Aperçu des Droseras tropicaux vivaces d'Australie. (Texte et illustrations : Allen Lowrie)Précédemment paru dans "Bulletin of the A.C.P.S.", Vol 18 n°3, Septembre 1999
(Trad. : Pierre Gélinaud)
Quatorze espèces sont maintenant reconnues dans la section
Lasiocephala (Droseraceae, Lowrie 1998). Treize d'entre elles,
D. brevicornis Lowrie, D. broomensis Lowrie, D. caduca Lowrie,
D. darwinensis Lowrie, D. derbyensis Lowrie, D. dilatato-petiolaris Kondo,
D. falconeri Kondo & Tsang, D. fulva Planchon, D. kenneallyi Lowrie,
D. lanata Kondo, D. ordensis Lowrie, D. paradoxa Lowrie, D. petiolaris R.
Br., proviennent des zones tropicales du nord de l'Australie. D. petiolaris
apparaît aussi en Nouvelle-Guinée tandis que D. caledonica est endémique
en Nouvelle-Calédonie. Je fais référence à ces espèces comme droséras
tropicaux vivaces.
Morphologiquement, Drosera caledonica diffère des treize autres
espèces australiennes - néo-calédoniennes de cette section. Les feuilles de
D. caledonica ont des limbes obovales étroits et les inflorescences (y
compris les tiges) sont couvertes de poils glandulaires courts. En
comparaison, les treize autres espèces ont des limbes orbiculaires,
sub-orbiculaires, réniformes ou, transversalement, largement elliptiques à
très largement ovales. Leurs inflorescences (y compris les tiges) sont
glabres ou couvertes de poils laineux non-glandulaires. La question de
l'appartenance ou non de D. caledonica à la section Lasiocephala
nécessite une étude plus approfondie.
Les treize espèces que l'on trouve en Australie sont généralement
définies comme le complexe Drosera petiolaris (Lowrie, 1998). Depuis que
Robert Brown a nommé D. petiolaris en 1824 et jusqu'en 1984 où
Katsuhiko Kondo a, pour la première fois, reconnu trois espèces dans ce
complexe, tous les droséras tropicaux vivaces du nord de l'Australie
étaient identifiés comme étant D. petiolaris. Certains botanistes
maintenaient que d'autres taxons connus à l'époque (mais qui n'avaient
pas été véritablement décrits), tels que D. lanata, D. dilatato-petiolaris et
D. falconeri n'étaient rien d'autre que des variétés de D. petiolaris.
Tous les taxons du complexe Drosera petiolaris modifient leurs
stratégies de croissance en fonction de l'humidité disponible au cours des
saisons. Chaque taxon du complexe semble s'être adapté de manière
unique, que ce soit pour survivre ou pousser. L'apparence de chaque
espèce au début de la croissance, lors de la saison humide, est très
différente de celle à la saison sèche, où elles sont presque en dormance.
Pour les non-initiés, les différentes étapes de croissance d'une même
espèce peuvent facilement être prises pour les formes d'espèces
distinctes.
Par exemple, lorsqu'il est en dormance, Drosera ordensis est constitué
d'une rosette de feuilles persistantes desséchées. Au début de la saison
humide, de nouvelles feuilles émergent rapidement du centre de la rosette
dormante et apparemment sans vie. Lorsque les premières nouvelles
feuilles se déploient, elles révèlent une jeune inflorescence qui atteint
rapidement sa maturité. Les nouvelles feuilles qui suivent sont plus grandes
que les précédentes. En peu de temps, une rosette mature avec de
nombreuses feuilles s'est développée.
Drosera ordensis, au début de son cycle de croissance, porte moins de
poils sur ses feuilles que plus tard dans la saison (c. à d. qu'il est encore
possible de voir le pétiole à travers la couverture de poils). Plus tard dans
le cycle de croissance, la couverture de poils deviendra si dense qu'il sera
impossible d'apercevoir la surface du pétiole. Il apparaît que lorsque
l'humidité est abondante, la production de poils est réduite, mais au plus
fort de la saison sèche la couverture de poils reste plus importante. Cette
abondance de poils offre à la plante une bonne protection contre les
rayons ardents du soleil lors de la saison sèche.
Après la fin de la saison des pluies, quand les réserves d'humidité du
sol diminuent, Drosera ordensis commence à produire consécutivement de
plus petites feuilles avec sur chacune davantage de poils. Juste avant la
dormance complète, la plante a produit de nombreuses feuilles
positionnées au centre de la rosette comme les tuiles d'un toit (voir les
photographies dans Lowrie 1998 : Planche 54, A & F). La rosette
compacte va continuer sa stratégie de production de feuilles de plus en
plus petites tant que la rosée du matin et un peu d'humidité peuvent être
capturées par la couverture de poils.
J'ai établi que, dans le complexe Drosera petiolaris, les plantes de
milieux arides ou de milieux qui sèchent rapidement (comme les sols
sableux bien drainés sur lesquels poussent généralement D. ordensis et D.
lanata), ont des feuilles densément couvertes de poils. Toutes ces espèces
produisent des poils dentelés (c. à d., des poils qui ont de longs éperons
latéraux sur toute leur longueur). Tôt dans la saison sèche, les poils
dentelés fournissent une plus grande surface pour retenir l'humidité de la
rosée du matin, ce que j'ai pu observer dans la nature avec Drosera lanata.
Chaque poil dentelé capture avec ses parties latérales de minuscules
gouttes d'eau provenant de l'humidité atmosphérique. Les gouttelettes se
concentrent sous l'effet de la gravité pour en former de plus grosses à la
base de chaque poil, qui vont à leur tour se combiner pour former de
grosses gouttes qui tomberont éventuellement de la plante à différents
endroits des feuilles. Ce processus semble fournir à la plante un apport
supplémentaire d'eau, qui peut se révéler particulièrement important étant
donnée l'aridité périodique de son habitat.
Mes observations montrent aussi que les espèces comme Drosera petiolaris, D. dilatato-petiolaris et D. fulva (qui poussent dans des milieux périodiquement submergés) ont des feuilles presque glabres pendant la saison humide, mais qu'après celle-ci, elles développent une couverture de poils en réponse à un environnement plus sec. La couverture de poils sert un double but :
Comme on pouvait s'y attendre, mes premières observations de
Drosera paradoxa sur le terrain révélèrent un paradoxe ! Dans la région de
Kimberley, j'ai vu cette espèce tout à son aise. Elle s'est souvent révélée
annuelle : j'ai observé des germinations sur un emplacement où, la saison
précédente, j'avais vu des plantes matures. Dans certains habitats, je n'ai
trouvé que des spécimens en fleur avec de très grandes tiges comme du
bois. A d'autres emplacements, seulement quelques rosettes
apparaissaient sans aucune tige dure. Ce fut un véritable dilemme et un
puzzle difficile à résoudre. Finalement, après des observations en détail et
prolongées, j'ai conclu que toutes ces formes variées étaient simplement
D. paradoxa à différentes étapes de son cycle de croissance de plante
vivace.
Un exemple de données typiques que j'ai pu obtenir de mes
observations sur le terrain, est ce que j'ai vu à proximité de la rivière King
Edward qui traverse la région de Kimberley. Là, j'ai étudié en profondeur la
même population de Drosera paradoxa deux à trois fois par an de 1994 à
1997. Lors d'une saison exceptionnellement humide, en juillet 1997, le sol
de l'habitat en question avait été décapé de presque toute végétation, y
compris D. paradoxa. A ce moment, je découvris que le renouvellement de
la population de D. paradoxa avait déjà commencé avec de nombreuses
plantules de 1 à 2 cm de diamètre poussant sur un sol dénudé par le
passage du flot de la rivière. J'ai alors établi que seuls les spécimens de D.
paradoxa qui sont ancrés au sol d'une manière assez sûre pour résister aux
ravages d'une submersion rapide par le flot de la rivière sur plusieurs
saisons humides, produisent de grandes tiges érigées et dures comme du
bois.
D. caduca est probablement l'une des espèces tropicales vivaces la
plus étrange. Je l'ai nommée d'après le mot latin caducus, signifiant "qui
tombe tôt", en référence aux pièges à insectes qui ne sont présents que
sur les jeunes feuilles et absents sur toutes les feuilles adultes. Drosera
caduca a un cycle de croissance unique. Pendant la saison sèche, lorsque
la plante est au repos, les feuilles sont surtout caduques, mais celles qui
sont persistantes sèchent en formant une sorte de bulbe à leur base (qui
n'est en réalité que l'accumulation des bases charnues des feuilles). Cette
sorte de bulbe est la plupart du temps juste en dessous de la surface du
sol. La plante se reproduit asexuellement en formant d'autres bulbes à
chaque saison et peut éventuellement former un groupe qui peut atteindre
30cm de circonférence.
Au début de la saison humide, de nouvelles feuilles avec des limbes
portant des pièges, sont produites. Les feuilles sont courtes et forment des
rosettes similaires à celles que l'on trouve chez Drosera dilatato-petiolaris.
A peu près un mois plus tard dans la saison humide, D. caduca commence
à produire des feuilles plus longues ressemblant à de l'herbe. Au début,
ces feuilles portent des limbes glandulaires pour piéger les insectes, mais
progressivement les pièges n'apparaissent plus sur les feuilles suivantes.
Chaque nouvelle feuille en forme d'herbe produite est souvent un peu plus
longue que la précédente, la plus longue atteignant presque 45 cm dans la
nature.
Drosera caduca produit des inflorescences juvéniles tandis que la
rosette de feuilles porte les pièges à insectes. Ce n'est généralement pas
avant la production de feuilles en forme d'herbe que l'inflorescence est
suffisamment mature pour commencer à fleurir. La tige et l'inflorescence de
cette espèce peuvent atteindre 60 cm, avec chaque fleur bien espacée des
autres le long de l'inflorescence. Les fleurs peuvent être blanches ou roses,
veinées ou non de rouge au milieu de chaque pétale. A ce jour, je n'ai vu
Drosera caduca que dans les régions les plus isolées du Kimberley. Ce
n'est pas pour dire que cette espèce est rare, mais plutôt qu'il est assez
difficile d'accéder à ses emplacements. Par exemple, un habitat se trouve
sur une île éloignée rarement fréquentée, tandis que ceux du continent ne
sont, pour la plupart, qu'accessibles par hélicoptère. Le voyage se fait par
des pistes rarement utilisées, extrêmement accidentées, brise-véhicules et
qui traversent de nombreuses criques et passages à gués, souvent
submergés, puis on termine par des zones d'affleurement de grès. Une
partie de la piste doit être ouverte à la main en enlevant ou déplaçant des
rochers, souvent le long de bordures précaires de moindre résistance !
Drosera kenneallyi a été découvert poussant en marge d'Airfield
Swamp sur le plateau de Mitchell dans le Kimberley. En février et mars,
cette population est généralement submergée par des eaux peu profondes,
qui sont si chaudes qu'il est désagréable de les traverser pieds nus. Non
seulement D. kenneallyi tolère ces conditions, mais il s'est
remarquablement adapté pour ne pas être submergé complètement. Ses
pétioles sont flexibles, se dressant ou retombant suivant le niveau d'eau,
permettant au limbe de flotter à la manière d'un lotus et ainsi de continuer
à capturer des insectes.
D. kenneallyi n'avait été observé qu'une fois dans le Kimberley,
(Western Australia), mais il a été récemment découvert dans le Northern
Territory. L'espèce la plus proche de D. kenneallyi semble être Drosera
falconeri, qui est seulement connu dans le Northern Territory, Melville
Island incluse.
D. falconeri apparaît dans des habitats similaires à ceux de D.
kenneallyi et les deux fleurissent tôt, bien avant la submersion inhérente à
la saison humide. Bien que D. falconeri puisse être facilement distingué de
D. kenneallyi par ses feuilles aux larges limbes et une hampe florale plus
courte, il présente de nombreuses similitudes morphologiques. Les deux
espèces produisent des rosettes solitaires, de feuilles presque glabres,
plaquées à la surface du sol ; elles ont des structures en forme de bulbes,
qui résultent de l'accumulation des bases charnues des feuilles
persistantes, juste en-dessous de la surface du sol ; elles ont aussi des
feuilles caduques en période de repos. La structure en bulbe de ces deux
espèces n'est pas densément couverte de poils laineux pour éviter le
dessèchement, comme c'est le cas pour les autres espèces du complexe
D. petiolaris. D. falconeri et D. kenneallyi utilisent le sol compact, qui
ressemble à du béton une fois sec, comme seule isolation durant la saison
sèche.
J'ai découvert Drosera derbyensis pour la première fois près de Derby
en 1988. D. derbyensis a des feuilles étroites densément couvertes de poils
blancs comme D. lanata. Les poils, bien que couvrant les feuilles de D.
derbyensis, ne sont pas dentelés. La dense couverture pileuse des feuilles
de D. derbyensis, comme celle que l'on trouve chez D. lanata et D.
ordensis, est simplement une adaptation pour retenir l'humidité et fournir
une isolation destinée à éviter le dessèchement durant la saison sèche.
Drosera broomensis a une particularité parmi les droséras tropicaux
vivaces : c'est le seul membre de ce groupe à ne pas avoir de poils sur la
tige et l'inflorescence. Les nombreuses feuilles aux pétioles étroits au coeur
de la rosette, ne sont que peu velues durant la saison humide. Par contre,
à la saison sèche, la couverture de poils augmente et lorsque la rosette
entre en dormance complète, ses feuilles ne se résument qu'à un petit
amas compact de poils.
Deux espèces sont quelquefois difficiles à séparer : Drosera brevicornis
et D. darwinensis, surtout au moment de la pousse des feuilles. Par contre,
lors de la floraison, la distinction est facile. D. darwinensis a une
inflorescence (incluant la tige) de 5 à 15 cm, alors que D. brevicornis a une
inflorescence (incluant la tige) de 30 à 40 cm. D. brevicornis se distingue
aussi de tous les autres droséras tropicaux vivaces par les filaments de ses
étamines, se prolongeant en une sorte de corne incurvée au-delà des
anthères.
Lorsque j'étudiais le matériel type de Drosera petiolaris (qui me fut
gracieusement prêté par le British Museum), il y eut des difficultés pour
déterminer quelle espèce sur le terrain correspondait à D. petiolaris. Sept
spécimens, ainsi que quelques fragments dans une enveloppe sont sur la
feuille du type petiolaris. La seule information écrite sur la feuille type est :
- New Hommand, Banks and Solander 1770, Drosera petiolaris, Endeavour
River . Le spécimen en bas à gauche est le seul à maturité sur la feuille et
aussi le seul avec une inflorescence. Ce même spécimen a de nombreuses
feuilles juvéniles densément couvertes de simples poils légèrement en
forme d'éperon. Les feuilles externes plus vieilles ne sont que faiblement
couvertes de poils de ce genre.
Ce ne fut pas avant le 4 août que
l'Endeavour fut réparé et remis à flot.
Pendant que l'Endeavour était en
réparation, Joseph Banks et Daniel Carl
Solander (un naturaliste suédois formé
par Linneus à Uppsala) n'ont pas perdu
de temps en récoltant une abondante
moisson de nouvelles espèces
botaniques des environs, incluant Drosera
petiolaris.
La période entre le 17 juin et le 4 août correspond à la saison sèche
dans cette partie de l'Australie. C'est le moment où les taxons du
complexe Drosera petiolaris de l'Australie tropicale du nord sont déjà bien
avancés sur le chemin du repos. Les spécimens de D. petiolaris que Banks
et Solander ont collectés, en raison de la période de cueillette, en étaient
en fait, au premier stade de leur dormance. C'est pourquoi les feuilles
juvéniles des spécimens types étaient densément couvertes de poils. Les
feuilles externes plus vieilles et parsemées de poils s'avéraient être les
feuilles produites pendant la saison humide lors du cycle de croissance,
quelques mois plus tôt. Le mystère de D. petiolaris était résolu.
Cet exercice de recherche m'apporta des informations précieuses pour
d'autres recherches dans le complexe D. petiolaris. Il m'a fait comprendre
l'importance d'étudier complètement le cycle de vie entier de chaque
espèce des droséras tropicaux vivaces, autant sur le terrain qu'en culture.
Ce n'est qu'une fois que toutes ces informations ont été rassemblées,
qu'un jugement correct peut être rendu sur une nouvelle espèce
potentielle.
Références:
DIONÉE 44 - 2000
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