P. aganta "El Lobo" fraîchement rempotée

(Photo : S. Lavayssière)

Pinguicula du Mexique : Petit retour sur l'expérience de 5 années de culture

(Eric. PARTRAT)


Lorsque je me suis lancé dans la culture des pinguiculas du Mexique, j'avais en tête tous les a priori de mes premiers pas dans la culture des plantes carnivores... Je sais que cela va faire rire les « anciens » mais je lisais partout (ou croyais lire) que le substrat universel conseillé pour la culture de toutes les plantes carnivores était un mélange de tourbe et de sable non calcaire, à l'exclusion de tout autre mélange, que le sol se devait d'être détrempé en permanence comme celui d'une tourbière (où poussent évidemment toutes les plantes carnivores ! ), que le calcaire était un poison redoutable pour ces plantes... Vaincre ces à priori n'a pas été facile : admettre l'ajout de calcaire dans le sol ou laisser sécher ces plantes pendant leur période de repos ont été des étapes marquantes au cours de ces années... Heureusement qu'une des caractéristiques de ces plantes est leur incroyable vivacité à surmonter bien des maladresses. Je suis très reconnaissant à Laurent LEGENDRE d'avoir fini par me convaincre du bien fondé de l'apport de calcaire dans le substrat des grassettes.


Voici donc en résumé ce cheminement vers une meilleure culture des pinguiculas mexicains.


LE SUBSTRAT :

Mélange de 2/3 de tourbe et 1/3 de sable de Loire :

C'est le premier mélange que j'ai utilisé pour faire pousser mes plantes mais j'ai constaté que les racines de mes grassettes couraient en surface du pot, chétives, maladives... On avait même l'impression qu'elles cherchaient à éviter ce substrat. Il était fréquent de voir des racines s'aventurer hors du pot à la recherche d'un sol plus propice. Apparemment, dans ce type de sol très acide, les plantes produisent en permanence de nouvelles racines à l'espérance de vie assez brève (au lieu d'être pérennes). Ces racines sont aussi très fines et sans aucune ramification à leur extrémité.


Mélange de 1/2 tourbe, 1/4 de sable de Loire, 1/4 de mélange de Perlite-Vermiculite :

Les racines, toujours de petite taille, pénètrent un peu plus directement dans le sol. En revanche, elles sont toujours aussi peu ramifiées et plusieurs fois, par maladresse, j'ai sorti des plantes de leur pot rien qu'en accrochant accidentellement quelques-unes de leurs feuilles. Il est donc important d'être prudent, le moindre vent un peu fort pouvant déraciner la plante (dans le cas d'une culture en extérieur évidemment). Je n'ai pas noté de réelle différence dans l'aspect général des plantes entre ce sol et le précédent.


Mélange de 1/3 perlite, 1/3 vermiculite et 1/3 de sable de Loire :

Pourquoi ne pas oublier alors cette « indispensable » tourbe et partir sur le fameux mélange préconisé par l'IPSG (International Pinguicula Study Group) ? C'est donc cette étape suivante que j'ai proposée à mes grassettes mexicaines. Celles-ci en retour m'ont gratifié d'un geste d'encouragement prometteur. Les racines sont plus longues et la croissance des plantes s'en ressent. Par contre, les plantes ne sont toujours pas solidement ancrées dans leur pot. Dernier acte vers le substrat que j'utilise maintenant (et recommande !).


Mélange précédent, plus un peu de tourbe noire et de la terre argilo-calcaire :

La tourbe noire (en très faible proportion) provient d'un mélange tout fait dit « pour fond de bassin aquatique », que l'on achète dans les jardineries. La terre argilo-calcaire est très commune en France. Elle est de couleur marron clair et a l'aspect d'une terre glaise, une fois bien humidifiée. Il faut par contre éviter de la ramasser à proximité d'une exploitation agricole (risque de pollution, engrais, pesticides... ) et privilégier des zones préservées de la main de l'homme (forêt par exemple). Je la laisse sécher afin de pouvoir facilement la concasser en petits morceaux de 3 à 5mm de diamètre environ. La proportion que j'utilise en mélange varie mais elle peut atteindre pratiquement le tiers du volume total. L'ensemble est alors intimement mélangé.

Ce substrat, qui a l'avantage de pouvoir sécher ou s'humidifier facilement, est aussi très drainant. Il apporte également le calcaire que les pinguiculas mexicains apprécient tant. Leurs racines sont charnues, pénètrent profondément le sol. J'ai même constaté que lorsqu'une racine passe à proximité de ces morceaux de terre calcaire, elle développe à son contact tout un réseau de radicelles ! C'est même impressionnant quand on n'y est pas habitué. Les plantes sont en pleine forme et « solidement » ancrées dans le sol. Les floraisons sont plus abondantes et la production de graines fatigue moins les plantes.

Actuellement, je teste ce substrat sur deux grassettes dites «particulières» : P. emarginata et P. hemiepiphytica, l'une poussant en continu, sans période de sécheresse, et l'autre étant épiphyte. Les premières constatations sur seulement deux mois de croissance portent à croire que ce substrat leur convient aussi tout à fait.



LES TEMPERATURES :

Au Mexique, les températures évoluent au fil des saisons entre 10 et 25°C suivant les zones. On peut très bien avoir en janvier 9,5°C à Chihuahua et 21°C à Veracruz. De même en été, on peut trouver en juillet 15°C à Pachuca et 27,2°C à Veracruz. Il s'agit bien sûr de températures moyennes sur cinq ans, qui ne tiennent pas compte de l'amplitude thermique existant entre le jour et la nuit.


On remarque par contre que toutes les courbes évoluent similairement quel que soit l'endroit, au fil des mois.

Il est facile d'atteindre ces températures chaudes lorsque l'on cultive ses plantes en terrarium intérieur par exemple. Pour assurer un bon éclairage des plantes, je suis parti sur 4 néons classiques par terrarium et, pour minimiser les pertes lumineuses, ils sont disposés à proximité de la vitre supérieure du terrarium. Cette proximité influe sur la température interne des terrariums et dans un appartement normalement chauffé, on y atteint facilement 25°C voire plus. La nuit, lorsque l'éclairage est arrêté, les températures descendent mais rarement en dessous de 22°C. Par expérience, j'ai constaté que mes plantes tolèrent une vaste fourchette de températures puisque des plantes de différentes localisations poussent ensemble dans un même terrarium. Dans mon appartement, les plantes poussaient en permanence avec une température plus ou moins constante de 25°C, été comme hiver, avec des pointes à 30°C pendant les canicules estivales. Il n'y avait pratiquement pas d'amplitude thermique artificiellement créée entre le jour et la nuit, ainsi qu'entre l'hiver et l'été. Après 5 ans de culture avec ces températures, je suis arrivé à la conclusion que cette trop faible amplitude thermique ne convient pas à long terme à la culture des grassettes. Résultat : des attaques fongiques foudroyantes ponctuelles, que seule l'aptitude de ces plantes à se régénérer à partir d'une seule feuille me permettait de sauver les clones. J'ai cultivé quelques grassettes mexicaines (P. moranensis, P. agnata et P. esseriana) en terrarium extérieur été comme hiver. L'été, la croissance des plantes est remarquable et l'hiver ne se passe pas trop mal. Elles ont toutes survécu au gel de leurs feuilles, à des températures plus ou moins basses (-3°C mini en région parisienne et à l'intérieur d'un terrarium fermé). Leurs feuilles ressemblaient évidemment à des feuilles de salade fanées mais le coeur de la plante a toujours redémarré au printemps. Il est par contre vital dans cette situation que le sol soit complètement sec. Suivant les espèces cultivées, je pense que la fourchette favorable se situe autour de 20 à 25°C l'été et 10 à 15°C l'hiver. L'été, les plantes apprécient une baisse nocturne de plusieurs degrés. L'hiver, lors de la période de repos, elles sont indifférentes à la présence ou non d'une amplitude thermique. Par contre, le refroidissement des températures, associé à la sécheresse progressive du sol, peut déclencher l'hibernation des plantes. Si la plupart des grassettes du Mexique tolèrent un éventail assez large de températures, certaines semblent plutôt préférer les températures de la fourchette basse (P. crassifolia, P. immaculata) mais c'est à vérifier car ces plantes n'ont pas survécu longtemps à mes températures constantes de 25°C.



AIR LIBRE, TERRARIUM ou SERRE ?

En pot, à l'air libre :

J'ai d'abord maintenu mes grassettes dans des pots sur le balcon familial, le fond des pots baignant dans de l'eau non calcaire et, bien sûr, à l'ombre pour éviter les cruelles morsures du soleil... Les plantes poussaient mais l'absence d'humidité se ressentait sur l'aspect des feuilles et leur mucilage. A éviter donc. L'arrosage était maintenu toute l'année, ce qui fait que je ne parvenais jamais à voir les plantes en rosette dense de feuilles comme sur de nombreuses photos. Cette absence de période de repos ne fait pas dégénérer les plantes mais par contre la floraison devient rare et plus variable dans le temps. Certaines fleurissaient une année en décembre, puis les années suivantes en juillet, octobre avec parfois des années sans fleurs !


En bac, à l'air libre :

Pour remédier à ce défaut d'humidité, j'ai opté pour la culture de plantes dans un bac rempli du mélange classique tourbeux (genre litière à chats) en disposant plusieurs plantes dans un même bac. Ce grand bac était disposé dans l'appartement, face à l'Est et avec, pour les plus chanceuses, du soleil pendant une petite heure. Le mucilage avait évidemment meilleure allure mais l'absence de lumière se faisait sentir : les plantes qui en recevaient le plus, avaient relativement meilleure mine que leurs infortunées voisines. Cette situation de culture peut parfaitement être envisagée mais sous réserve d'une bonne luminosité et d'un sol favorable. Attention, à l'inverse, à l'excès de lumière, qui peut entraîner un dessèchement des feuille, l'humidité atmosphérique restant de toute façon assez faible dans cette situation.


En terrarium :

Petit retour maintenant sur le pot du départ mais dans un terrarium : cela marche très bien, sous réserve de faire attention aux températures. Pouvoir combiner humidité et éclairage en appartement est facile. Par contre, l'inconvénient est que les néons ou le soleil ont tendance à chauffer (jusqu'à 25°C - 30°C) ce terrarium confiné. Les températures ne fluctuent pas vraiment. La solution serait de pouvoir arriver à refroidir les terrariums par toutes sortes de bricolages plus ou moins chanceux : eau ou air réfrigérée, ventilateur... La solution décrite par J. STEIGER pour ses grassettes tempérées (vitrine réfrigérée) peut séduire mais l'air froid produit est bien trop sec pour les plantes. Il a dû abandonner ce type d'installation pour ses propres cultures. Heureusement, j'ai fini par déménager et actuellement les plantes sont provisoirement installées dans mon garage où la température moyenne est de 18°C le jour et 11°C la nuit. Surprise, il n'y a plus d'attaques de champignons et les plantes se portent bien.


En serre :

Je ne sais pas encore, n'ayant pas connu cette situation. Mais nos grands spécialistes de la culture des plantes carnivores en serres (J.J. LABAT de NATURE ET PAYSAGE et R. SAVELLI) confirment la différence que l'on rencontre entre la culture en serre et celle en terrarium.



L'ARROSAGE DES PLANTES :

Eau de pluie, déminéralisée, osmosée :

J'ai toujours pratiqué l'arrosage à l'eau de pluie parisienne avant d'investir dans un osmoseur (par facilité, compte tenu de l'accroissement des besoins de mes cultures) mais j'aurais pu continuer à fonctionner à l'eau de pluie si la place pour stocker les bidons ne m'avait pas fait défaut. On trouve maintenant dans le commerce des osmoseurs à des prix bien plus abordables qu'il y a quelques années. Autant ne pas se priver de cette facilité.


Eau du robinet :

J'ai essayé pendant deux années d'arroser des grassettes à l'eau du robinet. Elles poussent aussi bien et fleurissent aussi abondamment que celles arrosées classiquement.


Comment arroser :

Au début, les plantes avaient en permanence 1 cm d'eau au fond de leur pot toute l'année. Ce n'est qu'avec le temps que je suis radicalement passé à une autre méthode, plus proche des conditions d'origine : une période de sécheresse du sol correspondant à la période de repos des plantes. C'est ce qu'illustre le graphique ci-dessous.


Par contre, cette sécheresse a parfois entraîné la perte de la plante dans des pots à l'extérieur ou à l'air libre dans l'appartement, soit parce que ce n'était pas la bonne période soit parce que l'atmosphère était trop sèche. Pour couronner le tout, encore à cette époque, le substrat était composé du mélange classique tourbeux. Les plantes n'appréciaient pas de se retrouver prises dans une gangue tourbeuse et une atmosphère archi-sèches.

Je suis passé alors à la culture en terrarium, qui permet d'arroser facilement tous les pots (par le dessous) et d'épargner enfin la moquette familiale des maladresses de l'arrosage bi-hebdomadaire de chaque pot (méthode lourde et pénible surtout si l'on part en vacances... ). En plus, le terrarium permettant de confiner le milieu, l'économie d'eau n'est pas négligeable. Je laisse en permanence pendant la saison de croissance, de l'eau dans le fond du terrarium. La base des pots baigne sur 1 cm en moyenne et l'arrosage n'est renouvelé que lorsque la cote basse est atteinte (2mm). L'environnement des plantes est clos pour maintenir une importante humidité atmosphérique et une brumisation journalière (et manuelle) est effectuée. Pendant la saison de repos, le fond du terrarium est complètement sec mais le terrarium est toujours clos. L'humidité atmosphérique n'est pas nulle car, point important (et indispensable par expérience), une brumisation hebdomadaire, voire bi-hebdomadaire, est pratiquée. Ainsi, aucune plante ne souffre de dessiccation totale. Mon principal souci en 98 était d'arriver à faire sécher le pot des plantes se préparant au repos, tout en maintenant l'humidité pour les autres toujours en croissance. La méthode que j'utilisais alors, était de surélever le pot de la plante concernée (sur un autre pot inversé) afin que le pot de culture ne touche plus la base humide du terrarium. Cela marche très bien mais c'est contraignant.

Cette année 1999, j'ai voulu innover et en octobre, je n'ai plus arrosé du tout les terrariums. Régime sec pour tout le monde et au moment choisi.

Je pratiquais déjà ce principe dictatorial lorsque vers mars, j'arrosais les terrariums pour déclencher le réveil des grassettes. Toutes les plantes réagissent plus ou moins rapidement à cet hivernage forcé. Début décembre, 80% des plantes étaient sous la forme d'une rosette dense de petites feuilles. Petit fait à noter : P. acuminata semblait ne pas « arriver » à former sa rosette d'hiver et à mon grand malheur, ses grandes feuilles se desséchaient. Comme je ne voulais pas perdre ma plante, je l'ai remise dans une atmosphère plus humide, identique aux conditions de croissance estivale, et cela a suffit pour entraîner la formation de la rosette hivernale en moins d'une semaine. A la mi-décembre, pratiquement 100% des plantes ont formé leur rosette d'hiver, sauf P. gigantea. Cette dernière passerait l'hiver sous la forme d'une plante un peu plus petite qu'en été, mais en tout cas, pas sous la forme d'une rosette dense de petites feuilles. Les seules plantes que je ne laisse pas sécher sont P. emarginata et P. moctezumae. J'ai fait un essai : cela entraîne immanquablement la perte de la plante. Preuve que l'on ne peut pas non plus tout généraliser...




DIONÉE 43 - 2000