Observation d'un cas de multiplication par apomixie sur la Dionée

(Christophe Branger )



Si la formation de rejets sur les anciennes écailles du bulbe de la dionée est une chose couramment observée chez les collectionneurs de plantes carnivores, il est cependant beaucoup plus rare de voir de jeunes plantes se développer au niveau de la hampe florale. Ce type de propagation végétative porte le nom quelque peu ésotérique de multiplication apomixis. Pour observer ce phénomène, il est nécessaire que la plante subisse une grande différence de température entre le jour et la nuit au moment de la floraison. Si ces conditions sont réunies, des rejets risquent d'apparaître alors au niveau des ramifications de la hampe florale. Durant le printemps 98, j'ai eu la chance d'observer ce curieux phénomène sur deux de mes plantes.


Mes dionées ont formé leurs hampes florales début mars. Ces plantes sont dans une petite véranda non chauffée d'environ 20 m3. En raison du faible volume de celle-ci, le moindre rayon de soleil fait rapidement monter la température (parfois 25°C en plein hiver !). Cette année, le printemps à été très ensoleillé, aussi lors de la floraison de mes dionées, la température du local oscillait entre 28-32°C la journée et 5-8°C la nuit ; soit des écarts de plus de 20°C. Quant au taux hygrométrique, il se situait aux alentours de 50-60% la journée et 100% la nuit.


Vers la fin mars, les hampes sont bien développées et les boutons floraux commencent à grossir. Au même moment, à la base de la tige de quelques boutons, une protubérance de couleur rouge commence à apparaître. Une semaine plus tard, de petits pièges se forment à partir de ces protubérances. Il y a maintenant deux rejets sur une hampe et un sur l'autre. Les fleurs s'ouvrent les unes après les autres et je prends soin d'effectuer une pollinisation croisée afin d'obtenir un maximum de graines.


Nous sommes maintenant fin avril, les rejets ont développé 3-4 feuilles de près de 2 cm. Je les laisse en place encore quelques semaines et, fin juin, je me décide à les détacher. J'ai quelques craintes. En effet, les plantules mesurent 4cm de haut et elles ne possèdent aucune racine. Comment vont-elles réagir lorsqu'elles seront séparées du pied mère ? Afin de limiter la déshydratation, je coupe de moitié toutes les feuilles et je place les rejetons dans un pot rempli de sphagnum haché. J'ai bien fait de couper les feuilles puisque les jours suivants les plantules se déshydratent fortement.


Cela fait déjà 15 jours que les rejets sont dans la sphaigne. Sur les trois, deux ont fait une petite racine et ont recommencé à grandir, le dernier traîne un peu mais une semaine plus tard, c'est à son tour de prendre racine. Enfin, à la fin du mois de juillet, je rempote les plantes dans un pot commun avec du compost habituel.


Avant que les plantes n'entament leur période de repos, la partie-piège des feuilles faisait environ 1cm de long (la rapidité de croissance est à peu près équivalente à celle d'un bouturage de feuille). L'hiver s'est bien passé et maintenant, avec l'arrivée des beaux jours, les dionées sont sorties de leur léthargie pour entamer une nouvelle saison de croissance. D'après la taille des nouvelles feuilles, les plantes devraient atteindre une taille respectable. Il s'agit peut-être d'un hasard mais je n'ai pas eu la moindre formation de graines. A moins que la plante par souci d'économie ait dû faire un choix ?


NB : Le phénomène de reproduction par apomixie n'est pas inconnu des amateurs d'orchidées puisqu'un bon nombre de celles-ci, notamment les Dendrobiums, produisent dans certaines conditions, des rejets en lieu et place des hampes florales. Les orchidophiles appellent ces rejets "keikis" ce qui signifie "bébés" en hawaïen.



DIONÉE 44 - 2000