Les variétés de Sarracenia flava L. (Donald E. SCHNELL)
Traduit par Mickaël LEGRAND.
Cet article a été publié pour la première fois dans le
Carnivorous Plant Newsletter de décembre 1998 (vol. 27, n°4).
Son auteur est un spécialiste des plantes carnivores d'Amérique
du Nord et son livre, Carnivorous Plants of the United States and
Canada (éditeur John F. BLAIR), richement illustré, reste une
référence. Nous le remercions tout particulièrement pour les
clichés qu'il nous a permis de reproduire ici.
Introduction
D'emblée, clarifier la nomenclature des variétés de Sarracenia
flava L. s'avérait une tâche à l'ampleur décourageante, étant donné
la somme d'écrits antérieurs impliqués et la prolifération apparemment
infinie de «noms» donnés aux Sarracenias à tous les niveaux, que ce
soit par d'insouciants jardiniers britanniques à la fin du XIXe siècle
ou plus récemment par des amateurs tout aussi insouciants, travaillant
sur le terrain comme en horticulture, qui ont trop souvent nommé tout
ce qu'ils voyaient de tout ce qu'ils voulaient, sans recherche
préalable ou sans documentation de base appropriée. Bien sûr, peu
d'entre eux sont coupables des abus antérieurs mais leurs commentaires
tendent à s'établir avec le temps, en particulier depuis leur apparition
sur Internet !
Lorsque nous parlons de variations chez S. flava en particulier,
nous nous référons principalement à la pigmentation rouge : sa présence
et, le cas échéant, sa répartition sur l'urne. Y-a-t-il des veines ? la
fameuse «tache rouge» (the purple splotch) sur la gorge ? une certaine
coloration diffuse ? comment s'associent-elles ? A un autre niveau, on
peut aussi s'intéresser aux différences de taille entre les urnes,
entre les capuchons, et à l'évasement de la partie supérieure du tube ;
toutefois mes travaux montrent que tout est lié à la pigmentation rouge,
les autres détails n'étant que secondaires.
Le survol de quelques-unes des nombreuses publications sur Sarracenia
que j'ai revues, semble s'imposer afin de bien cerner le problème.
Deux vieux articles de MANDA (1892) et de BURBIDGE (1905) sont
révélateurs. Il sont amusants à lire aujourd'hui par leur caractère
quelque peu désuet, mais en eux-mêmes ils seraient plutôt terriblement
confus et trompeurs. Manda était horticulteur et lut son article devant
la Royal Horticultural Society en 1892 sur le sujet «Les plantes
insectivores». Quand il aborda Sarracenia, il répertoria 25 «noms» en
italiques suivis de commentaires (mais pas pour tous !), selon qu'ils
étaient considérés comme espèce ou hybride. Il n'y a ni indication sur
ce qui pourrait avoir été des noms de cultivars, ni description
morphologique des plantes, si ce n'est des commentaires subjectifs sur
leur attrait et leur particularité. Quelques diagnostics d'hybrides
sont corrects mais nombre ne le sont pas. Quelques variétés de S. flava
sont répertoriées comme hybrides, et vice-versa. Les noms de plantes
n'ont pas de crédit scientifique.
Quelques dix-sept années plus tard, Burbidge composa un article
sur «les plantes à urnes trompettes» (1905), un peu mieux organisé, avec
des erreurs glissées parmi des taxas corrects. Il classa Sarracenia ssp.
insofar, comme il était connu alors, avec les variétés et quelques
hybrides intéressants sur le plan horticole. Mais cette fois, les
variétés étaient classées après chaque espèce et tous les prétendus
hybrides regroupés en fin d'article. Il n'y a pas de classement des
références mais un paragraphe à la fin mentionne négligemment les
autres sources dans la littérature.
Le retentissement de ces deux exemples (et de beaucoup d'autres
articles non mentionnés ici) n'aurait pas été une mauvaise chose en soi
en horticulture, s'il ne s'était ressenti également dans les évaluations
botaniques. Si l'on souhaitait avoir un historique clair de ces plantes
et que l'on se basait sur ces travaux, ou sur d'autres du même accabit,
on aboutirait à la confusion la plus complète.
Juste avant ces deux articles, MASTERS écrivit dans The Gardener's
Chronicle (1881c), fournissant une liste des espèces bien plus cohérente
et plus claire, selon les connaissances de l'époque ; son classement des
variétés est suivi de leur crédits scientifiques et d'une description
morphologique dans le cas où des erreurs interviendraient. Par exemple,
S. flava var. crispata est de toute évidence une jolie description de
ce que nous connaissons aujourd'hui sous le nom de S. alata ; Masters
a exprimé quelques doutes sur son statut de variété et s'est demandé si
cela pouvait être une espèce distincte. Alors comment se fait-il que
Manda et Burbidge ne se soient pas inspirés de cette connaissance et
de cette qualité de présentation dans leurs travaux postérieurs ? Nous
ne le saurons probablement jamais.
Condensant tout cela, MACFARLANE a structuré sa section des
sarracéniacées pour Das Pflanzenreich (1908) et a ramené les nombreux
hybrides (?), variétés (?), etc, de S. flava, à un nombre plus acceptable,
même si sa synthèse n'est pas encore suffisamment précise. Comme c'était
la coutume à cette époque, la partie descriptive de sa monographie,
associée à des commentaires, a été écrite en Latin. A l'intention de
ceux qui avaient des difficultés avec le Latin, Macfarlane a proposé
dans Bailey (1917) une traduction en Anglais bien commode. Tous les
hybrides sont relégués à la fin de la monographie. Macfarlane reconnaît
six variétés de S. flava, dont quatre (la variété type incluse - voir
plus bas), selon moi, restent valables aujourd'hui. Les deux autres
sont sans doute des hybrides.
Dans les parutions plus récentes, les variétés de S. flava sont
habituellement classées d'après Macfarlane (ie McDaniel 1966, Bell 1949).
En 1978, j'ai publié un article sur les variations de S. flava dans
la partie Est de la Caroline du Nord, soit toute la partie Est de la
plaine côtière atlantique. J'ai réduit le spectre des variations,
facilement observable alors dans les importantes populations de cette
région, à cinq variantes génétiques pour conclure que toutes les autres
étaient des hybrides des précédentes à des degrés variables. A cette
époque, je n'ai pas nommé formellement ces variantes, car ma recherche
sur le sujet, dans les écrits antérieurs, n'était pas complète et je
n'y voyais pas grand intérêt. Je me suis référé à ces variantes par des
désignations caractéristiques (alors appropriées) et informelles entre
guillemets, telles que «typica», «all red», «heavily-veined», etc.
Depuis, en utilisant la même méthodologie que dans mon étude de 1978
(cf. article en question pour plus de détails), j'en suis venu à
reconnaître deux variétés primaires supplémentaires de la Gulf Coast,
que je présente ici.
Dans le but d'une clarification, je suis maintenant apte à assigner
des épithètes variétaux appropriés à ces sept variétés véritables ; cinq
d'entre elles reçoivent des désignations appliquées depuis longtemps,
les deux autres, quoiqu'elles soient bien connues de manière informelle,
sont décrites et publiées ci-après avec des épithètes variétaux pour la
première fois.
Le statut de variété a été préféré au grade supérieur de sous-espèce
pour deux raisons connexes. Premièrement, j'estime que les variations
n'atteignent pas un degré qui justifierait ce grade supérieur, surtout
si on se réfère à la classification infraspécifique du genre Sarracenia.
Deuxièmement, j'ai tendance à suivre l'école de pensée taxonomique qui
réserve généralement la désignation de sous-espèce aux groupes variants
d'une espèce avant tout éloignés géographiquement (allopatriques), alors
que le terme variété sera utilisé pour ces variations qui apparaissent
dans une même région, voire au sein d'une même population (sympatriques).
Les variétés de S. flava
1/ Sarracenia flava var. flava
Marque importante de pigment rouge à pourpre sur la gorge de l'urne,
avec une veinure plus ou moins importante qui irradie de là sous le
capuchon et sous la partie supérieure du tube. Informellement, je l'ai
désignée par le passé comme «typica» (1978). Puisqu'il s'agit de la
variété prédominante dans l'aire type de l'espèce, elle reçoit
automatiquement l'épithète spécifique sans qu'elle soit créditée.
Très dominant dans la plaine côtière atlantique, actuellement rare
dans la Virginie du Sud-Ouest, un peu plus commun en Caroline du nord
et du Sud.
2/ Sarracenia flava var. atropurpurea (Bull) Bell (1949)
Capuchon et extérieur du tube d'un rouge profond dans des conditions
de croissance optimales, intérieur de l'urne jaune pâle. Informellement,
je l'ai précédemment mentionnée en tant que «all red» (1978) ce qui se
recoupe bien avec les descriptions plus anciennes de la var. atropurpurea ;
ce nom est donc, bien évidemment, retenu ici(1).
Peu fréquent sur la plaine
côtière atlantique de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud, plus
rare encore sur la péninsule de Floride.
3/ Sarracenia flava var. maxima Bull ex. Mast. (1881a)
L'épithète n'est pas très heureuse pour cette variété puisque l'on
en déduirait a priori qu'elle réfère à la taille de l'urne ; elle a
d'ailleurs été utilisée abusivement à cet égard(2).
En fait, la caractéristique de cette variété décrite très tôt est que
les urnes sont vertes, sans veinures ou colorations rouges de la gorge.
Attention : ces plantes ne sont pas l'équivalent des taxas dépourvus
d'anthocyanine répandus dans le genre, puisque les bases des urnes et
les cladophylles de la var. maxima possèdent du pigment rouge. Rare sur
toute la zone de répartition, on le trouve néanmoins bien plus facilement
dans la plaine côtière atlantique de la Caroline du Nord et du Sud, il
est bien moins fréquent en Floride du Nord-Ouest.
4/ Sarracenia flava var. ornata Bull ex Mast. (1881b)
Marque rouge foncé à pourpre sur la gorge, pratiquement éclipsée par
la densité de la veinure rouge, très prononcée sur toute la surface du
tube et du capuchon. Je l'ai précédemment et informellement désignée sous
l'appelation «heavily veined» (1978). Elle est fréquente dans la Caroline
du Nord atlantique et la plaine côtière de la Caroline du Sud, beaucoup
moins facile à trouver dans le Nord-Ouest de la Floride.
5/ Sarracenia flava var. rugelii (Shuttlew. ex A. DC.) Mast. (1881c)
Le sommet de l'urne est plus évasé et le capuchon plus grand que chez
les autres variétés. La zone rouge sombre à pourpre, remarquablement
étendue sur la gorge, est souvent morcellée par des marques satellites
de plus petite taille mais sans veinure significative. Cette variété a
été abusivement nommée var. maxima par certains. Variété commune et
prédominante en Géorgie du Sud et en Floride du Nord.
6/ Sarracenia flava L. var. cuprea Schnell, var. nov
Operculo folii urceolati externo cupreo vel ferrugineo atque parte
superiore 1/4 tubi urceolati externi prominente cuprea vel ferruginea
distinguenda.
Dessus du capuchon et parfois 1/4 supérieur de l'extérieur du tube
remarquablement colorés de cuivre ou de rouille.
LOCALITÉ TYPE. États-Unis. Caroline du Nord. Brunswick County, loin de
State Rt. 211 : savane humide. Matériel d'herbier prélevé le 1er
juillet 1998 sur des plants cultivés, D.E. Schnell s.n. (HOLOTYPUS : U.S).
ÉTYMOLOGIE. L'épithète cuprea réfère à la couleur cuivre.
DISTRIBUTION. Plaine côtière du Sud-Est, surtout présent en Caroline du
Nord et du Sud, rare en Floride du Nord-Ouest.
HABITAT. Savanes ouvertes ou modérément ombrées par des pins, fossés de
drainage, marais et sur les berges de cours d'eau peu profonds, dans les
méandres. Il s'agit de la variété précédemment désignée par l'appelation
informelle «copper hooded» ou «copper lid» (Schnell 1978).
7/ Sarracenia flava L. var. rubricorpora Schnell, var. nov
Folio urceolato extus atrorubro, intus superne flavido-bubalino,
operculo flavo-viridi et venationem prominente rubram habente distinguenda.
Tube de l'urne rouge très sombre à l'extérieur, jaune-chamois à l'intérieur,
capuchon jaune-vert parcouru par une importante veinure rouge.
LOCALITÉ TYPE. États-Unis, Floride. Liberty County, matériel d'herbier
prélevé le 1er juillet 1998 sur des plants cultivés. D.E. Schnell s.n.
(HOLOTYPUS : U.S).
ÉTYMOLOGIE. «rubri-» pour la couleur rouge, «-corpora» désigne le corps du
tube de l'urne.
DISTRIBUTION. Limitée à la Floride du Nord-Ouest.
HABITAT. Savanes ouvertes ou modérément ombrées par des pins, fossés et
marais. Cette variété, à la beauté étonnante, est circonscrite à la péninsule
de la Floride sur la Gulf Coast.
Elle est très connue et on en a parlé informellement durant des années
sans qu'elle ait été décrite officiellement. Elle n'est pas commune au sens
premier du terme mais lorsque l'on parvient à la trouver, les populations sont
souvent assez importantes et offrent une vue spectaculaire. Ètant une plante
de la Gulf Coast, elle n'apparaissait pas dans mon article de 1978.
En bref
Je reconnais 7 variétés de S. flava dignes d'être nommées, les autres
manifestations de la couleur et de la veinure du spectre apparent dans
certains sites n'étant que des hybrides de variétés, des croisements ou
des écophanes. Cinq d'entre elles - majoritairement dans la plaine côtière
atlantique - furent étudiées et présentées dans mon article de 1978 sous des
désignations officieuses en attendant une «recherche bibliographique» qui
puisse retrouver des désignations variétales officielles plus anciennes
applicables à certaines d'entre elles.
Références
1) Il existe une variante chez laquelle la coloration rouge est vraiment totale.
Elle est à ranger sous la même appelation (NdT d'après Schnell com. pers.).
2) A ne pas confondre non plus avec le cultivar 'maxima', produit de l'horticulture
(NdT).
DIONÉE 42 - 1999
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