Australie : Plantes Carnivores en liberté (3ème partie) (Serge Lavayssière)
Lors des contacts pris par l'intermédiaire de Robert Gibson, avant le
départ, il avait été convenu qu'après la visite chez Mark Stuart, Phill Mann,
un de ses amis pourrait nous héberger quelques jours. Il habitait à Mount
Barker, à 400 km au Sud de Perth, tout près de l'aire de répartition de
Cephalotus follicularis. Rendez-vous avait été pris de chez Mark pour le
mercredi 27 juillet, soit 3 jours plus tard. Phill ayant besoin de 3 jours au
moins pour nous montrer tout ce qu'il voulait, nous devions donc rester
chez lui 3 jours et 4 nuits.
Nous avons donc quitté Perth ce mercredi en début d'après-midi,
suivant la "Albany Highway" à travers la Darling Range (Jarrah Forest), puis
une région vallonnée essentiellement consacrée au pâturage extensif de
bovins (la Normandie West-Australienne). Lors de la conquête d'espaces
naturel pour l'exploitation agricole, les propriétaires sont tenus de garder
10% de la parcelle en "bush" sauvage. Ainsi, on trouve souvent entre les
routes et les champs une haie de "bush" de quelques décamètres de large.
Après quelques heures de route, un besoin naturel et pressant nous
obligea à nous arrêter quelques instants. Le bas-côté de gravier latéritique
stabilisé, à quelques centimètres du bitume, était un tapis vert ininterrompu
de jeunes semis de Drosera glanduligera. Cette annuelle avait, à en juger
par sa densité, depuis plusieurs années conquis ce sol stérile où nul autre
végétal ne contestait sa suprématie. Quelques mètres de pénétration dans
les buissons suffirent à trouver plusieurs pieds de Drosera pallida et
Drosera macrantha grimpant à l'assaut des branches environnantes.
Nous arrivâmes à Mount Barker en fin d'après-midi. Phill était au travail,
mais Min, sa compagne, et leur petite fille de 3 ans, Leah, nous
attendaient. La chambre d'amis était prête pour nous et Min nous mis tout
à fait à l'aise : nous devions nous considérer comme chez nous. Phill rentra
pour le repas. Son travail de policier lui permettait pour les trois jours à
venir de travailler de 17 heures à minuit, de façon à passer la matinée et
l'après-midi à nous montrer des plantes carnivores. Après le repas, Phill
nous proposa de voir des kangourous à l'heure où ils viennent brouter dans
les champs. En route dans le 4X4, avec la torche. Malheureusement, nous
n'en vîmes ce soir que 2 isolées, d'après Phill en raison du vent qu'il
n'aiment pas car il leur siffle dans les oreilles ! Phill se rabattit alors sur une
autre spécialité locale vivant dans tous les ruisseaux : les "marrons"
(prononcer à l'Australienne !) sorte de grosses (et succulentes) écrevisses
brunâtres, nommées ainsi par les Français qui ont contribué à découvrir
une grande part de l'Australie Occidentale.
Le lendemain, debout à 8 heures et en route vers le Porongerup
National Park, à une trentaine de km à l'est de Mount Barker. Ce Park
englobe la "Porongerup Range" une petite montagne granitique de 12 km
de long couverte de forêts de "Karri" (Eucalyptus diversicolor), de "Jarrah"
(E. marginata) et de "Marri" (E. calophylla). Au cours de la journée, Phill
nous montra un nombre impressionnant de plantes carnivores dont Drosera
lasiantha, poussant au milieu d'une piste forestière, entre les traces de
roues des véhicules. Drosera pallida est très courant à l'ombre des forêts
de "Karri" et on peut même trouver aux endroits les plus ombragés Drosera
modesta. Dans la plaine également beaucoup de Droseras Pygmées dont
Drosera dichrosepala et Drosera pulchella sur sols argileux, Drosera
occidentalis dans les dépressions tourbeuses plus humides ou Drosera
androsacea sur gravier latéritique, Drosera scorpioides (latérite + terreau)
ou Drosera paleacea sur les bancs de sable fin.
Le lendemain, direction le nord, vers Cranbrook. Nous devions visiter
une zone plus basse que la veille, avec des dépressions argileuses, des
marais d'eau douce et parfois salée. Les types de végétations y vont de la
"Swamp Heathland" (lande marécageuse) à la "Low Shrub Heathland"
(lande arbustive). Notre premier champ d'exploration fut une lande à la
végétation basse. Entre les touffes d'Ericacées, nous trouvâmes Drosera
huegelii et d'autres formes de Drosera erythrorhiza (semblables à ssp.
collina, mais plus petit). En bordure d'une dépression plus humide,
quelques rosettes de Drosera tubaestylis, et Drosera ramellosa. Phill nous
expliqua que cette espèce fréquentait souvent les sites d'eau saumâtre.
Confirmation de la présence du sel, quelques bosquets de "Paper Bark
Trees" (Melaleuca sp.) dont l'écorce épaisse et spongieuse rappelle la
consistance que pourraient avoir les pages collées et moisies d'un très
vieux livre.
Phill nous amena ensuite sur le site de première découverte (et de
description du Type) de Drosera echinoblastus dont quelques exemplaires
commençaient à produire des gemmes. Présents également sur ce sol
humide et argilo-sableux Drosera bulbosa, Drosera gigantea (dont les
tubercules, dans ce sol profond, se trouvent parfois à près d'un mètre de
profondeur), et Drosera tubaestylis. Nous avons ramassé quelques graines
qui, bien que non mûres (encore blanches dans les capsules vertes) lors
de la récolte, ont très bien germé par la suite.
Sur le trajet vers un autre site, Phill décida de s'arrêter à un endroit où
une mare avait été creusée tout récemment au bulldozer. La terre argileuse
rouge était nue en mains endroits. Les Droséras Pygmées aiment coloniser
les espaces ainsi dégagés par l'homme. En effet, j'y trouvai de nombreuses
petites rosettes que Phill ne put pas identifier. La disposition des feuilles en
étoile à 5 branches rappelait Drosera androsacea, mais pas trace du gros
bourgeon de stipules caractéristique. Présent également un grand nombre
de tout petits Drosera tubaestylis dont les plus grands ne dépassaient pas
1cm de diamètre. Sans doute une nouvelle forme de cette espèce très
variable. Cet après-midi là, Phill nous montra encore Drosera stolonifera
ssp compacta, sous un petit bois clair d'Eucalyptus sp, Drosera platypodia
en tout début de croissance et Drosera microphylla dans une lande à
végétation rase (type lande à bruyères).
Le meilleur pour la fin : le dernier jour, nous devions voir Cephalotus
follicularis et, peut-être, Utricularia (Polypompholyx) multifida. Pour cela,
direction le sud, entre Mount Barker et Albany. Nous nous arrêtâmes sur le
flanc d'une vallée peu profonde, dont le fond était occupé par un marais.
En pente légère, les flancs de la vallées étaient couverts d'une végétation
arbustive composées essentiellement d'Ericacées (Leptospermum sp.),
d'arbustes Beaufortia sparsa et de quelques Acacia. Pas facile de
progresser dans ces buissons à hauteur d'homme, et pas évident de
regarder où on pose les pieds ! Cependant (j'en frissonne encore) le bruit
des ascidies que l'on écrase est suffisamment caractéristique pour trouver
les Cephalotus qui poussent ici, abrités sous la végétation épaisse. Nous
en avons trouvé une vingtaine de pieds, dont certains énormes (50cm de
diamètre !) aux très nombreuses urnes de 6cm (voir photo page 3 dans
Dionée N°32). Nous sommes ici dans l'une des régions les plus arrosées
d'Australie Occidentale, mais le sol n'est jamais saturé en raison de la
pente qui draine l'eau vers le fond de la vallée. La forte couverture végétale
limite l'évaporation et permet au sol de rester frais même au plein coeur de
l'été. En observant le contenu de quelques ascidies, nous avons pu
constater que la majorité des proies capturées est constituée de fourmis
(pour les spécialistes Iridomyrmex conifer), mais nous avons pu trouver
également quelques "vers" vivant dans le liquide digestif. Une mouche
aptère, Badisis ambulans, pond et se développe dans les urnes de
Cephalotus. Un grand nombre d'urnes sont "habitées" par cette larve qui se
nourrit des insectes capturés, puis sort de l'urne pour se nymphoser.
Phill connaissait non loin de là un site de Uticularia multifida, mais, si
tôt dans la saison, il nous avertit que nous avions peu de chances d'en voir
en fleurs. Il quitta la route pour suivre une piste entre une voie de chemin
de fer et un petit ruisseau. tout en roulant, il surveillait le ruisseau en
contre-bas. Après quelques centaines de mètres, il se tourna tout à coup
vers moi avec un grand sourire jusqu'aux oreilles : "You are lucky !!!" et
gara sa voiture. Le ruisseau coulait lentement, profond de quelques
centimètres, dans son lit de sable blanc large de 2 à 3 mètres. A quelques
50cm au-dessus de l'eau, semblaient voleter plusieurs dizaines de
papillons roses : des fleurs d'Utricularia multifida. Les rosettes de quelques
centimètres se développaient immergées sous 5 à 15mm d'eau fraîche, et
les longues tiges florales hissaient les fleurs 50 cm plus haut. quelques
capsules étaient déjà mûres et nous avons ramassé quelques graines.
DIONÉE 36 - 1996
|