait été stimulé.

Comme la nature du signal mobile est ionique (calcium, chlorure), elle implique des substances chargées électriquement (le calcium est positif et les chlorures négatifs par exemple). Leur déplacement sans contre charge provoquera localement une variation de potentiel électrique qui en se propageant créera un courant électrique. Ces faibles changements peuvent être mesurés à l'aide de petites électrodes. La figure 7 donne un exemple sur un tentacule de Drosera qui se prête mieux à ce type d'expérience et, comme nous le verrons plus tard, se comporte de la même manière qu'une dionée.

Figure 7: Variation du potentiel électrique dans la tête et la base d'un tentacule de Drosera après stimulation mécanique en heurtant la tête de celui-ci avec un objet dur (Source : Juniper et al., 1989)


Toute la communication chimique de cellule à cellule décrite ci-dessus coûte de l'énergie à la plante. Une feuille de dionée ne peut en effet se refermer sur une proie si elle a été préalablement trempée dans une solution de cyanure ou d'arsénique (ces sels ont pour conséquence de bloquer toute production d'énergie). Plus simplement, une plante qui vient de passer plusieurs heures au froid et à l'obscurité répond moins vite, voire pas du tout (Exp. 5).

Expérience 5 : Placez une dionée au réfrigérateur pendant une nuit (ceci n'aura pas de conséquence létale pour votre plante) et comparez la vitesse de fermeture de ses pièges par rapport à ceux d'une plante placée dans une serre chaude et testée à midi en plein soleil.

La transmission d'un signal ionique de la zone de perception de la proie vers la zone motrice, implique que toutes les cellules présentes entre ces 2 zones soient capables de recevoir le signal "fermeture du piège" et de le transmettre à la cellule qui suit. L'activation non-naturelle (appelée exogène) de n'importe laquelle de ces cellules devrait donc conduire à l'activation de sa voisine qui activera la suivante et ainsi de suite jusqu'à induction de la fermeture du piège. Et c'est en effet ce qui se passe. Un moyen simple de fournir un signal artificiel consiste à blesser la plante (Exp. 6). En relâchant leur contenu, les cellules lésées vont alors fournir les ions nécessaires (calcium, chlorure) à la création d'un influx électrique. Un simple petit trou (sans pour autant transpercer la feuille) sur la surface interne d'un piège de dionée est suffisant. Si le trou est percé sur la face externe du piège, il faut percer un peu plus profond pour éventrer une cellule normalement impliquée dans la transmission de l'information relative à la fermeture du piège. Percer une cellule qui ne fait pas partie de ce réseau de communication n'a, comme on pourrait s'y attendre, aucune conséquence. Ainsi, blesser la plante au niveau des glandes nectarifères ou bien des dents ne génère pas plus de réaction qu'une blessure au niveau du pétiole.

Expérience 6 : A l'aide d'une aiguille fine et bien pointue, percez (sans pour autant transpercer car une minuscule blessure suffit) une feuille de dionée en divers endroits (face interne, face externe, dents, zone nectarifère, pétiole...) et observez si cela conduit à la fermeture du piège. Seule la zone comprise entre les poils sensitifs et la face externe des lobes est sensible à ce signal de blessure.

L'activation du piège par blessure n'est peut-être pas aussi artificielle qu'il y paraît car elle joue probablement un rôle de protection de la plante contre des petits animaux herbivores soit en inversant les rôles et en les mangeant à leur tour, soit en leur faisant peur par un mouvement brusque.


Le mouvement rapide du piège de la dionée

Un certain nombre d'expériences suggèrent que la courbure des lobes du piège qui conduit à la fermeture de celui-ci, est due à un allongement rapide des cellules externes des lobes. Leur accroissement de taille par rapport aux cellules internes provoque cet effet de courbure un peu à la manière d'une bilame (Fig. 8).

Figure 8: Coupe transversale d'un lobe de piège de dionée. La fermeture de celui-ci est liée à l'allongement des cellules de la zone externe des lobes qui provoque le courbure de celui-ci vers l'intérieur. Chaque rectangle représente une cellule.


La théorie la plus en vogue pour expliquer l'allongement cellulaire décrit ci-dessus implique une acidification du milieu externe de ces cellules. Cette acidification aurait pour conséquence de diminuer les forces ioniques qui sont responsables de l'assemblage des fibres (polymères) qui constituent la paroi cellulaire solide autour des cellules. Les cellules qui sont toujours un peu comprimées contre leur paroi vont en effet tout de suite profiter du ramollissement de leur coque pour s'étendre, un phénomène qui va s'accompagner d'une aspiration d'eau. Une re-solidification immédiate des parois rendra le phénomène irréversible (Fig. 9).

Figure 9: Cascade de signaux chimiques permettant d'expliquer l'allongement des cellules de la face externe des lobes des pièges de dionée.


La théorie de la fermeture du piège de la dionée par allongement cellulaire suite à une acidification, est soutenue par le fait que tremper une de ses feuilles dans une solution acide stimule le mouvement du piège et que les fibres des parois des cellules externes des lobes ne peuvent s'étendre que dans un sens (déjà étirées dans la direction perpendiculaire au mouvement) ce qui forcera la courbure à ne se produire que dans une seule direction.


Le mouvement lent de fermeture de la dionée

Comme indiqué ci-dessus, la fermeture étanche d'un piège de dionée (deuxième mouvement plus lent de fermeture) nécessite plus que les simples mouvements d'une proie. Elle nécessite la présence de substances chimiques présentes dans la proie telles que le sodium ou bien résultant de sa digestion par la plante comme les ions ammonium. Un piège au repos sécrète donc une petite quantité d'enzymes hydrolytiques pour pouvoir déceler le contenu chimique de ce qu'il attrape. La présence de premiers résidus de dégradation enzymatique va non seulement induire une fermeture étanche du piège mais stimuler la sécrétion de plus d'enzymes (effet boule de neige). Ainsi, le piège restera parfaitement fermé tant qu'il restera quelque chose à digérer dans la proie. Le mécanisme lent de fermeture n'a pas été très étudié et fonctionne vraisemblablement suivant un autre mécanisme que celui décrit pour le mouvement rapide. Il n'est pas exclu que certaines hormones végétales y jouent un rôle, comme démontré pour les droséras.


La réouverture du piège de la dionée

La réouverture du piège utilise, quant à elle, un troisième mécanisme biochimique qui n'est pas le parcours inverse des deux processus de fermeture. Il s'agit en fait d'un allongement des cellules du lobes du piège qui conduit à une courbure de ceux-ci vers l'extérieur (Fig. 10).

Figure 10: Coupe transversale d'un lobe de piège de dionée. La réouverture d'un piège de dionée est liée à l'allongement des cellules de la zone interne des lobes qui provoque le courbure de ceux-ci vers l'extérieur. Chaque cellule est représentée par un rectangle.


Ainsi, fermer et ouvrir un piège de dionée conduit à une modification irréversible de la structure de ce dernier et à son agrandissement (allongement des cellules externes du lobe suivi par celui des cellules internes). Cet effet de croissance du piège est peu visible à l' il car il n'est que de 7% en moyenne. Il peut cependant être visualisé grâce à l'expérience 7.

Expérience 7 : Pour visualiser la croissance des pièges de dionée lors de leur fonctionnement, placez deux petits spots de couleur sur la face externe du piège, puis mesurez avec une bonne loupe leur écartement avant et après un cycle de fermeture-ouverture. Seuls ceux formant une ligne parallèle avec les dents s'écarteront.

Les théories de croissance des pièges pour leur fonctionnement et d'allongement cellulaire par acidification, ont le mérite d'expliquer pourquoi un piège de dionée ne peut se fermer que trois fois dans sa vie, et ce quel que soit l'état de développement ou de santé de la plante qui le porte. En effet, une fois les fibres pariétales totalement étirées et parallèles, il ne sera plus possible de les étirer davantage pour une quatrième fermeture, leur enchevêtrement de départ (lié au patrimoine génétique de la dionée) ne leur permettant que trois étirements (Fig. 11).

Figure 11: Elongation des fibres des parois cellulaires des cellules de la zone externe des lobes des pièges lors de plusieurs cycles de fermeture-ouverture des pièges.



Une expérience difficile à interpréter

L'expérience 8 a été découverte par hasard par l'auteur. Elle consiste à induire la fermeture d'un piège de dionée en passant une flamme sous celui-ci. Un résultat similaire peut être obtenu en déterrant un pied de dionée et en le laissant sécher à l'air. Ce phénomène de repliement des pièges par la chaleur et/ou la déshydratation a certainement pour but de limiter l'évaporation d'eau (transpiration) ou la prise en flamme des plantes lors d'incendies ou de fortes chaleurs. Cependant il n'est pas encore possible de relier la présence d'une flamme au repliement du piège à l'aide des connaissances actuelles. Preuve, s'il en est besoin, que de nombreuses autres recherches sont encore nécessaires.

Expérience 8 : Allumez une allumette et passez-la lentement sous la nervure centrale d'un piège de dionée sans brûler celui-ci. Vous observerez alors sa fermeture immédiate.


La famille de la dionée

La dionée appartient à la famille végétale des Droseraceae où elle a comme frères et s urs d'autres genres carnivores : Drosophyllum, Drosera et Aldrovanda (Albert et al., 1992). Parmi ces 3 genres, seul le Drosophyllum est un piège immobile (passif). Il se contente de coller ses proies à sa surface. Il est ainsi considéré comme l'ancêtre vivant de la famille. Les 2 autres genres sont, malgré des différences morphologiques apparentes, très proches de la dionée et ont des mécanismes de mouvement de leurs pièges qui ressemblent fort a ceux de leur illustre frère.


Mécanisme d'action du piège d'Aldrovanda

Tout comme Dionaea, Aldrovanda est un genre monotypique ne contenant qu'une seule espèce, A. vesiculosa. Cette espèce est aquatique, ne possède pas de racine mais arbore des pièges très similaires à ceux de la dionée (Fig. 12).

Figure 12: Représentation schématique (A) d'un pied d'Aldrovanda vesiculosa (source: Baffray et al., 1985), et (B) d'un étage de feuilles avec pièges (source Slack, 1981).


Les pièges, bien que plus petits, sont constitués de 2 lobes et sont portés par le bout des feuilles. Ils effectuent un double mouvement de fermeture (un mouvement rapide suivi d'un lent) après capture d'une proie (Fig. 13.). Tout comme pour la dionée, le mouvement rapide est déclenché par action mécanique de la proie sur un des poils sensitifs présents sur la face interne des lobes. Ces poils sont cependant plus nombreux que dans le cas de la dionée puisqu'on en dénombre environ 50 et non pas 6. De plus, il n'est pas nécessaire de toucher ces poils 2 fois pour déclencher la fermeture. Un seul toucher suffit (sauf dans le cas d'un vieux piège où deux contacts sont nécessaires). Il faut dire qu'un mécanisme de contrôle pour éviter toute fermeture intempestive du piège par déplacement d'une brindille sous l'action du vent ou par des gouttes de pluie n'est peut-être pas nécessaire sous l'eau !

Figure 13: Physiologie d'une feuille d'Aldrovanda coupée suivant sa longueur (A) et représentation schématique du processus de double fermeture du piège d'Aldrovanda (B).


D'après la littérature scientifique, il n'apparaît pas clairement que le mouvement rapide de fermeture de l'aldrovanda s'effectue avec les mêmes mécanismes biochimiques que ceux de la dionée, certains auteurs avançant même l'hypothèse selon laquelle le piège d'aldrovanda se fermerait sous l'action de forces osmotiques internes. Tout est encore plus flou au niveau du mécanisme lent de fermeture qui de toute façon s'effectue alors en quelques minutes et non pas quelques heures.


Mécanisme d'action du piège de Drosera

La ressemblance entre les pièges de la dionée et ceux des droséras est moins frappante. Les droséras attrapent en effet leurs proies en les collant sur leurs feuilles, qui vont ensuite lentement se replier autour de l'animal capturé (Fig. 14).

Figure 14: Représentation schématique d'un pied de Drosera capensis ayant attrapé un insecte volant.


Cependant, une feuille de dionée n'est rien d'autre qu'une feuille de droséra un peu modifiée. De nombreuses études ont en effet permis de montrer que les multiples tentacules qui forment le piège des droséras (Fig. 15) ont, par un processus évolutif encore mal connu, fusionné avec le limbe de la feuille tout en rétrécissant grandement leurs pédoncules pour former les lobes du piège de la dionée. Ainsi, les multiples têtes rouges des tentacules des droséras se retrouvent désormais éparpillées à la surface des lobes des pièges de dionée, et les vaisseaux conducteurs qui parcouraient les tentacules sont maintenant imbriqués dans les lobes. Les poils sensitifs de la dionée sont, quant à eux, des tentacules déformés dont la tête est passée de petite et ronde à longue et triangulaire (comparez Fig. 6 et Fig. 15).

Figure 15: Représentation schématique d'un tentacule de Drosera.


La zone charnière qui transforme le signal mécanique de la proie en signal chimique et que nous avons décrite ci-dessus chez la dionée existe aussi chez les droséras. Elle est située sous la tête de chaque tentacule. Il est donc possible d'activer mécaniquement et individuellement chaque tentacule de droséra (Exp. 9), alors que seuls les poils sensitifs de la dionée peuvent être activés car ce sont les seuls à avoir gardé leur zone charnière. Par contre, activer un seul poil sensitif de la dionée fera bouger tous les poils du piège (et donc les 2 lobes) puisque les bases des tentacules des droséras qui constituent la zone motrice de ceux-ci (ils bougent droits comme des "i") sont, chez la dionée, soudées. De manière intéressante, il peut être observé que, de même que les bords des pièges de la dionée effectuent plus de chemin lors de la fermeture du piège que la zone centrale, les tentacules se situant sur la périphérie des feuilles de Drosera effectuent un plus grand mouvement que les tentacules situés au centre des feuilles, ce mouvement allant toujours de l'extérieur de la feuille vers son centre comme les lobes de la dionée.

Expérience 9 : Avec une aiguille, frappez la tête d'un tentacule de Drosera. Vous observerez après quelques minutes qu'elle se replie vers le centre de la feuille en un mouvement assez rapide pour être vu à l'oeil. Répétez l'expérience sur divers tentacules d'une même feuille (tous n'effectuent pas des mouvements aussi amples) et des tentacules d'espèces de Drosera différentes (D. burmanni fait partie des "record-man" de vitesse (1 à 4 secondes) alors que D. capensis demande une dizaine de minutes).

Les dents du piège de la dionée sont également des tentacules transformés. Lors de leur transformation, ils ont perdu leur tête et leur zone charnière (d'où le fait qu'on ne puisse activer le piège de la dionée au niveau des dents), mais ils ont gardé leur pédoncule (devenu pointu) et une partie du vaisseau conducteur qui initialement approvisionnait et déchargeait de ses substances, la tête des tentacules initiaux.

Le mouvement du piège du droséra s'effectue, comme pour la dionée, en deux étapes, une rapide (quelques minutes) qui conduit au repliement du tentacule touché par un animal vers le centre de la feuille (cette action aura pour conséquence de le mettre en contact avec plus de tentacules si cela n'avait pas déjà été fait alors qu'il se débattait), et une autre plus lente (plusieurs heures) caractérisée par un repliement de la feuille sur elle-même, autour de sa proie (Fig. 16).

Figure 16: Repliement d'une feuille de Drosera capensis autour de sa proie.


De même que le mécanisme rapide de mouvement des tentacules semble impliquer des phénomènes ioniques et des élongations cellulaires comme chez la dionée (Exp. 10), les mouvements lents semblent aussi impliquer des dérèglements hormonaux. Des expérimentations effectuées au début des années 80 ont, en effet, suggéré que la présence d'un insecte sur un tentacule conduit à une modification du transport d'une hormone végétale de la famille des auxines sous le tentacule concerné. Ceci induit, juste sous ce tentacule, une croissance plus rapide de la face inférieure du piège par rapport à sa face supérieure, et donc par conséquent, à une inflexion de la feuille sous la proie. L'existence de mécanismes supplémentaires n'est pas à exclure, mais là encore, de nombreuses études restent à conduire.

Expérience 10 : Les mêmes expériences que celles décrites dans le cadre de l'expérience 4 peuvent être effectuées sur des tentacules de Drosera. Elles y auront les mêmes conséquences. Dans le cas du Drosera, il n'est cependant pas nécessaire de découper la feuille. Il suffit juste de déposer une goutte de liquide salé sur le tentacule (sans le heurter mécaniquement).

En fait, les seules spécificités du piège de la dionée sur ceux des droséras sont les glandes à nectar se trouvant à la périphérie du piège et la non-sécrétion de mucilage collant par les glandes digestives. Reconnaissons que c'est maigre !


Bibliographie

  • Albert V.A., Williams S.E. & Chase M.W. (1992) «Carnivorous plants: phylogeny and structural evolution». Science, 257: 1491-1495.

  • Baffray M., Brice F. & Danton P. (1985) «Les plantes carnivores de France. Histoire, Botanique, Usages, Florule». Ed Thomas, Bassac, France.

  • Juniper B.E., Robins R.J. & Joel D.M. (1989) «The carnivorous plants». Academic press, London, England.

  • Slack A. (1981) «Carnivorous plants». Alphabook. Alphabet and Image Ltd, Sherborne, England.


DIONÉE 45 - 2001