Pinguicula hirtiflora

(Mickaël Legrand)


L'Europe australe abrite une petite merveille de floribondité, j'ai nommé Pinguicula hirtiflora. La forme que je cultive s'est collée sous la botte italienne - au niveau de la voûte plantaire - en Calabre, à proximité de Rossano. avec racines au frais, plaquées sur les parois calcaires suintantes qu'offre la base des montagnes "La Silva", et vue sur la mer. Les plantes y sont protégées de la pluie directe comme de la neige : les températures habituelles se hasardent rarement sous les 0°C.

Les feuilles, d'un vert tirant sur le jaune, composent une rosette de langues satinées de 8cm de diamètre qui se terminent curieusement en coeur. Conformément aux canons européens, la feuille ondule mollement - le feuillage de la grassette est ici moins gras (!) qu'au Mexique. La croissance est continue, sans formation d'hibernacle. La fleur quant à elle diffère des autres espèces (type P. grandiflora) par ses lobes très marqués. Elle est mauve clair (son intensité variant d'un clone à l'autre) avec un coeur marqué d'une auréole blanche, comme si le tissu des pétales avait rencontré une goutte d'eau de Javel ; bien souvent, un fin liseré violet dessine les lobes. Trois fleurs peuvent se maintenir simultanément, et il semblerait que la plante en produise jusqu'à son dernier souffle. A ce jour (j'écris ces lignes en mai 1998), mon plant le plus âgé n'a pas cessé de fleurir depuis février 1997, et n'envisage pas de s'arrêter de sitôt.


La variété grecque, Pinguicula hirtiflora var. gionae, dont je n'ai malheureusement vu que la photographie, semble très intéressante. La fleur est d'un mauve profond qui contraste agréablement avec son coeur blanc, et la gorge s'orne d'une toison jaune vif. Néanmoins, j'ignore si sa floribondité rivalise avec la forme type.


L'introduction de Pinguicula hirtiflora dans une collection se fait facilement par le biais de graines fraîches, qui germent très bien. Semez au printemps sur le mélange classique tourbe/sable (2/1) dont vous aurez neutralisé l'acidité avec de la craie pilée. Attention, n'allez pas soudoyer l'instituteur du coin : la craie pour tableau contient beaucoup d'autres choses, préférez-lui la craie des champs. Ce substrat tourbeux est le plus commode, et les toutes jeunes plantules n'ont rien contre, dans un premier temps. Maintenez un petit fond d'eau sous le pot.

Repiquez dès que possible sur le mélange définitif qui mêlera vermiculite et perlite à parts égales, auxquelles vous ajouterez un tout petit peu de tourbe. Ce mélange très poreux assurera l'aération des racines qui est capitale. La craie intervient à nouveau pour alcaliniser le tout. Personnellement, je regroupe cinq plants dans une coupe en terre cuite de 17cm de diamètre. J'enfonce alors dans le mélange quelques pierres calcaires aux deux tiers (de ce genre de roche blanche utilisée pour les chemins) qui remplissent une double fonction : d'une part elles contribuent à l'esthétique de la composition, et d'autre part, comme elles sont plus ou moins poreuses, elles "transpirent" en été, apportant ainsi de la fraîcheur aux racines (c'est aussi la fonction du pot de terre).


J'ai adopté le système du bac, en fait un dessous de pot où le niveau d'eau ne dépasse pas 1,5cm en été, que j'alimente par le dessus du pot (sans lessiver les feuilles !). L'eau traverse ainsi le substrat et rafraîchit les racines - un souvenir des rochers suintants de "La Silva" - avant d'être recueillie par la soucoupe. Le mélange séchant très facilement, la soucoupe sera toujours remplie, d'un tout petit peu d'eau en hiver (une sécurité), à ras bord en été.


Pinguicula hirtiflora apprécie une forte luminosité sans pour autant goûter le soleil direct. Les températures sont celles de la serre tempérée : 4°C minimum en hiver et 30°C maximum (si possible) en été. Lors des fortes chaleurs, accentuez l'aération et brumisez les plantes une à deux fois par jour.


Ce mode de culture est aussi valable pour les grassettes espagnoles (P. vallisneriifolia, P. mundii,...).


Pinguicula hirtiflora est réputée bi- voire tri-annuelle mais à mon avis l'espèce peut se maintenir plus longtemps en culture : mon plant le plus âgé vient de produire une deuxième couronne de feuilles à l'aube de sa troisième année d'existence. Toutefois, gardez à l'esprit que sa vie reste assez brève. Je vous conseille donc de polliniser (avec un petit pinceau) les fleurs dès que possible - elles seront là avant le premier anniversaire - afin d'avoir très tôt des graines en réserve. Il serait judicieux de ressemer tous les deux ans pour ne jamais se retrouver sans fleur.


Cette espèce qui dégage une agréable impression de fraîcheur vaut par elle-même, c'est évident, mais elle offre également beaucoup de possibilités dans le domaine de la sélection et de l'hybridation. Sa floribondité rend son pollen disponible à tout moment de l'année, ce qui est très appréciable. Il était tentant d'hybrider Pinguicula hirtiflora avec Pinguicula moranensis (qui lui aussi fleurit sans arrêt) mais je n'ai encore rien obtenu. Les barrières génétiques ne devraient pas être si infranchissables puisqu'une hybridation P. grandiflora X P. moranensis a déjà été obtenue (cf Dionée n°23). Des hybridations avec d'autres espèces européennes sont plus envisageables et aussi désirables, notamment avec P. grandiflora et sa riche palette de couleurs. Je m'y emploie...


DIONÉE 39 - 1998