A LA DECOUVERTE DES GRASSETTES DU MEXIQUE Voyage botanique au Mexique en janvier/mars 1994
(Stan Lampard)
Nous avons assurément vu le Mexique ! Durant ces cinq semaines,
nous avons parcouru un total de 6000km, couvrant en long et en large
la Sierra Madre Oriental, de Mexico City au centre du pays, jusqu'à
Monterry au nord, près de la frontière avec les U.S.A., de la côte
tropicale du golfe jusqu'à l'intérieur désertique, dans notre recherche
des grassettes. Nous espérions voir 20 des environ 35 espèces de
PINGUICULA actuellement répertoriées au Mexique, et, autant que ce
fut possible, nous envisagions de visiter toutes les populations
distinctes connues de chaque espèce. En fait, nous sommes parvenus
à les voir toutes à l'exception de 4 espèces de notre liste. Pour nous
consoler de celles qui nous ont échappé, nous avons découvert des
populations distinctes isolées de plusieurs espèces qui seront
probablement décrites comme de nouvelles sous-espèces, et
également le premier hybride naturel connu au Mexique.
Des zones climatiques d'une grande diversité ont été rencontrées,
dont le plateau côtier chaud et humide couvert de forêt pluviale,
maintenant grandement remplacée par des plantations d'agrumes, de
bananiers et de cannes à sucre, émergeant d'une forêt à feuilles
caduques, et, à plus haute altitude, une forêt brumeuse hôte de
nombreux épiphytes, jusqu'à ce que finalement les conifères laissent
place à une végétation basse montagnarde/alpine au-dessus de
3000m. Inévitablement de telles montagnes limitent les pluies des
hauts plateaux intérieurs qui se caractérisent par une impressionnante
diversité de plantes succulentes et xérophytes. Cependant, aussi
intéressants que puissent être ces types de végétation, nous devions
les voir très superficiellement et réprimer notre curiosité, les
contraintes de temps nous obligeant à négliger de nombreux plantes
et animaux fascinants afin de mener à bien notre quête. Après tout,
peu sinon aucune expédition, n'ont eu lieu au Mexique dans le passé
avec le but spécifique de découvrir et étudier les PINGUICULA, alors
que de nombreux ouvrages ont été écrits sur les Cactus, les
Orchidées ou les Broméliacées. !
Ce fut sur les escarpements montagneux exposés au nord,
surgissant du désert ou des forêts, que nous devions trouver les
PINGUICULA, nombre d'entre elles pratiquement inaccessibles en
raison des buissons épineux impitoyables et de la végétation dense
au pied des falaises et sur les versants que nous devions traverser
d'abord, suivant la plupart du temps les capricieux sentiers empruntés
par les ânes, les chèvres, ou bien pire... selon sa propre imagination !
J'en vins rapidement à maudire les ACACIA, AGAVE et OPUNTIA dont
les armes défensives pénètrent et percent vêtements et chair, rendant
la plupart de nos excursions déplaisantes et douloureuses. Nous
avons eu la chance à plusieurs reprises de trouver de belles
populations de plusieurs espèces de PINGUICULA colonisant les
falaises en bord de route, aux endroits ou la piste creuse son chemin
à travers la montagne, nous épargnant la sueur, le supplice et le
temps passé à les rechercher dans leur habitat d'origine.
Bien entendu, les plantes ne font pas la distinction entre un habitat
consécutif à l'intervention de l'homme ou un escarpement naturel,
ayant uniquement à satisfaire leurs besoins climatiques, édaphiques et
biologiques. Cependant, en dépit des difficultés rencontrées à
atteindre les sites naturels escarpés, il était invariablement bien plus
gratifiant de relever ce challenge, autant pour le plaisir des yeux que
pour la satisfaction de l'exploit accompli comparativement aux sites
plus facilement accessibles en bordure de route, un peu dépréciés par
la présence inévitable de détritus, de poussières, les odeurs de
fumées et le vrombissement du trafic sur toutes les routes, même les
moins fréquentées. Néanmoins, nous appréciions ces sites car un bon
nombre d'espèces ne purent être trouvées que de cette manière. Il fut
en effet frustrant de manquer quatre espèces, bien que ce fut
prévisible, les sites indiqués étant très vagues (P. kondoi, P.
debbertiana) ou isolés (P. caelestis, P. esseriana).
La liste ci-dessous indique les espèces que nous avons localisées avec succès:
Je décrirai la découverte et les caractéristiques de chaque
population en détail ultérieurement dans une série d'article [...], mais
pour le moment, je m'en tiendrai à quelques généralités:
Il y eu inévitablement des moments de moral au plus bas, surtout
dans le début lorsque nous étions encore des chasseurs
inexpérimentés; là, le sens de l'humour fut d'une grande aide.
Dans ces moments Thomas "nous avons les moyens de vous faire
rire" Carow, le plus philosophe d'entre nous, essayait de mieux faire
passer la frustration en chantant cet air bien connu "Always look on
the bright side" (regardons toujours du bon côté) qui fut repris avec
une saveur toute continentale par un choeur composé de : Thomas
d'Allemagne, Hans "Oeil d'Aigle" Luhrs de Hollande, Joan "le Fou" van
Marm d'Autriche et donc moi-même. Au fur et à mesure où nous
apprenions un peu plus des besoins des PINGUICULA mexicains, les
paroles de la chanson se modifièrent pour devenir l'hymne de
l'expédition "Regarde toujours sur la face nord" (des falaises), toute
tentative pour composer d'autres couplets s'avéra un échec.
Les PINGUICULA mexicains, vous l'aurez compris, poussent sur
les faces Nord des escarpements, préférant les températures d'ombre
au moins 10°C inférieures à la chaleur intense et desséchante des
versants Sud qui restent pratiquement dépourvus de toute végétation.
La majorité des espèces semblent être des lithophytes obligées,
invariablement perchées sur des faces presque verticales, se gardant
ainsi en permanence à l'abri des rayons directs du soleil, poussant
aussi bien dans des crevasses ou des petites poches d'humus, ou sur
des parties humides de rocher nu. Peu d'autres plantes survivent en
adoptant le mode de vie "sur roche nue" exploité par les PINGUICULA
qui sont ainsi à l'abri de toute compétition.
Les plantes associées observées le plus souvent comprennent la
bien nommée "plante de la résurrection" SELLAGINELLA, des
fougères et mousses xérophytes, des succulentes telles que AGAVE,
ECHEVERIA et des cactus nains des genres MAMMILARIA,
GYMNOCACTUS, etc, des broméliacées xérophytes telles que
TILLANDSIA, CATOPSIS et HECHTIA, ainsi que quelques orchidées
occasionnelles. Une particularité commune à toutes ces plantes est
leur aptitude à survivre à des périodes de manque d'eau,
particulièrement aigues durant les mois sec d'hiver de fin octobre à fin
avril. Ces plantes montrent une diversité d'adaptations à la sécheresse
telles que des feuilles et des tiges épaisses, cireuses ou de la
consistance du cuir, des tissus succulents pour stocker l'eau, des
racines profondes ou une couverture de poils blancs prévenant les
effets calorifique du soleil et desséchant du vent, etc.
Comme d'autres plantes carnivores, les PINGUICULA sont
habituellement considérés comme des plantes de marais pour
lesquelles la moindre privation d'eau peut s'avérer fatale. Comment
donc les "pionniers mexicains" de ce genre survivent-ils ? Un examen
attentif des plantes dans leur habitat aussi bien que des études
postérieures en laboratoire ont mis en évidence plusieurs stratégies
astucieuses.
La préférence des habitats escarpés montrée par PINGUICULA est
associée à des altitudes bien supérieures à 1000m chez toutes les
espèces à l'exception de P. lilacina que nous avons trouvé entre 800
et 1000 mètres. Même sous les tropiques, les conditions à haute
altitude sont alpines, bien que la neige soit très rare, les températures
nocturnes frôlent la gelée, ayant pour conséquence l'apparition
journalière de brumes et de brouillards au-dessus des montagnes.
Comme l'humidité évaporée au-dessus des terres ou de la mer par la
chaleur du jour se condense pendant la nuit, elle est bénéfique autant
aux animaux qu'aux plantes qui exploitent cette humidité
atmosphérique de différentes manières.
Le micro habitat des crevasses n'est pas uniquement plus ombré,
plus frais et plus humide, mais agit également comme un réservoir de
drainage, contenant de petites quantités d'humus, et peut-être, la
mousse agit-elle comme une éponge. Il en résulte une sévère
compétition entre les plantes alpines pour conquérir ces micro
habitats. Cependant les PINGUICULA alpins ont l'avantage de
posséder des poils et des glandes hygroscopiques qui concentrent le
processus de condensation, encourageant la formation de rosée sur
leur surface. En plus, les glandes si bien adaptées pour absorber les
produits de la digestion de ces plantes carnivores peuvent aussi
contribuer à l'assimilation.
Des recherches récentes suggèrent également que PINGUICULA
ait adopté un cycle stomatal inversé(1), une caractéristique commune
chez les plantes succulentes telles que les cactus ou CRASSULA. Au
lieu d'ouvrir les stomates pendant la journée pour obtenir le dioxyde
de carbone nécessaire pour la photosynthèse, l'inévitable perte d'eau
par transpiration diurne qui en découle est réduite par le fait que les
stomates ne s'ouvrent que la nuit. Le dioxyde de carbone est absorbé
durant la fraîcheur nocturne et stocké sous forme d'un acide organique
qui sera détruit dans la journée pour libérer le gaz carbonique lorsque
nécessaire. Ce système semble particulièrement favorable aux
succulentes xérophytes sans doute en raison de leurs tissus gorgés
d'eau qui dilue les acides à un niveau sans danger. Bien que cette
hypothèse soit une pure spéculation personnelle, le fait que les
rosettes d'hiver soient constituées de feuilles hautement succulentes
pourrait être plus qu'une simple coïncidence. Chez les espèces
lithophytes, ces feuilles succulentes sont produites en rosettes
ressemblant à des SEMPERVIVUM, encastrées autant que possible à
l'intérieur des fissures de rochers, de la couverture de mousse ou dans
la couche d'humus. Quelques espèces poussent sur le bord de
ravines d'érosion où les minéraux émiettés du sous-sol constituent un
support profond. Là se trouvent des espèces avec un hibernacle
bulbeux enterré dans le sol, gagnant ainsi une plus grande protection
contre la prédation ainsi que le dessèchement. P. acuminata et P.
macrophylla en fournissent de bons exemples, bien qu'au moins une
forme de P. moranensis semble également évoluer dans cette
direction.
La saison sèche est apparemment exploitée par des annuelles
éphémères telles que P. lilacina et P. takakii, deux charmantes
miniatures qui se trouvent je pense au sommet de leur cycle au milieu
de l'hiver puisqu'elles étaient en fleurs et produisaient leurs graines en
abondance. Il est possible que, en poussant au moment où d'autres
plantes plus grandes sont en dormance, la compétition puisse être
réduite. D'abondantes colonies de P. lilacina exploitent certainement
des "fenêtres" dans la canopée d'herbes en poussant sur des sol
récemment dérangés, en particulier sur les bords instables de sentiers
et au pied d'arbres tombés. P. takakii pousse sur des versants érodés
de gypse, parmi de denses colonies de SELLAGINELLA dont les
rosettes les recouvriront en se déployant durant les mois humides
d'été. Cependant, une association aussi étroite avec cette plante
durant l'hiver a de nombreux avantages : ça produit de l'ombre et de
l'humidité tandis que la faune d'invertébrés dans cette forêt miniature
est de tout profit pour les besoins carnivores. La dessiccation des
fines feuilles membraneuses de ces deux espèces est évitée en les
gardant pressées contre le sol, piégeant l'humidité de l'air entre elles,
et en provoquant la condensation à l'endroit où ce sera bénéfique aux
racines.
Le gypse est une forme relativement rare de sulfate de magnésium
qui forme des affleurement dispersés partout sur le plateau central de
la haute Sierra Madre Oriental. Il a été utilisé par l'homme pour la
production de plâtre et de poudre de talc, exploitant de différentes
manières sa capacité d'absorption de l'eau. Nous ne sommes pas les
premiers organismes à avoir exploité cette propriété ! Les collines de
gypse se comportent comme des oasis dans le désert. La saisissante
blancheur de ce substrat donne une illusion d'hostilité stérile.
Cependant, c'est plus probablement dû à un intense sur-pâturage,
suivi par l'érosion de ces formations rocheuses tendres. Par contraste,
la vie sauvage abonde sur les versants les plus escarpés et les ravins.
Ces canyons en miniatures étaient un paradis ! L'atmosphère douce à
l'intérieur est sans nul doute due à l'ombre, mais, à en juger par la
forte humidité présente, elle est rafraîchie par l'évaporation puisque le
gypse relache de la vapeur dans la journée et la réabsorbe durant la
nuit. Pas moins de six espèces de PINGUICULA furent trouvées dans
ces oasis.
Bien sûr, coloniser les roches, qu'il s'agisse de calcaire, basalte ou
gypse, n'est pas sans inconvénient. Le manque de sol signifie un
manque de nutriments essentiel - les composés à base d'azote, de
phosphore et de soufre étant tous rares, et fortement nécessaires. La
carnivorité apporte une solution et par là même un avantage certain
aux PINGUICULA.
En effet, l'association de ces stratégies se montre tellement
efficace que les PINGUICULA mexicains ne survivent pas seulement
mais abondent là où la majorité des autres familles de plantes a
renoncé.
DIONÉE 32 - 1994
|