Les variétés de Sarracenia purpurea L. ssp. venosa (Raf.) Wherry (Mickaël Legrand)
Sarracenia purpurea passe pour l'une des sarracénies les moins
efficaces : la balance nectar produit / insectes capturés serait
déficitaire. Et pourtant son aire de répartition est extraordinairement
étendue, du Nord-Est de la Colombie britannique à la plaine côtière du
Golfe du Mexique. De la vente à perte synonyme de prospérité : rien de plus
immoral. Mais que l'on croupisse dans une urne remplie d'eau de pluie au
Canada, dans la plaine côtière atlantique ou dans celle du Golfe, on ne croupit
pas forcément dans la même chose. L'aspect général de l'espèce, sans
comparaison dans le genre, connaît des variations plus ou moins importantes
selon leur origine géographique. La différence entre les populations du Nord
et du Sud est à peu près assimilée par les habitués et elle s'est traduite par
la distinction de deux sous-espèces : S. purpurea ssp. purpurea se cantonne
dans une région allant du New Jersey (États-Unis) au Canada et présente des
urnes plus longues, plus étroites, plus rigides et lisses que la
sous-espèce venosa qui poursuit vers le Sud. C'est d'ailleurs certainement
cette habitude bien trop ancrée qui empêchera que la nomenclature inverse les
appellations, comme cela a été récemment suggéré suite à une polémique "taxonomique".
En fait, les variations ne s'arrêtent pas là et certains savent bien que les
populations de la sous-espèce venosa sont loin d'être uniformes. Un
éclaircissement était attendu depuis longtemps, il a eu lieu grâce au
Dr Donald Schnell entre autres, qui en 1993 et 1997, a décrit les deux
variétés qui se sont ajoutées à la variété type S. purpurea ssp. venosa
var. venosa. Chacune d'entre elles est circonscrite à une aire précise.
1) Sarracenia purpurea L. ssp. venosa (Raf.) Wherry var. venosa.
Cette dénomination concerne toutes les plantes de la plaine côtière atlantique.
Les urnes sont amples, trapues, veloutées ; le capuchon large et ouvert. Les
fleurs ont des sépales et des pétales rouges à marron et le style en ombrelle
est de couleur verte. Les deux nouvelles variétés se définissent selon elle.
2) Sarracenia purpurea L. ssp. venosa (Raf.) Wherry var. burkii Schnell.
Elle possède des urnes légèrement plus amples et trapues que la variété type.
De même, les ailes du capuchon sont souvent plus larges et acquièrent ainsi plus
facilement une forme tourmentée, avec des courbures brutales. Mais la distinction
majeure vient des fleurs, souvent plus grandes, moins hautes et des plus
séduisantes. Les pétales sont d'un rose lavande qui peut aller jusqu'au rose
pastel le plus léger (cf photo). Les sépales peuvent varier du rouge-vert au
pourpre. Le style et l'ovaire quant à eux vont du vert très pâle au blanc
presque pur, cette dernière teinte tendant à s'accentuer avec l'intensité
de l'insolation.
Cette population, localisée au centre de la plaine côtière du Golfe, a la
particularité de se trouver étonnamment isolée des autres populations par un
"trou" inexpliqué en Géorgie du Sud.
Par l'appellation burkii, Schnell a souhaité honorer l'intention qu'Edgar
Wherry n'avait jamais concrétisée. Ce botaniste du début du siècle, qui avait
collecté des plants de cette variété, qu'il considérait comme une simple
"mutation", avait parlé de la dédier à Louis Burk, à qui il en avait envoyé
en 1933 et qui était vraisemblablement un horticulteur renommé de Philadelphie.
Schnell a prouvé depuis que les caractères génétiques de cette population
étaient relativement stables et homogènes, étendus à toute la population,
et qu'elle méritait par conséquent ce statut de variété spontanée.
N.B: Les graines que j'ai diffusées depuis quelques années via la Bourse de
Dionée sous l'appellation Sarracenia purpurea ssp. venosa "fleur rose clair"
proviennent d'un plant appartenant après examen à la variété burkii, et ont
dû vraisemblablement donner des rejetons conformes.
2 bis) Sarracenia purpurea L. ssp. venosa (Raf.) Wherry var. burkii Schnell f.
luteola Hanrahan & Miller.
Il s'agit de la dernière venue officielle, décrite seulement en 1998 et qui nuance
la var. burkii. Découverte de Bob Hanrahan en 1982, sur sa tourbière privée (Baldwin
County, Alabama cf. Dionée n°39), cette forme luteola est à la var. burkii, ce que
la forme heterophylla est à S. purpurea ssp. purpurea : une forme dont les
anthocyanines, garantes de la pigmentation rouge, se trouvent neutralisées ;
d'où une plante d'un vert qui tire vers le jaune dont les fleurs sont jaune
pâle ("luteola" désigne en Latin ce qui se teinte de jaune). Inutile de préciser
que cette mutation est d'une extrême rareté : elle n'a pas été recensée
ailleurs pour l'instant. Néanmoins, elle se laisse multiplier fidèlement par
semis (même si on a constaté que la production de pollen était plus faible que
chez la variété type), ce qui peut donner quelque espoir aux collectionneurs.
3) Sarracenia purpurea L. ssp. venosa (Raf.) Wherry var. montana
Schnell & Determann.
A l'inverse de la variété burkii, la principale caractéristique de cette variété
réside dans ses urnes. Originaire des tourbières à sphaignes des montagnes (d'où
son nom) du Sud-Ouest de la Caroline du Nord, de l'extrême Ouest de la Caroline
du Sud et de la Géorgie du Nord, la variété montana semble en avoir gagné l'aspect
plus "modeste" des plantes d'altitude. Les urnes sont encore plus trapues que chez
les autres variétés, très rondes, plus petites aussi. Mais c'est la conformation
des lobes du capuchon qui surprend le plus : recroquevillés sur l'ouverture de
l'urne, ils vont jusqu'à se toucher et dissimuler la majeure partie de celle-ci ;
les poils qui en tapissent l'intérieur sont pour leur part plus courts (0,8-1mm)
que chez les autres variétés (1,5-3mm). Si ce recroquevillement peut survenir
occasionnellement chez d'autres plantes à la suite de quelque choc, il n'est
jamais constant comme chez la variété montana.
Cette variété, encore peu répandue dans les collections, est en péril dans son
milieu naturel car ses sites de prédilection diminuent rapidement tant sur le plan
de la quantité que de la qualité. Les raisons principales en sont le développement
humain qui entraîne l'épuisement des nappes phréatiques, l'exploitation des
sources ; à cela s'ajoute la pousse de buissons et d'arbres qui entrent en
compétition avec les plantes à urnes.
Si ces trois variétés offrent des caractéristiques suffisamment marquées pour
honorer leur statut taxonomique, cela n'empêche pas pour autant les populations
de varier à un degré moindre au sein de chaque variété. Outre le cas de la f.
luteola de la var. burkii, la coloration des urnes notamment varie beaucoup et
peut-être que l'horticulture instituera de son côté quelques clones bien
différenciés.
Bibliographie
et plus particulièrement, les deux articles suivants, aimablement communiqués
par leur auteur :
complétés par :
DIONÉE 43 - 2000
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