Australie : Plantes Carnivores en liberté (4ème partie)
(Serge Lavayssière)
Après ces trois journées passées en leur compagnie, nous avons
pris congé de Phill et Minn. Nous prévoyions un petit circuit dans la
pointe sud-ouest Australienne avant de remonter sur Perth et de sauter
dans un avion pour le Northern Territory. Phill nous indica quelques
sites de Plantes Carnivores, mais celles-ci se font rares dans la région
où nous allions en raison des forêts épaisses qui arrêtent une grande
partie de la Lumière avant qu'elle n'atteigne le soI. Cette corne est la
région la plus arrosée de Western Australia, et la végétation y diffère
assez sensiblement. On y trouve par exemple les Karri géants
(Eucalyptus diversicolor) dont la hauteur n'a rien à envier aux Séquoias
américains.
Une mauvaise surprise nous attendait à Perth : aucune place sur
un vol pour Darwin n'était disponible avant une semaine. Voila qui
modifiait notre plan ! Après tout, après avoir visité le Sud et l'Ouest de
Perth' il nous restait le Nord et I'Ouest (I'Océan Indien ???). D'autre
part, Phill nous avait indiqué quelques sites qu'il serait intéressant de
visiter.
Non loin du centre de Perth, à une trentaine de kilomètres
au nord-ouest, sur les contreforts de la Darling Range, se trouve le
"Walyunga National Park", dont les lecteurs d'Allen Lowrie connaissent
Drosera walyunga et ses fleurs aux pétales caractéristiques. Nous
n'espérions toutefois pas pouvoir l'identifier, la floraison n'étant prévue
que pendant les mois d'octobre et novembre.
Peu de temps après l'entrée dans le Parc, en grimpant les
premières collines, la route traversait une vaste zone qui avait
visiblement brûlé l'été précédent. Tous les troncs étaient calcinés et
noircis dans leur partie basse, seules les branches situées à plus d'un
mètre du soI portaient encore quelques feuilles vertes. Sur le sol
latéritique nu, la verdure renaissait, parsemée de nombreuses fleurs.
Nous décidâmes d'effectuer un premier arrêt ici et d'observer de plus
prés la végétation renaissante.
Le sol était parsemé de petites plantes, protégées du feu par une
dormance souterraine, et qui s'empressaient de fleurir et de fructifier
pour coloniser de cet espace nouvellement régénéré par le feu. Les
plus nombreuses étaient sans nul doute celles de Drosera heterophylla,
petites marguerites blanches, perchées au sommet d'une tige de 20cm
aux feuilles carnivores d'un beau vert doré. Nombreuses également les
orchidées terrestres, des petites étoiles bleues de Caladenia deformis
et Thelymitra antennifera dont le jaune vif de l'intérieur contraste avec
le rose sur l'envers des sépales.
Le temps de grimper la cinquantaine de mètres nous séparant du
sommet de la colline, nous devions trouver quelques exemplaires non
fleuris de Drosera rosulata (ou bulbosa ?), D, pallida, D. erythrorhiza
ssp. collina, D. macrantha, ainsi que de jeunes plantules de Drosera
glanduligera.
De l'autre côté de la colline, même
paysage de forêt brûlée, même végétation sur les versants, mais dans
le fond serpentait un petit cours d'eau dont les berges présentaient une
multitude de bouquets de fleurs blanches. Il s'agissait de Drosera
stolonifera ssp. stolonifera, certaines plantes de près de 30cm de
diamètre. Des tiges florales, portant chacune plus d'une dizaine de
fleurs odorantes s'ouvrant pratiquement en même temps, émergeaient
du centre de la rosette, mais les branches latérales, portant des feuilles
carnivores se ramifiaient également pour porter des tiges florifères
supplémentaires.
Sur ce sol profond, spongieux, composé des débris d'argile, de
sable et de tourbe drainés sur les versants, des centaines de Drosera
stolonifera s'étaient installés et proliféraient.
Quelques stolons de Drosera gigantea émergeaient également, la
branche principale de certains atteignait une vingtaine de centimètres
de haut et commençaient à se ramifier.
De retour à la voiture, nous avons continué à suivre la route
jusqu'au parking central, point d'information (affichage) et départ de 3
sentiers pédestres. Au vu de nuages menaçants, nous nous décidâmes
pour le plus court (Kangaroo Trail), qui devait nous conduire sur les
bords de l'Avon River (affluent de la Swan River) puis former une
boucle en traversant les collines avant de revenir au point de départ.
Pas de plantes carnivores sur les berges de la rivière, mais la
découverte d'un nid de "fourmis-bulldog" en bordure du sentier. Ces
fourmis primitives n'ont de spectaculaire que la taille (plus de 2 cm de
long). Leur nid n'est qu'un trou dans le sol et une colonie ne comprend
que quelques dizaines d'individus. Aucun de nous deux n'a eu le
courage d'en tester la piqûre !

Walyunga National Park : Tout un pan de colline couvert de Drosera stolonifera
ssp. stolonifera aux nombreuses fleurs odorantes.

(Photos S. Lavayssière)
|
Sur le chemin du retour, le sentier traversant les collines, notre
attention fut attirée par une odeur tenace apportée par le vent. Après
un détour du sentier, un versant entier était couvert de milliers de
Drosera stolonifera en fleurs, et embaumait l'air.
Pressés de regagner la voiture en raison des premières gouttes de
pluies, nous trouvâmes encore en bordure du chemin de nombreux
Drosera erythrorhiza ssp collina présentant les même teintes de rouge
que sur collines de Roleystone, à une quarantaine de kilomètres plus au
sud, ainsi que plusieurs Droséras Pygmées.
Il était bien tôt pour rentrer à Perth, mais la pluie (même
intermittente) ne nous autorisait guère de longue promenade à pied,
aussi nous décidâmes de remonter encore une trentaine de kilomètres
vers le nord, jusqu'au nord de la Chittering Valley, où Phill nous avait
indiqué un site où Drosera sewelliae devait pousser au bord de la
route.
S'il fut simple de trouver la bonne route sur la carte (après tout,
le maillage routier n'est le même qu'en région parisienne !), ce fut une
autre affaire que de trouver le Droséra Pygmée.

C'est sur ce talus en bordure de route que s'est installé ce Droséra Pygmée
qui a de grandes chances d'être Drosera sewelliae.

(Photos S. Lavayssière)
|
Après plusieurs arrêts infructueux, nous trouvâmes enfin ce qui
semblait bien être Drosera sewelliae à un endroit qui semblait bien
être le bon. Sur le bas côté de la route, sur un talus de gravier
latéritique rouge, plusieurs petites rosettes aux feuilles rougeâtres.
Impossible cependant d'affirmer avec certitude qu'il s'agissait de la
bonne espèce. Encore une fois, sans observer la fleur, il est difficile de
différencier de nombreuses espèces.
Notre but d'excursion pour le lendemain était plus touristique que
botanique. Nous allions au Nambung National Park, à 200km au nord de
Perth, voir les "Pinnacles", ces curieux monolithes de grès, au coeur
d'une zone de dunes, résultat d'une érosion toute particulière. J'avais
cependant bien noté que nous devions traverser les aires de répartition
de Drosera barbigera et de Drosera erythrorhiza var magna.
Drosera barbigera, célèbre pour la couleur intense de sa fleur, ne
vit qu'au sommet de collines, sur des bancs de sable blanc ou des
graviers de latérite.
C'était bien le genre de paysages que nous traversions, après avoir
passé Cataby sur la "Brand Highway". Quelques timides arrêts (une
pluie fine et froide tombait presque continuellement), là ou la route
franchissait un sommet de colline ne nous permirent pas de trouver ce
Droséra Pygmée.
Cependant, alors que la route traversait depuis Cataby une zone de
forêt épaisse de Banksia et d'éricacées basses et buissonnantes, apparut
sur la droite de la route une partie nettoyée par le feu, où
apparaissaient des bancs de sable blanc par endroits ou jaunes à
d'autres.
La pluie ayant fait une pause, nous décidâmes de nous arrêter là et
d'aller y faire un tour. De très nombreux Drosera erythrorhiza ssp
magna avaient fleuri sur le sable blanc. Similaires par la taille à
Drosera erythrorhiza ssp collina, la ssp magna rappelle par sa forme
l'espèce type, et comme elle, n'a qu'un nombre limité de feuilles. La
plupart des plantes de Drosera erythrorhiza ssp magna ont 5 feuilles
aux bordures et aux nervures rougeâtres. Pour comparaison, D.
erythrorhiza "Type" a en général quatre feuilles vertes, alors que D.
erythrorhiza ssp collina a beaucoup plus de feuilles, localement
diversement colorées (Roleystone, Walyunga...) :

D. erythrorhiza "Type"
|

D. erythrorhiza ssp. collina
|

D. erythrorhiza ssp. magna
|
De nombreuses plantes ont fleuri dès le réveil automnal et nous
ramassons quelques graines.
Quelques de pieds de Drosera stolonifera ssp porrecta sont en
fleurs et nous trouvons même quelques Drosera marchantii ssp
prophylla qui eux sont encore loin de la floraison. Alors que la plupart
des espèces en rosette (D. bulbosa, D. erythrorhiza, D. rosulata, D.
tubaestylis.. .) fleurissent dès le réveil, parfois même avant la formation
des premières feuilles, les espèces érigées ou grimpantes (D. gigantea,
D. heterophylla, D. macrantha, D. marchantii, D. pallida...) fleurissent
elles lorsque la croissance de la tige est terminée.
Enfin, nous trouvons encore sur ces bancs de sable fin quelques
jeunes plantules de Drosera glanduligera (plante annuelle), un Drosera
Pygmée impossible à identifier avec certitude (D. closterostigma ?) et
une nouvelle orchidée terrestre : Caladenia flava aux fleurs jaunes dont
les trois pétales supérieurs présentent une nervure centrale
rouge-orangé.
Pour notre dernier jour en Western Australia, nous partîmes cette
fois-ci vers l'est, par la Great Eastern Highway. Après avoir franchi la
Darling Range, nous arrivons dans la "Wheat Belt", zone agricole
céréalière où les plantes carnivores se font rares. Lors du retour, par
York et la "Great Southern Highway", nous traversons la "Wambyn
Nature Reserve" qui consiste en une forêt d'Eucalyptus sp sur les
contreforts Est de la Darling Range. Nous décidons d'y effectuer notre
dernier circuit pédestre en Western Australia.
A peine descendu de voiture, je remarque en sous-bois, à quelques
mètres de la route, quelques boutons floraux d'orchidée très
particuliers. En effet ceux s'allongent en une pointe très fine de 4 ou
5cm de long. Ne serait-ce pas une de ces Caladenia nommées "Spider
Orchid", Orchidée-Araignée en raison,de ses longs pétales filiformes ?
Sa floraison étant annoncée pour le courant du mois d'août, devrais-je
la manquer de quelques jours ? Quelques mètres plus loin, en sous
bois, déjà quelques unes sont ouvertes.
Un peu plus loin dans ce sous-bois, nous trouvons également de
petits D. stolonifera ssp stolonifera, et, dans une clairière, un "champ"
de plusieurs milliers de Drosera heterophylla, dont les fleur hélas, ne
s'ouvrent pas en raison du manque de soleil en cette fin d'après-midi
Nous voici donc arrivée au soir de notre dernier jour en Western
Australia, véritablement le pays des Plantes Carnivores, et c'est malgré
tout le coeur un peu gros que le soir, à l'hôtel, nous préparons nos sac
pour nous envoler le lendemain matin vers Darwin et la chaleur
tropicale.
Si la littérature dédiée aux plantes carnivores du Northern
Territory est moins fournie que celle de Western Australia (Merci Allen
Lowrie), j'avais tout de même au fond de mon sac, un C.P.N. décrivant
plusieurs sites autour de Darwin, ainsi qu'une longue lettre de
Fernando Rivadavia qui y était passé deux années auparavant.
Malheureusement, nous devrions y arriver en pleine saison sèche, nos
recherches devant donc se restreindre à quelques sites isolés.
DIONÉE 37 - 1997
|