La germination : comprendre nos plantes

(Laurent LEGENDRE)


Du fait de leur petite taille, de leur dureté et du faible entretien qu'elles demandent, les graines constituent un élément de choix pour multiplier nos plantes ou bien se les échanger par courrier. C'est d'autant plus vrai quand on désire véhiculer une plante entre nos deux hémisphères aux saisons inversées. Autre avantage notoire, leur récolte sur site endommage rarement le devenir d'une petite communauté.


Et pourtant, l'art de la germination est délicat. Si certaines espèces sont sans problème, d'autres constituent un réel casse-tête. Les recettes abondent, toutes aussi différentes que contradictoires. Pour certaines, il faut des graines «fraîches». Pour d'autres, il faut attendre plusieurs hivers, allumer un petit feu sur le pot de semis ou bien encore ajouter des hormones. Bref, on peut vraiment se demander pourquoi un phénomène qui semble se produire avec tant d'aisance dans la nature est si compliqué à reproduire en culture.


L'homme et la nature : deux sources d'exigences différentes

La raison en est très simple : le cahier des charges d'une graine est beaucoup plus rempli dans son milieu naturel que dans un pot. Elle ne doit, en effet, pas germer trop vite pour avoir le temps d'être transportée loin des parents (en tout cas ne pas germer dans sa gousse nourricière). Elle doit germer à des moments bien précis et donc, par exemple, ne pas confondre le signal automne doux et printemps ou bien attendre que le feu ait nettoyé le terrain pour la future plante. Pour toutes ces raisons, une graine en nature doit avant tout pouvoir retenir son envie de germer. Mais ces freins à la germination, même s'ils sont variés, et parfois très bien verrouillés, ne constituent pas l'obstacle le plus insurmontable pour l'horticulteur. Le pire vient de cette notion de diversité si importante pour la survie d'une espèce végétale dans un milieu changeant. Les germinations de graines d'espèces sauvages sont ainsi souvent asynchrones et peuvent s'échelonner sur plusieurs années...même dans un pot. La meilleure preuve des différences d'exigence entre l'homme et la nature est qu'une espèce végétale est considérée comme domestiquée quand, après sélection par l'homme, la germination de ses graines est obtenue de manière synchronisée après simple semis. Le retour à la vie sauvage est alors impossible. Mais quels sont ces facteurs internes à une graine qui en retardent la germination ?


Contrôle hormonal de la germination

L'hormone végétale d'abscission, l'acide abscissique est la principale hormone responsable de la non-levée des semis. Elle s'accumule dans une graine lors de sa maturation de manière à l'empêcher de germer dans la capsule de la plante mère même si elle venait à être mouillée. Son taux décroît ensuite lentement lors du stockage de la graine et des études génétiques ont montré que, tant qu'elle est présente en quantité suffisante, cette substance joue parfaitement son rôle de retardant de la germination. Son action est contrecarrée par une autre classe d'hormones, les gibbérellines. Elles existent sous forme de très nombreuses molécules proches chimiquement les unes des autres dont la numéro 3, notée GA3, est la plus courante et est l'hormone de germination vendue dans le commerce sous le nom Gibbérelline ou acide gibbérellique. Chez certaines espèces végétales l'acide gibbérellique est sans effet et ce sont d'autres hormones, telles que les auxines ou les cytokinines, qui contrebalancent l'effet inhibiteur de l'acide abscissique. Hélas, aucune règle ne se dégage à l'heure actuelle pour savoir quelle hormone stimule la germination des graines de telle ou telle espèce végétale. Mais revenons aux gibbérellines qui sont tout de même les plus couramment utilisées. En plus de leur rôle d'opposition de l'action de l'acide abscissique, elles stimulent l'hydrolyse (la destruction en plus petites entités) de la coque qui enferme le germe. Leur concentration est rarement liée au temps de stockage mais augmente avec la luminosité extérieure. Ceci nous amène à deux points importants.


Inhibition mécanique de la germination

Premièrement, la cloison solide qui entoure la graine pour lui éviter d'être écrasée ou dévorée constitue une barrière mécanique qui empêche l'embryon de se développer. Il est alors recommandé d'appliquer une incision dans cette coque si elle est trop dure pour faciliter la germination. C'est le cas par exemple des graines de DROSOPHYLLUM ou d'IBICELLA. En nature, ce sont le gel, le feu ou plus généralement la durée passée dans des conditions un peu humides (pour qu'ait lieu une digestion lente par les enzymes sécrétées par la graine elle-même) qui en viennent à bout.


Inhibition de la germination par manque de lumière

La lumière est également un élément déclenchant de la germination de beaucoup de graines (et à ma connaissance, c'est le cas de toutes les espèces de plantes carnivores), à tel point que de nombreux agriculteurs labourent de nuit pour limiter la levée des mauvaises herbes. Cette propriété est assurée par de véritables photorécepteurs et permet à une graine de germer plus facilement quand les jours s'allongent (plutôt que quand ils rétrécissent) ou de ne germer que quand elle est remise à la surface après avoir été enterrée à la suite de fortes pluies par exemple. Il est donc recommandé de stocker les graines à l'obscurité et de semer sous bonne luminosité. De nombreux ouvrages recommandent cependant de semer à l'ombre car la lumière favorise l'apparition d'algues et mousses de surface qui vont étouffer les jeunes plantules. Personnellement, je pense que, pour nos plantes, il est préférable de contrôler ces éléments indésirables pour avoir une germination plus rapide et des plantules moins étiolées. Certaines personnes (les recettes de grand-mère) suggèrent d'arroser avec des infusions de paille ou de déposer des aiguilles de pin sèches et finement broyées en surface. Alternativement, mousses et algues peuvent être enlevées manuellement.


Inhibition chimique de la germination

Une multitude de composés, dont la plupart dérivent de produits phénoliques aux propriétés anti-microbiennes stockés dans les coques des graines ou les réserves de nourriture, jouent également un rôle d'inhibiteur des processus germinatifs. Ils peuvent soit avoir une action spécifique en bloquant la mobilisation des réserves du grain, soit empêcher l'eau de mouiller la graine du fait de leur caractère hydrophobe. Certains s'oxydent lentement avec le temps. Cette réaction d'oxydation consomme de l'oxygène qui n'est donc plus disponible pour l'activité métabolique de la graine. Ces phénomènes d'inhibition de la germination sont appelés l'inhibition tégumentaire. Dans la nature, tous ces composés inhibiteurs sont évacués de la graine par lessivage lors d'abondantes précipitations ou de fontes de neige. Il est ainsi recommandé de laisser tremper les graines de DARLINGTONIA dans un verre d'eau froide jusqu'à ce qu'elles coulent (signe qu'elles commencent à absorber l'eau et donc à se mouiller) ou d'immerger les graines de PINGUICULA (surtout tempérées) jusqu'à ce qu'elles germent.


Stimulation chimique de la germination

Plusieurs espèces de plantes carnivores, notamment en Australie et au Mexique peuvent rester de nombreuses années sans germer en attendant qu'un feu de brousse vienne les réveiller. Il semble alors que dans ces cas-là (et ceux-là uniquement), une substance présente dans la fumée et soluble dans l'eau (mais de nature chimique encore inconnue) stimule la germination.


Stimulation de la germination par la chaleur et l'eau

Et finalement, pour compléter ce tableau, notons deux éléments dont le rôle est connu de tout amateur. Tout d'abord l'eau nécessaire aux multiples réactions chimiques et enzymatiques qui conduisent à l'hydrolyse des réserves de nourriture et donc au développement du jeune embryon. C'est l'étape de « priming » que les semenciers réalisent en stockant les semences dans une atmosphère fraîche et humide (mais pas trop pour ne pas induire la germination). Enfin, la température qui stimule le métabolisme interne des graines et donc la mobilisation des réserves en vue de la germination.


Conclusion

Ainsi, la germination d'une graine est contrôlée par de nombreux facteurs (voir figure 1). Toutes les conditions de germination doivent être satisfaites en même temps pour qu'il y ait levée de dormance. Un excès de chaleur sans eau, par exemple lors d'un stockage long à température ambiante, conduit à la mort de la graine (d'où la nécessité de graines fraîches). Hélas, les besoins diffèrent d'une espèce à l'autre et il n'existe aucune recette miracle applicable à toutes les plantes. Il convient donc à chacun d'entre nous d'expérimenter, espèce par espèce, pour pouvoir assurer la pérennité de nos collections par l'intermédiaire des semis de leurs graines. Les tableaux 1 et 2 résument toutes les informations nécessaires pour mieux comprendre les phénomènes hormonaux chez nos plantes et jouer aux apprentis sorciers. Alors à vos tablettes et bons semis.


Figure 1. - Facteurs influençant la germination d'une graine


Tableau 1. - Origine et activité de facteurs de croissances chez les plantes. Pour chaque famille de facteur de croissance, la structure chimique d'un membre a été représentée. Attention, les facteurs de croissance n'exercent pas tous, tous leurs effet, sur toutes les espèces végétales.

Facteur de croissance

Structure

Synthétisé par

Action biologique

Auxine
(acide indolacétique IAA)

méristème, primordium foliaire, graine division cellulaire, élongation, différenciation, enracinement, répression de la croissance des bourgeons latéraux, sénescence des feuilles, développement des fruits, gravitropisme et phototropisme
Ethylène

la plupart des tissus maturation des fruits, sénescence des fleurs et feuilles, abscission des feuilles et fruits, dormance, résistance au stress
Cytokinine
(trans-zéatine)

extrémités racinaires, graines division et différenciation cellulaire, croissance des parties aériennes et des bourgeons latéraux, retard de la sénescence des feuilles, développement des fruits et chloroplastes, morphogénèse
Acide abscissique

racine, feuille sénescence, stress hydrique, inhibition de croissance des parties aériennes, activation des gènes de défense et du stockage des protéines dans les graines
Gibbérellines
(GA1)

jeune tissu aérien, graine élongation des parties aériennes, germination des graines


Tableau 2. - Utilisation de facteurs de croissances par l'amateur. Les facteurs de croissance les plus couramment utilisés sont représentés. Ils peuvent être d'origine naturelle ou de synthèse. Comme ils sont rarement directement solubles dans l'eau, i convient de les dissoudre dans un petit volume (1% du volume final) d'une solution appropriée (voir colonne solubilisation) avant de les diluer dans l'eau ou un milieu de culture.

Facteur de croissance Solubilisation Conservation des solutions liquides Conservation de la poudre Dose à utiliser (mg/L)
Auxine
IAA Ethanol /
1 M NaOH
< 0°C < 0°C 0,01 - 3,0
acide-2,4-Dichlorophéoxy acétique (2,4-D) Ethanol /
1 M NaOH
20°C -5°C 0,01 - 5,0
acide naphthalène acétique (NAA) 1 M NaOH 20°C 0 - 5°C 0,1 - 10,0
Ethylène

"

gaz

-

-

0,1 - 10 ppm
Cytokinine
trans-zéatine 1 M NaOH < 0°C < 0°C 0,01 - 5,0
kinetin 1 M NaOH < 0°C < 0°C 0,1 - 5,0
benzylaminopurine 1 M NaOH 20°C 0 - 5°C 0,1 - 10,0
Acide abscissique

"

1 M NaOH < 0°C < 0°C 0,1 - 10,0
Gibbérellines
GA3 Ethanol 20°C 0 - 5°C 0,01 - 5,0



DIONÉE 42 - 1999