Australie : Plantes Carnivores en liberté (1ère partie)

(Serge Lavayssière)



Une vue de la "Jarrah Forest" à John Forest
National Park. Cette forêt est le biotope de Drosera
erythrorhiza
ssp collina qui y est très courant.



Sur la colline de Roleystone, Robert Gibson a de la
peine à ne pas marcher sur cette forme particulière
de Drosera erythrorhiza "Roleystone Red".



Il est difficile de s'intéresser aux plantes carnivores sans, un jour ou l'autre, rencontrer l'Australie. Peut-être simplement par la littérature (que ce soit dans votre revue préférée ou dans un des incontournables ouvrages consacré aux Plantes Carnivores), ou par une pratique personnelle lorsque vous avez craqué pour quelque bizarrerie botanique originaire de cette île-continent, et, en ce domaine, le choix est vaste.

Difficile en effet pour un amateur de plantes carnivores de passer à côté puisque l'Australie offre un choix aussi varié qu'abondant de ces plantes prédatrices :

  • de nombreux DROSERA dont les quasi-endémiques tubéreux et pygmées.
  • beaucoup d'Utriculaires (plusieurs endémiques dont les deux espèces formant l'ancien genre POLYPOMPHOLYX).
  • deux genres endémiques (ou presque pour le second) CEPHALOTUS et BYBLIS.
  • un NEPENTHES (N. mirabilis) au Cape York, à la pointe Nord-Est du continent.

Aussi, ce n'est pas sans une certaine fébrilité que le 18 juillet 1994, nous montions dans un avion à destination de Perth, Australie Occidentale, pour un séjour de 6 semaines partagées entre la région de Perth (sud-ouest), Darwin dans le Territoire du Nord (nord) et Cairns dans le Queensland (nord-est).



Perth

Arrivant de nuit à l'aéroport de Perth, un peu "assommés" par presque une trentaine d'heures de vol, notre premier objectif fut de rejoindre la ville et d'y trouver un hébergement, si possible en accord avec notre budget. Nous nous rappellerons longtemps l'amabilité du chauffeur de taxi qui, pour un forfait de $20 (prix normal aéroport - Perth centre), nous fit une visite guidée nocturne de la ville (la Swan River, l'Esplanade, James Street la rue "chaude", un restaurant français,...), et discuta pour nous le prix des chambres dans deux hôtels !


Bien que couchés à plus de 4 heures du matin, nous étions debout des huit heures le lendemain matin, tant nous étions pressés de commencer à découvrir ce nouveau monde. Raisonnablement, nous nous étions donnés 2 jours pour découvrir la ville, nous remettre du décalage horaire, avant de trouver une voiture de location afin d'allonger notre rayon d'action. Le premier but de visite fut donc King's Park, à 20 minutes à pied de notre hôtel. Le temps était radieux, ensoleillé et la température printanière (15°C le matin et atteindra 25°C dans l'après-midi).


King's Park

King's Park est unique au monde. Nulle part ailleurs on ne trouve un aussi grand espace naturel au coeur d'une grande ville. Cette enclave de 400 hectares de Bush naturel, perché sur une colline, comporte également des sentiers de promenade, des aires aménagées pour le pique-nique et la détente, et un Jardin Botanique de 17 hectares où sont présentées plus de 200 espèces de plantes natives d'Australie Occidentale, dont une collection de plantes carnivores du monde entier. Hélas, peu des plantes autochtones que nous espérions trouver, et la trentaine d'espèces de DROSERA (D. binata, D. binata dichotoma, D. aliciae, D. communis, D. capensis, D. capillaris, D. burkeana, D. spatulata, D. pygmaea ), PINGUICULA (P. moranensis var caudata, P. X "Mola", P. X "Sethos" en fleurs), SARRACENIA (S. leucophylla, S. minor, S. rubra gulfensis, et plusieurs hybrides), Drosophyllum lusitanicum, Cephalotus follicularis et Dionaea muscipula n'avaient pas, au coeur de l'hiver (fin juillet dans l'hémisphère sud correspond à fin janvier chez nous), leur plus fière allure. Un gros Nepenthes khasiana, avec plusieurs branches de plus d'un mètre, ne présentait hélas aucune urne. Dans la serre humide (à fougères), 3 autres spécimens grimpaient jusqu'au plafond et avaient quelques urnes (N. maxima, N. kosobe (???) et un non étiqueté, peut-être alata).

Nos pas nous guidèrent ensuite dans le Jardin Botanique qui nous permit de découvrir le célèbre Jarrah (Eucalyptus marginata) dont les forêt sont l'habitat de plusieurs plantes carnivores, les Kangaroo Paws (Anigozanthos sp.), emblème de l'Australie Occidentale dont les fleurs en tube sont pollinisées par les oiseaux et un grand nombre de "Peas", papillionacées au feuillage coriace et aux fleurs vivement colorées de rouge orangé à pourpre ou mauve selon les espèces.

Mais toujours pas de DROSERA tubéreux ou pygmée !

Sur la carte du parc que nous avions prise à l'entrée, plusieurs parcelles autour de nous étaient simplement étiquetées "bush", mot intraduisible et fourre-tout désignant toute partie de végétation sauvage, ce qui regroupe sous le même terme aussi bien la forêt que des prairies sauvages, des marais...

La partie dans laquelle nous nous engagions était composée essentiellement d'arbres (Eucalyptus sp.) de 3 à 4 mètres de haut et de buissons bas au feuillage assez coriace. un sentier serpentait dans ce "bush" d'une dizaine de mètres de large qui longeait la route.

Une des caractéristique de la végétation australienne réside dans les feuilles fines et coriaces de beaucoup d'arbres et d'arbustes. Le soleil ardent de l'été, la sécheresse saisonnière, ont conduit ces plantes à ne produire que des feuilles fines et souvent retombantes, n'affrontant pas directement les rayons du soleil. Il en résulte que ces arbres produisent très peu d'ombre, et que même sous une forêt assez dense, une bonne part de la lumière parvient jusqu'au sol, permettant à plusieurs strates différentes (arborée, arbustive et herbacée) de cohabiter avec succès.

C'est le long de ce sentier que nous trouvâmes les premiers Droséras tubéreux : au pied d'un bouquet d'arbres, s'étalant le long du sentier sur 50 cm de large et 2m de long, toute une colonie de Drosera erythrorhiza ssp collina. Moi qui n'avais jamais vu ces plantes autrement que solitaires, en pot, croyez-moi, j'ai reçu un choc : plus de cinquante rosettes, de toutes tailles (jusqu'à 12cm) tapissant le sol ! Un peu plus loin, plusieurs stolons de D. stolonifera ssp porrecta commençaient à sortir d'entre les feuilles d'Eucalyptus mortes, certains avec déjà un ou deux étages de feuilles.

Notre promenade se continua tout l'après midi dans King's Park, le long des sentiers de promenade, nous permettant de d'observer plusieurs vols de perroquets, les "Honey Eaters" oiseaux pollinisateurs, et d'entendre le célèbre rire du kookaburra. Nous ne trouvâmes pas d'autres Plantes Carnivores, mais une curieuse orchidée terrestre tubéreuse de 30 cm de haut, Pterostylis vittata, aux étranges capuchons verts.


John Forest National Park

Situé à 30 kilomètres à l'est de Perth, au coeurs des premiers contreforts de la Darling Range, le John Forest National Park fut, dès une voiture louée, le but de notre première expédition.

Ce secteur le la chaîne des Darling Range sert d'aire de collecte d'eau pour la ville de Perth. Le sol latéritique pauvre est couvert de cette végétation typique qu'est la "Jarrah Forest", forêt principalement composée d'Eucalyptus marginata ("Jarrah"), de Xanthorrhoea preissii ("Blackboy" ou "Grasstree"), de plusieurs espèces de Banksia (protéacée arborescente aux fleurs superbes) ainsi que de nombreux buissons bas plus ou moins épineux, souvent couverts de fleurs remarquables.

Le sol latéritique épais selon les endroits de quelques dizaines de centimètres à 2 ou 3 mètres, permet un drainage rapide et un écoulement de l'eau des pluies hivernales jusqu'au sous-sol imperméable granitique, par endroit entaillé par les gorges de cours d'eau saisonniers.

Du parking, un sentier partait en contrebas vers le lit d'un ruisseau. Celui-ci avait taillé une gorge dans le granite qui apparaissait de part en part parfois recouvert d'une fine couche argileuse provenant du lavement de la latérite des collines. C'est sur cette terre nue, compacte, très humide (il pleut 2 ou 3 jours par semaine, et le ruisseau concentre tous les ruissellements des versants alentours), que poussaient en grand nombre Drosera rosulata aux rosettes rouges et Drosera heterophylla avec ses étranges fleurs comme des marguerites.

Après avoir traversé le ruisseau, le sentier conduisait à travers la Jarrah Forest. Là, entre les feuilles mortes d'Eucalyptus et de Banksia, apparaissent de part en part de nombreux Drosera erythrorhiza ssp collina (très courante, cette plante est pratiquement omniprésente dans la Jarrah Forest, avec des formes locales différentes dont ssp squamosa à environ 30km au sud de Perth et ssp. magna à 200km au nord). Nous arrivons à un petit lac (retenue d'eau pour l'approvisionnement de Perth) dont nous faisons le tour. Au retour, nous nous arrêtons sur le remblai du barrage et nous asseyons pour un pique-nique. Il ne suffisait que de se baisser un peu pour découvrir plusieurs Droséras Pygmées sur ce sol dénudé. Difficile de les identifier sans la fleur, mais ils ressemblaient fort à Drosera hyperostigma. Nous devions constater ultérieurement que les Droséras Pygmées affectionnent les clairières au sol dénudé voire même les bas-côtés stériles des routes. Hélas à cette saison, ni fleurs permettant une identification plus facile, ni gemmes !

Nous rentrâmes le soir, heureux de ces premières découvertes. Nous avions rendez-vous le lendemain avec Mark Stuart, à Roleystone, une "banlieue résidentielle" située à 20km à l'est de Perth. Il avait su m'allécher en m'écrivant que sur les deux hectares de terrain entourant sa maison, poussaient pas moins de 8 espèces sauvages de plantes carnivores !

Le rendez-vous était pris depuis avant le départ, et pour l'occasion de notre visite, Mark avait organisé une réunion locale d'amateurs de plantes carnivores. Nous avons donc eu le plaisir de rencontres James Fielder et Robert Gibson. Un petit tour autour de la maison, située en pleine forêt, pour vérifier la présence de Drosera hyperostigma (dans une clairière), Drosera erythrorhiza ssp squamosa, peu coloré et en limite nord de son aire de répartition, ainsi que quelques stolons émergeants de Drosera stolonifera ssp porrecta. Sur une plate-bande, devant son perron, un Drosera macrantha grimpait même à l'assaut d'un rosier !

Mark nous expliqua l'itinéraire prévu pour la journée : après la visite de quelques sites dans la Darling Range (chaîne de montagnes basses parallèle à la côte, située à 20 km à l'intérieur des terres), nous devions retourner dans la "Sandy Coastal Plain" (plaine côtière entre l'océan et la Darling Range, au sol souvent sableux) pour y voir quelques espèces spécifiques de ce milieu (dont, promis, byblis gigantea et Drosera zonaria).

Nous sommes donc partis à 5 dans son 4X4 pour un premier site à 5 km de chez lui. Là, la forêt avait brûlé deux étés plus tôt et le sol était assez dégagé. Des milliers de Drosera erythrorhiza avaient fleuri et présentaient des capsules gorgées de graines. Certaines plantes avaient un feuillage d'un rouge brillant plus ou moins prononcé, parfois vraiment éclatant. il s'agissait d'une forme dite "Roleystone Red" dominante à cet endroit. Sur le même site, se trouvait également Drosera hyperostigma, Drosera macrantha, Drosera stolonifera ssp porrecta guère plus avancé qu'à King's Park, ainsi que de très curieuses orchidées tubéreuses, formant des étoiles bleues de 3cm flottant à 10cm du sol (Caladenia sp.), ou au curieux visage amical (Diuris longifolia).



Avant de clore ce premier article (ne manquez pas Dionée 35 pour la suite), il y a, à voir les plantes dans leur milieu naturel, plusieurs leçons à tirer quant à nos méthodes de culture.

Tout d'abord, les conditions climatiques :

Bien que la mi-juillet soit au plein coeur de l'hiver, les journées sont plus longues que sous nos latitudes. Le soleil se couche 1 heure plus tard que chez nous, et se lève d'autant plus tôt. Il est raisonnable d'espérer deux jours de soleil pour une journée de pluie, et même lorsqu'il pleut, le soleil n'est pas absent : il s'agit le plus souvent d'averses, parfois violentes, mais vite entrecoupées d'éclaircies. Pas comme sous nos climats de longues journées sombres et pluvieuses.

Les températures sont douces dans la journée (de 12 à 25°C) le gel étant exceptionnel. La nuit la plus froide fut, au début du mois d'août (équivalent à début février dans l'hémisphère nord) à 2°C au-dessus de 0.

Les sols dans lesquels poussent ces plantes sont souvent bien différents des tourbières auxquelles nous sommes habitués.

J'ai décrit dans le présent article, deux situations bien différentes dans lesquelles poussent des plantes bien différentes : la Jarrah Forest et les affleurement granitiques (le ruisseau à John Forest National Park).


Plantes de Jarrah Forest

Je ne prendrais pas un grand risque en vous disant que, partout, dans tout lieu de végétation naturelle (bush), il est certain de trouver des plantes carnivores, certaines espèces étant omniprésentes en forêt : D. erythrorhiza de différentes formes, D. macrantha (ou D. pallida dans les sites moins clairs), D. glanduligera, divers Pygmées...).

Si ces plantes sont légèrement ombragées en milieu naturel, elles sont au mieux et fleurissent abondamment lorsque le feu a nettoyé le sous-bois l'été précédent et que la lumière est abondante.

Le sol n'est absolument pas marécageux, mais très bien drainé, à dominante latéritique et/ou sableuse, les feuilles mortes coriaces des arbres et arbustes ne se décomposent que lentement, et ne contribuent que peu à l'enrichissement du milieu. L'humidité provient exclusivement des pluies (plusieurs averses par semaine en hiver), le sol ne s'asséchant que peu (et sur quelques centimètres de profondeur) seulement les jours de beau temps.

Les plantes de Jarrah Forest sont donc à cultiver dans un compost bien drainant. J'ai adopté avec succès (pour l'instant) un compost composé en parties égales de tourbe, de sable fin pour aquarium, et de boulettes d'argile (Séramis) écrasées au pilon de manière à ce que les plus gros morceaux ne dépassent pas 5mm de diamètre. Des pots assez grands (12cm minimum) sont préférables (bonne inertie thermique et hydrique) et, si les pots doivent être humidifiés plusieurs fois par semaine (par trempage ou pulvérisation par dessus), il n'est pas utile qu'il reste de l'eau en permanence au pied des pots.


Plantes de milieux humides

Sur les sols compacts, humides des rives de ruisseaux saisonniers ou la fine couche de mousse ou d'argile pouvant tapisser les affleurements granitiques plusieurs espèces sont très courantes (D. gigantea, D. glanduligera, D. heterophylla, D. menziesii, D. rosulata...).

Ces milieux se situent aux endroits de ruissellement. Sur la roche imperméable, s'accumule un compost composé des débris minéraux (argile, sable siliceux fin) ou organiques (mousses pionnières), sur une épaisseur de 1 à une dizaine de centimètres. En hiver, ce sol est saturé par une eau fraîche, courante, alors qu'un été, il est complètement déshydraté ("bone dry"), sur des roches dont la température en plein soleil peut dépasser 60°C. Les tubercules passent la saison sèche dans ces conditions plus qu'arides.

Pour ces plantes, les pots n'ont besoin d'être ni grands ni profonds (j'ai trouvé des tubercules de D. gigantea de près de 5cm de diamètre sous une épaisseur de 7cm de terre), mais le compost bien compact (tourbe + sable fin). En hiver, les pots peuvent tremper dans 1 à 2cm d'eau fraîche, mais l'été, la plus grande sécheresse est nécessaire.




DIONÉE 34 - 1995