Observation de Roridula gorgonias, note sur la notion de carnivorité végétale. (Olivier License)
En lisant les derniers articles de la rubrique scientifique du supplément
(rubrique très intéressante!) sur le problème de la carnivorité de Roridula
gorgonias, il m'est venu différentes questions sur le problème de la carnivorité
végétale.
Si l'on se réfère à la littérature actuelle, une plante n'est dite carnivore
que lorsqu'elle réalise les quatre fonctions primordiales suivantes:
C'est au niveau de cette avant-dernière fonction que la difficulté surgit, car des
problèmes de définition se posent. En effet, si R. gorgonias a recours à une
symbiose avec une punaise (Pameridae) pour digérer ses proies, elle attire des
animaux en réfléchissant les rayons ultra-violets, et les capture grâce à la
sécrétion d'un produit collant. Ce n'est pas comme chez le genre Drosera du
mucilage, mais simplement de la résine (plus collante mais moins élastique).
C'est d'ailleurs pour cela que cette «colle» persiste sur la feuille morte
(contrairement aux droséras), ce qui permet à la plante d'augmenter le nombre
des captures en utilisant des organes morts en plus des vivants. Et comme les
collectionneurs qui possèdent l'espèce en culture ont certainement pu le
remarquer, ce mécanisme est extrêmement efficace, de sorte que la plante est
constamment recouverte d'insectes morts (principalement volants). Ces derniers
semblent mourir d'épuisement et de faim, mais pas d'asphyxie, car la sève est
beaucoup moins gluante que le mucus des Droséras, et elle ne s'accumule
donc pas sur la proie, d'où une mort plus lente.
De plus, après de nombreuses expériences à l'azote lourd (N15), elle paraît
bien assimiler les excrétions des punaises (urée), vraisemblablement grâce à
ses stomates, ce qui doit donc nécessiter des structures cellulaires spécialisées
dans cette assimilation.
Il semblerait donc bien que R. gorgonias soit une plante carnivore, même si
la digestion se réalise par l'intermédiaire de symbiotes. Des plantes comme
Darlingtonia californica ou Heliamphora sp. ont bien été définies comme
carnivores malgré une digestion réalisée par des bactéries. Alors pourquoi
pas R. gorgonias ? Quelle est sa différence avec les deux autres genres
mentionnés, sinon que les symbiotes de l'un soient pluricellulaires, et des
autres unicellulaires ? Dans ces trois cas, ce ne sont pas les plantes qui
réalisent la digestion.
Toutefois, nous devons nuancer nos jugements quant à sa carnivorité,
car de nouvelles expériences sont nécessaires pour prouver l'assimilation,
et pour mettre en évidence la voie d'assimilation (structures cellulaires).
Aussi, si les expériences se révèlent positives, l'on voit de nouvelles
questions apparaître alors, à savoir:
Dans tous les cas, la révision de la terminologie est nécessaire. Car des plantes
comme de nombreuses Broméliacées voient dans leur réserve d'eau de petits animaux
se noyer, par la disposition et la texture des feuilles qui les empêchent de
remonter, et tirent profit de leur décomposition par des bactéries vivant dans
le milieu aquatique, en émettant des racines dans cette poche ou tout simplement
en assimilant cette solution qui ruisselle sur le sol par leur système racinaire,
comme des matières organiques et minérales du substrat. De plus, beaucoup de
plantes, comme les pétunias, sont recouvertes de poils glanduleux sécrétant un
liquide s'apparentant au mucilage des droséras, et capturent beaucoup de petits
insectes. Cependant elles ne digèrent pas leurs proies directement, et la
présence des poils serait un moyen de défense contre les parasites (pucerons,
aleurodes...). Mais, elles pourraient très bien tirer profit de tous ces
cadavres en absorbant, au travers du sol et par leurs racines, des éléments
extraits de la putréfaction de ces derniers par des décomposeurs une fois
les feuilles ou tiges mortes tombées sur le sol. Il pourrait alors s'agir de
«plantes indirectement carnivores», qui attirent et capturent de petits
animaux, mais qui, ne les digérant pas, ne bénéficient de leurs apports
nutritifs qu'indirectement grâce à leur décomposition. Il ne s'agit donc
ni de plantes carnivores vraies, ni de plantes carnivores symbiotiques.
Toutefois, elles méritent d'être soumises à des expériences poussées pour
savoir si certaines matières des proies sont assimilées par les plantes
(expériences de type azote lourd, éléments radioactifs...), car elles ont
tout de même mis en place un dispositif de capture voire d'attraction.
En conclusion, la notion de carnivorité végétale doit être approfondie, voire
redéfinie. Car, avec l'essor énorme des sciences expérimentales, dû à la
découverte de nouvelles techniques et aux études nombreuses et poussées des
amateurs, la botanique et la biologie végétale n'ont pas cessé d'évoluer de
plus en plus rapidement. Aussi, il est de notre devoir de contribuer à son
développement par la culture, en multipliant les espèces rares et récemment
découvertes, et en rapportant nos observations.
(1)
Note de Mickaël Legrand : La chose est encore plus complexe si l'on considère
que ces formes de digestion peuvent varier dans un même genre ou même au sein
d'une seule espèce : dans le genre Heliamphora, par exemple, H. tatei produit des
enzymes dans certaines conditions de station (Schnell, CPN 24, p40-42)
DIONÉE 43 - 2000
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