Australie : Plantes Carnivores en liberté (1ère partie)
(Serge Lavayssière)
Il est difficile de s'intéresser aux plantes carnivores sans, un jour ou
l'autre, rencontrer l'Australie. Peut-être simplement par la littérature
(que ce soit dans votre revue préférée ou dans un des incontournables
ouvrages consacré aux Plantes Carnivores), ou par une pratique
personnelle lorsque vous avez craqué pour quelque bizarrerie
botanique originaire de cette île-continent, et, en ce domaine, le choix
est vaste.
Difficile en effet pour un amateur de plantes carnivores de passer à
côté puisque l'Australie offre un choix aussi varié qu'abondant de ces
plantes prédatrices :
- de nombreux DROSERA dont les quasi-endémiques tubéreux et pygmées.
- beaucoup d'Utriculaires (plusieurs endémiques dont les deux
espèces formant l'ancien genre POLYPOMPHOLYX).
- deux genres endémiques (ou presque pour le second) CEPHALOTUS et BYBLIS.
- un NEPENTHES (N. mirabilis) au Cape York, à la pointe Nord-Est du
continent.
Aussi, ce n'est pas sans une certaine fébrilité que le 18 juillet 1994,
nous montions dans un avion à destination de Perth, Australie
Occidentale, pour un séjour de 6 semaines partagées entre la région
de Perth (sud-ouest), Darwin dans le Territoire du Nord (nord) et
Cairns dans le Queensland (nord-est).
Perth
Arrivant de nuit à l'aéroport de Perth, un peu "assommés" par
presque une trentaine d'heures de vol, notre premier objectif fut de
rejoindre la ville et d'y trouver un hébergement, si possible en accord
avec notre budget. Nous nous rappellerons longtemps l'amabilité du
chauffeur de taxi qui, pour un forfait de $20 (prix normal aéroport -
Perth centre), nous fit une visite guidée nocturne de la ville (la Swan
River, l'Esplanade, James Street la rue "chaude", un restaurant
français,...), et discuta pour nous le prix des chambres dans deux
hôtels !
Bien que couchés à plus de 4 heures du matin, nous étions
debout des huit heures le lendemain matin, tant nous étions pressés
de commencer à découvrir ce nouveau monde. Raisonnablement,
nous nous étions donnés 2 jours pour découvrir la ville, nous remettre
du décalage horaire, avant de trouver une voiture de location afin
d'allonger notre rayon d'action. Le premier but de visite fut donc
King's Park, à 20 minutes à pied de notre hôtel. Le temps était
radieux, ensoleillé et la température printanière (15°C le matin et
atteindra 25°C dans l'après-midi).
King's Park
King's Park est unique au monde. Nulle part ailleurs on ne trouve
un aussi grand espace naturel au coeur d'une grande ville. Cette
enclave de 400 hectares de Bush naturel, perché sur une colline,
comporte également des sentiers de promenade, des aires
aménagées pour le pique-nique et la détente, et un Jardin Botanique
de 17 hectares où sont présentées plus de 200 espèces de plantes
natives d'Australie Occidentale, dont une collection de plantes
carnivores du monde entier. Hélas, peu des plantes autochtones que
nous espérions trouver, et la trentaine d'espèces de DROSERA (D.
binata, D. binata dichotoma, D. aliciae, D. communis, D. capensis, D.
capillaris, D. burkeana, D. spatulata, D. pygmaea ), PINGUICULA (P.
moranensis var caudata, P. X "Mola", P. X "Sethos" en fleurs),
SARRACENIA (S. leucophylla, S. minor, S. rubra gulfensis, et
plusieurs hybrides), Drosophyllum lusitanicum, Cephalotus follicularis
et Dionaea muscipula n'avaient pas, au coeur de l'hiver (fin juillet dans
l'hémisphère sud correspond à fin janvier chez nous), leur plus fière
allure. Un gros Nepenthes khasiana, avec plusieurs branches de plus
d'un mètre, ne présentait hélas aucune urne. Dans la serre humide (à
fougères), 3 autres spécimens grimpaient jusqu'au plafond et avaient
quelques urnes (N. maxima, N. kosobe (???) et un non étiqueté,
peut-être alata).
Nos pas nous guidèrent ensuite dans le Jardin Botanique qui nous
permit de découvrir le célèbre Jarrah (Eucalyptus marginata) dont les
forêt sont l'habitat de plusieurs plantes carnivores, les Kangaroo Paws
(Anigozanthos sp.), emblème de l'Australie Occidentale dont les fleurs
en tube sont pollinisées par les oiseaux et un grand nombre de "Peas",
papillionacées au feuillage coriace et aux fleurs vivement colorées de
rouge orangé à pourpre ou mauve selon les espèces.
Mais toujours pas de DROSERA tubéreux ou pygmée !
Sur la carte du parc que nous avions prise à l'entrée, plusieurs
parcelles autour de nous étaient simplement étiquetées "bush", mot
intraduisible et fourre-tout désignant toute partie de végétation
sauvage, ce qui regroupe sous le même terme aussi bien la forêt que
des prairies sauvages, des marais...
La partie dans laquelle nous nous engagions était composée
essentiellement d'arbres (Eucalyptus sp.) de 3 à 4 mètres de haut et
de buissons bas au feuillage assez coriace. un sentier serpentait dans
ce "bush" d'une dizaine de mètres de large qui longeait la route.
Une des caractéristique de la végétation australienne réside dans
les feuilles fines et coriaces de beaucoup d'arbres et d'arbustes. Le
soleil ardent de l'été, la sécheresse saisonnière, ont conduit ces
plantes à ne produire que des feuilles fines et souvent retombantes,
n'affrontant pas directement les rayons du soleil. Il en résulte que ces
arbres produisent très peu d'ombre, et que même sous une forêt assez
dense, une bonne part de la lumière parvient jusqu'au sol, permettant
à plusieurs strates différentes (arborée, arbustive et herbacée) de
cohabiter avec succès.
C'est le long de ce sentier que nous trouvâmes les premiers
Droséras tubéreux : au pied d'un bouquet d'arbres, s'étalant le long du
sentier sur 50 cm de large et 2m de long, toute une colonie de
Drosera erythrorhiza ssp collina. Moi qui n'avais jamais vu ces plantes
autrement que solitaires, en pot, croyez-moi, j'ai reçu un choc :
plus de cinquante rosettes, de toutes tailles (jusqu'à 12cm) tapissant
le sol ! Un peu plus loin, plusieurs stolons de D. stolonifera ssp
porrecta commençaient à sortir d'entre les feuilles d'Eucalyptus mortes,
certains avec déjà un ou deux étages de feuilles.
Notre promenade se continua tout l'après midi dans King's Park, le
long des sentiers de promenade, nous permettant de d'observer
plusieurs vols de perroquets, les "Honey Eaters" oiseaux pollinisateurs,
et d'entendre le célèbre rire du kookaburra. Nous ne trouvâmes pas
d'autres Plantes Carnivores, mais une curieuse orchidée terrestre
tubéreuse de 30 cm de haut, Pterostylis vittata, aux étranges
capuchons verts.
John Forest National Park
Situé à 30 kilomètres à l'est de Perth, au coeurs des premiers
contreforts de la Darling Range, le John Forest National Park fut, dès
une voiture louée, le but de notre première expédition.
Ce secteur le la chaîne des Darling Range sert d'aire de collecte
d'eau pour la ville de Perth. Le sol latéritique pauvre est couvert de
cette végétation typique qu'est la "Jarrah Forest", forêt principalement
composée d'Eucalyptus marginata ("Jarrah"), de Xanthorrhoea preissii
("Blackboy" ou "Grasstree"), de plusieurs espèces de Banksia
(protéacée arborescente aux fleurs superbes) ainsi que de nombreux
buissons bas plus ou moins épineux, souvent couverts de fleurs
remarquables.
Le sol latéritique épais selon les endroits de quelques dizaines de
centimètres à 2 ou 3 mètres, permet un drainage rapide et un
écoulement de l'eau des pluies hivernales jusqu'au sous-sol
imperméable granitique, par endroit entaillé par les gorges de cours
d'eau saisonniers.
Du parking, un sentier partait en contrebas vers le lit d'un ruisseau.
Celui-ci avait taillé une gorge dans le granite qui apparaissait de part
en part parfois recouvert d'une fine couche argileuse provenant du
lavement de la latérite des collines. C'est sur cette terre nue,
compacte, très humide (il pleut 2 ou 3 jours par semaine, et le
ruisseau concentre tous les ruissellements des versants alentours),
que poussaient en grand nombre Drosera rosulata aux rosettes rouges et
Drosera heterophylla avec ses étranges fleurs comme des marguerites.
Après avoir traversé le ruisseau, le sentier conduisait à travers la
Jarrah Forest. Là, entre les feuilles mortes d'Eucalyptus et de Banksia,
apparaissent de part en part de nombreux Drosera erythrorhiza ssp
collina (très courante, cette plante est pratiquement omniprésente dans
la Jarrah Forest, avec des formes locales différentes dont ssp squamosa à
environ 30km au sud de Perth et ssp. magna à 200km au nord). Nous
arrivons à un petit lac (retenue d'eau pour l'approvisionnement de
Perth) dont nous faisons le tour. Au retour, nous nous arrêtons sur le
remblai du barrage et nous asseyons pour un pique-nique. Il ne
suffisait que de se baisser un peu pour découvrir plusieurs Droséras
Pygmées sur ce sol dénudé. Difficile de les identifier sans la fleur, mais
ils ressemblaient fort à Drosera hyperostigma. Nous devions constater
ultérieurement que les Droséras Pygmées affectionnent les clairières
au sol dénudé voire même les bas-côtés stériles des routes. Hélas à
cette saison, ni fleurs permettant une identification plus facile, ni
gemmes !
Nous rentrâmes le soir, heureux de ces premières découvertes.
Nous avions rendez-vous le lendemain avec Mark Stuart, à
Roleystone, une "banlieue résidentielle" située à 20km à l'est de Perth.
Il avait su m'allécher en m'écrivant que sur les deux hectares de terrain
entourant sa maison, poussaient pas moins de 8 espèces sauvages
de plantes carnivores !
Le rendez-vous était pris depuis avant le départ, et pour l'occasion
de notre visite, Mark avait organisé une réunion locale d'amateurs de
plantes carnivores. Nous avons donc eu le plaisir de rencontres James
Fielder et Robert Gibson. Un petit tour autour de la maison, située en
pleine forêt, pour vérifier la présence de Drosera hyperostigma (dans
une clairière), Drosera erythrorhiza ssp squamosa, peu coloré et en
limite nord de son aire de répartition, ainsi que quelques stolons
émergeants de Drosera stolonifera ssp porrecta. Sur une plate-bande,
devant son perron, un Drosera macrantha grimpait même à l'assaut
d'un rosier !
Mark nous expliqua l'itinéraire prévu pour la journée : après la
visite de quelques sites dans la Darling Range (chaîne de montagnes
basses parallèle à la côte, située à 20 km à l'intérieur des terres), nous
devions retourner dans la "Sandy Coastal Plain" (plaine côtière entre
l'océan et la Darling Range, au sol souvent sableux) pour y voir
quelques espèces spécifiques de ce milieu (dont, promis, byblis
gigantea et Drosera zonaria).
Nous sommes donc partis à 5 dans son 4X4 pour un premier site à
5 km de chez lui. Là, la forêt avait brûlé deux étés plus tôt et le sol
était assez dégagé. Des milliers de Drosera erythrorhiza avaient fleuri
et présentaient des capsules gorgées de graines. Certaines plantes
avaient un feuillage d'un rouge brillant plus ou moins prononcé,
parfois vraiment éclatant. il s'agissait d'une forme dite "Roleystone
Red" dominante à cet endroit. Sur le même site, se trouvait également
Drosera hyperostigma, Drosera macrantha, Drosera stolonifera ssp
porrecta guère plus avancé qu'à King's Park, ainsi que de très
curieuses orchidées tubéreuses, formant des étoiles bleues de 3cm
flottant à 10cm du sol (Caladenia sp.), ou au curieux visage amical
(Diuris longifolia).
Avant de clore ce premier article (ne manquez pas Dionée 35 pour
la suite), il y a, à voir les plantes dans leur milieu naturel, plusieurs
leçons à tirer quant à nos méthodes de culture.
Tout d'abord, les conditions climatiques :
Bien que la mi-juillet soit au plein coeur de l'hiver, les journées
sont plus longues que sous nos latitudes. Le soleil se couche 1 heure
plus tard que chez nous, et se lève d'autant plus tôt. Il est raisonnable
d'espérer deux jours de soleil pour une journée de pluie, et même
lorsqu'il pleut, le soleil n'est pas absent : il s'agit le plus souvent
d'averses, parfois violentes, mais vite entrecoupées d'éclaircies. Pas
comme sous nos climats de longues journées sombres et pluvieuses.
Les températures sont douces dans la journée (de 12 à 25°C) le
gel étant exceptionnel. La nuit la plus froide fut, au début du mois
d'août (équivalent à début février dans l'hémisphère nord) à 2°C
au-dessus de 0.
Les sols dans lesquels poussent ces plantes sont souvent bien
différents des tourbières auxquelles nous sommes habitués.
J'ai décrit dans le présent article, deux situations bien différentes
dans lesquelles poussent des plantes bien différentes : la Jarrah
Forest et les affleurement granitiques (le ruisseau à John Forest
National Park).
Plantes de Jarrah Forest
Je ne prendrais pas un grand risque en vous disant que, partout,
dans tout lieu de végétation naturelle (bush), il est certain de trouver
des plantes carnivores, certaines espèces étant omniprésentes en
forêt : D. erythrorhiza de différentes formes, D. macrantha (ou D.
pallida dans les sites moins clairs), D. glanduligera, divers
Pygmées...).
Si ces plantes sont légèrement ombragées en milieu naturel, elles
sont au mieux et fleurissent abondamment lorsque le feu a nettoyé le
sous-bois l'été précédent et que la lumière est abondante.
Le sol n'est absolument pas marécageux, mais très bien drainé, à
dominante latéritique et/ou sableuse, les feuilles mortes coriaces des
arbres et arbustes ne se décomposent que lentement, et ne
contribuent que peu à l'enrichissement du milieu. L'humidité provient
exclusivement des pluies (plusieurs averses par semaine en hiver), le
sol ne s'asséchant que peu (et sur quelques centimètres de profondeur)
seulement les jours de beau temps.
Les plantes de Jarrah Forest sont donc à cultiver dans un compost
bien drainant. J'ai adopté avec succès (pour l'instant) un compost
composé en parties égales de tourbe, de sable fin pour aquarium, et
de boulettes d'argile (Séramis) écrasées au pilon de manière à ce que
les plus gros morceaux ne dépassent pas 5mm de diamètre. Des pots
assez grands (12cm minimum) sont préférables (bonne inertie
thermique et hydrique) et, si les pots doivent être humidifiés plusieurs
fois par semaine (par trempage ou pulvérisation par dessus), il n'est
pas utile qu'il reste de l'eau en permanence au pied des pots.
Plantes de milieux humides
Sur les sols compacts, humides des rives de ruisseaux saisonniers
ou la fine couche de mousse ou d'argile pouvant tapisser les
affleurements granitiques plusieurs espèces sont très courantes (D.
gigantea, D. glanduligera, D. heterophylla, D. menziesii, D.
rosulata...).
Ces milieux se situent aux endroits de ruissellement. Sur la roche
imperméable, s'accumule un compost composé des débris minéraux
(argile, sable siliceux fin) ou organiques (mousses pionnières), sur une
épaisseur de 1 à une dizaine de centimètres. En hiver, ce sol est
saturé par une eau fraîche, courante, alors qu'un été, il est
complètement déshydraté ("bone dry"), sur des roches dont la
température en plein soleil peut dépasser 60°C. Les tubercules
passent la saison sèche dans ces conditions plus qu'arides.
Pour ces plantes, les pots n'ont besoin d'être ni grands ni profonds
(j'ai trouvé des tubercules de D. gigantea de près de 5cm de diamètre
sous une épaisseur de 7cm de terre), mais le compost bien compact
(tourbe + sable fin). En hiver, les pots peuvent tremper dans 1 à 2cm
d'eau fraîche, mais l'été, la plus grande sécheresse est nécessaire.
DIONÉE 34 - 1995
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