La germination : quelques expériences

(Mickaël LEGRAND)


Maintenant que le grand druide a parlé, l'apprenti-sorcier peut venir apporter son écot. Ne comptez pas sur moi pour dénigrer le semis, j'en suis un ardent pratiquant depuis le début toujours in-vivo, car je vis encore aux temps héroïques. Plus de la moitié de ma collection a été bâtie ainsi. C'est le meilleur moyen d'acquérir nombre de variétés rares tout en n'ayant pas (trop) à faire marcher la planche à billets ; à la nuance près que l'acquisition de clones vous sera interdite par ce biais : n'en attendez pas de Dionaea "Akay Ruy", de Pinguicula x "Sethos", de Sarracenia flava "maxima" ou que sais-je encore. Mais les perspectives n'en demeurent pas moins alléchantes et il ne vous restera plus qu'à vous armer de patience, de savoir-faire et de chance malgré tout. Des choses fonctionnent un jour, un autre pas, sans que l'on sache vraiment pourquoi. Il faudrait faire des expériences, très rigoureuses et à grande échelle pour avoir des certitudes, ce qui n'est pas en mon pouvoir - quoique cela reste à prouver ; comme Laurent LEGENDRE l'a souligné, les graines sont capricieuses et obéissent à des calendriers différents des nôtres. En outre, il serait nécessaire d'avoir des garanties sur la qualité des graines elles-mêmes, pour s'interroger légitimement sur la validité d'une méthode, lorsqu'elle a été pratiquée sur un nombre restreint d'espèces. En règle générale, je préfère éviter le doute systématique, non pas pour ménager les producteurs, mais tout simplement pour me ménager, moi. Une petite réflexion cependant : au bout d'un certain temps, n'incriminez pas trop la qualité des graines. Progressivement, nous tentons le semis d'espèces de plus en plus rares et de plus en plus difficiles, et la déception est souvent à l'échelle de notre attente, alors que nous devrions mieux comprendre à cette occasion la raison de leur rareté !


Voici le compte-rendu des expériences que j'ai pu pratiqué au cours de mes semis, tout en sachant qu'il vous restera à faire vos preuves de votre côté, dans vos conditions. Et j'espère sincèrement que mes échecs seront vos réussites (mais pas trop quand même).


Toutes les expériences impliquant de l'acide gibbérellique (GA3), ont été réalisées avec une solution de 10 mg de GA3 pour un litre d'eau. Il n'est pas toujours facile de s'en procurer. Le seul vendeur de graines à en commercialiser en petites quantités, qu'il peut joindre à la commande, est à ma connaissance Allen LOWRIE (6 Glenn Place / DUNCRAIG 6023 / WESTERN AUSTRALIA). Il le vend sous forme de petits carrés de papier imprégnés qu'il s'agit de tremper dans 10 ml d'eau pour obtenir une solution de traitement. Si vous n'avez qu'un petit nombre de semis à faire et que vous commandiez une partie de vos graines chez lui, cette alternative reste la meilleure. Auquel cas, pour économiser de la solution, le mieux est de mettre vos graines dans de petits sachets de papier (pas trop épais) numérotés au crayon et de les plonger simultanément dans la solution. Après 24 heures (en général), retirez-les et laissez-les sécher pour vous faciliter le semis. Il semblerait que l'on puisse également traiter sur place un semis réticent afin de lui donner une deuxième chance. Prélevez alors la solution à l'aide d'une pipette ou d'une seringue (sans son aiguille) et répartissez-la au compte-goutte à la surface du substrat.

Le traitement à la fumée peut quant à lui se faire de façon artisanale mais je n'ai jamais essayé. Pour cela, il faudrait mettre les pots, ensemencés et humidifiés, dans quelque chose comme une vieille cocotte-minute. Les pots sont placés dans le panier métallique, au-dessus d'une couche de tourbe sèche qui se consume lentement. Recouvrez à demi le récipient et laissez couver pendant une heure. Autrement, vous pouvez de nouveau avoir recours à de petits papiers, imprégnés cette fois-ci d'une solution ayant fixé les composants chimiques d'une combustion. Comme pour la gibbérelline, il vous suffit de les mettre à tremper dans 10 ml d'eau pour obtenir ce que vous rencontrerez dans les textes en Anglais sous le nom de smoke solution. Encore une fois, Lowrie peut en fournir et c'est ce que j'ai utilisé.


Byblis

L'utilisation de GA3 est conseillée pour tous les Byblis et B. gigantea en particulier, mais je pourrais difficilement vous la vanter. Pour l'heure, je n'ai pas eu de résultats convaincants. Des graines de B. gigantea semées au début du printemps et traitées (constitution de deux lots, l'un séjournant 24 heures dans la solution, l'autre 48), n'ont pas levé. Auparavant, l'utilisation de la solution de fumée n'avait pas donné plus de résultat. Mais j'ai lu qu'il était possible que les graines requièrent au préalable la chaleur et la relative sécheresse quelles subissent pendant leur été australien. Peut-être les graines se réveilleront-elles cet automne.

Pour ce qui est de B. filifolia, sur peut-être une quinzaine de graines, deux ont germé après traitement. Néanmoins, j'avais déjà obtenu un résultat similaire une année précédente, en conditions habituelles. Même chose pour B. liniflora : une année, je suis parvenu à une germination exceptionnelle sans aucun additif (les graines étaient de première fraîcheur, issues de mes cultures de l'année précédente) un succès avec lequel d'ailleurs je ne parviens pas à renouer, quelle que soit la méthode.


Dionaea muscipula

Le GA3 a été utilisé avec de bons résultats mais les semis-tests (sans traitement spécial) n'ont pas démérité. Je ne peux donc dire si l'utilisation du GA3 a un réel effet et si par conséquent elle s'impose.


Droseras tubéreux et droseras d'Afrique du Sud (groupe D. cistiflora)

J'ai fait des expériences sur un grand nombre d'espèces avec des résultats divers, parfois surprenants. Pour toutes, j'ai eu recours à un semis hivernal car, en théorie, les graines ne germent qu'à des températures de 5-10°C (croissance durant la saison froide et humide). Chaque lot de graines a été divisé en deux, l'un étant traité à la gibbérelline, l'autre à la fumée. En cas de bonne germination, les deux méthodes ont donné des résultats à peu près équivalents. Par contre, face à une plus grande résistance (une ou deux plantules à lever), ce fut toujours le GA3 qui emporta le morceau. J'aurais donc tendance à privilégier ce dernier. Certaines graines (surtout des tubéreux) n'ont pas réagi. Peut-être leur faut-il une période de chaleur comme pour Byblis (éventuellement).

Par ailleurs, d'autres ont vraiment été fantaisistes. D. cistiflora, qui avait commencé à germer normalement en hiver, a continué tout le printemps à lancer d'autres plantules. J'ai redouté alors le problème de la mise au repos et au sec relatif : les derniers se seraient-ils assez développés pour affronter des temps plus durs ? La reprise de la végétation a dissipé ces doutes : les plantules se sont débrouillées, assumant la responsabilité de leur retard. C'est certainement là la leçon à assimiler : laisser la plante pousser comme bon lui semble - castrateur pour nos velléités tyranniques mais pourtant incontournable. De même, des D. gigantea ssp. geniculata qui avaient commencé à germer raisonnablement en hiver, ont connu leur pic de germination en pleine chaleur estivale ! Je les ai laissés faire, nous sommes restés en bons termes et aujourd'hui tout est rentré dans l'ordre. A l'opposé, des DD. alba et pauciflora, semés en septembre après traitement, n'ont rien donné. Je soupçonne la responsabilité du temps particulier que nous avons eu à ce moment-là (il y a deux ans) : le retour prolongé de la chaleur tout le mois d'octobre dans le Sud-Ouest (ce que nous appelons l'été indien) a pu contrecarrer la stimulation du GA3. Des plantules sont apparues l'hiver de l'année suivante après un nouveau traitement, sur place, au GA3.


Droseras chauds ou tempérés vivaces

Si vous souhaitez renouveler vos potées, je vous conseille de semer vos propres graines dès maturité. Il est inutile de leur faire passer l'hiver dans le bac à légumes du réfrigérateur avant de les semer au printemps suivant. Vous gagnerez ainsi de deux à trois mois sur le temps de germination habituel pour des graines moins fraîches.


Droseras à hibernacles

On a recours la plupart du temps à une stratification (graines soumises au gel pour ramollir leur enveloppe). Le tout était de savoir si le GA3 pouvait s'y substituer. Le résultat est encore une fois mitigé. D. rotundifolia f. corsica a bien germé après traitement alors que DD. arcturi et stenopetala sont restés de marbre, mais il faut dire que les graines exposées au gel de ces deux dernières espèces, n'ont rien donné non plus. Le rôle du GA3 reste à confirmer mais le résultat est encourageant.


Pinguiculas à hibernacle

L'enjeu était le même qu'avec les derniers droseras évoqués. Hélas, je n'ai rien obtenu avec l'utilisation de GA3. Cet échec est cependant à relativiser. Seulement deux essais ont été effectués et l'un deux portait sur des graines peut-être mal conservées (et peut-être non-viables : il s'agissait d'une tentative d'hybridation P. grandiflora x hirtiflora).

Par ailleurs, voici la méthode que Loyd Wix pratique : il laisse tremper les graines dans de l'eau déminéralisée bouillie jusqu'à ce qu'elles commencent à germer. Ainsi les graines évacuent leurs substances inhibitrices.


Sarracenia

L'utilisation de GA3 peut donner des résultats particulièrement satisfaisants. Elle dispense de la stratification, fait intervenir la germination en 4 semaines (au lieu des 6 habituelles) et ce avec un taux de réussite générale de 90% pour la demi-douzaine de variétés (du commerce) que j'avais semées en plein mois de juillet ! Les plants semblent également plus vigoureux. Dans des semis ultérieurs, j'ai pu voir toutes les graines d'une variété observer un mutisme total. Mais elles ont levé en masse dès le mois de janvier suivant. Je ne peux pas dire si cette belle réaction tardive a quand même été favorisée par l'utilisation antérieure de GA3. Mais globalement, c'est très positif.


Utricularia et Genlisea (voire Heliamphora)

La germination d'Utricularia est particulièrement problématique (pour tout dire, je n'ai jamais rien obtenu). Voici néanmoins la méthode que Lowrie a découverte il y a peu de temps, elle fonctionnerait aussi pour les deux autres genres. Ne l'ayant pas essayée moi-même, je vous la livre telle quelle :

Les graines sont semées soit sur un mélange tourbe / sable (1/1), soit sur tourbe pure. Placez le pot dans un récipient assez profond de façon à ce que le niveau d'eau arrive au minimum à 4 cm sous la surface du substrat. Recouvrez d'eau trois fois par jour pendant un minimum de 5 mn par trempage (il faudra certainement que la surface du substrat soit légèrement en deçà des rebords du pot pour éviter que vos graines ne prennent le large). Fournissez l'éclairage le plus vif et le plus long possible (10-12 heures par jour). Températures diurnes jusqu'à 35s autour de 18°C. Assurez une circulation d'air constante et efficace.


Entretien général

L'intérêt de hâter la germination des graines n'est pas tant de satisfaire l'impatience du cultivateur que de limiter au maximum les risques. Une germination qui s'étend sur un an, voire plus encore, incite à prendre en considération l'évolution du substrat. Au mieux, les graines mettront généralement un mois à germer ; nous sommes loin des germinations-éclairs des plantes grasses qui prennent souvent une semaine. Entre-temps des mousses peuvent apparaître, se révéler envahissantes et aller jusqu'à étouffer certaines espèces. Des moucherons peuvent venir pondre et faire de votre substrat un terrain de déprédation pour leurs larves (elles raffolent des racines des plantules). J'ai beau cultiver droseras et pinguiculas tout autour, j'en suis toujours à utiliser un insecticide. De même, de minuscules créatures non-identifiées, noires et ponctuées de blanc, à l'apparence d'acariens, viennent pulluler. Certaines sont capturées par les jeunes plantules lorsqu'il s'agit de droseras, mais elles restent en surnombre. Toujours insecticide, à renouveler régulièrement - vigilance !

Enfin, pensez à la circulation d'air, capitale pour éviter les moisissures, et qui viendra optimiser l'utilisation d'un fongicide, qui ne peut pas tout faire.


Merci à Laurent LEGENDRE qui a accepté de s'occuper de la partie plus technique de cet article. Les quelques informations dues à LOWRIE proviennent de sa notice de culture, joignable sur demande à une commande ; un grand merci à lui aussi pour les services qu'il a pu me rendre par ailleurs. Même chose pour Roger SAVELLI.



DIONÉE 42 - 1999