LA CULTURE IN-VITRO AU SERVICE DE L'ETUDE DE L'INFLUENCE DE LA TENEUR EN SELS ET DU pH SUR LA CROISSANCE DE DROSERA

(Laurent LEGENDRE)




Bien que peu souvent démontré, la culture in-vitro représente un outil scientifique puissant en biologie végétale. Ceci est particulièrement vrai pour les plantes carnivores dont le fonctionnement et la vie nous pose tant de questions, et dont la multiplication à l'aide de méthodes de culture traditionnelles est souvent très facile.

Historiquement, c'est même le développement des techniques de culture in-vitro (en milieu stérile) qui a permis la confirmation définitive de deux idées essentielles dans le monde de la carnivorie végétale:

  1. la digestion des proies se fait sans l'aide de bactéries externes,
  2. ces plantes peuvent utiliser l'azote du sol et survivre sans l'assimilation de proies, comme des plantes ordinaires.

Récemment, avec ces mêmes techniques, je me suis attaqué à un problème un peu différent. A l'aide de milieux de culture in-vitro de composition chimique parfaitement définie, j'ai pu étudier les effets de la teneur en sels et du pH du substrat sur la croissance de Drosera capensis et Drosera spatulata. L'ensemble des observations ainsi obtenues a, dans un premier temps, confirmé nos présomptions sur les conditions de culture de ces plantes (faibles teneur en sel et pH). Elles ont ensuite fourni une série de petits détails pratiques qui m'ont permis la culture en appartement de ces plantes (voir "la culture de DROSERA en appartement" dans le numéro précédent).

Pour satisfaire les besoins d'une première série d'expériences, je confectionnai divers milieux de culture. Tous étaient basés sur des dilutions croissantes du milieu originel, maintenant commercialisé, de Murashige & Skoog (1962) avec un pH toujours égal à 5,7 avant stérilisation et 0,8% d'Agar (Bacteriologicel grade). Quatre dilutions furent d'abord effectuées: 1:1 ou non dilué, 1:2 ou dilué de moitié, 1:4 ou dilué au un quart, 1:8 ou dilué au un huitième. Chacun de ces quatre milieux intermédiaires fut soit utilisé intact, soit enrichi avec du sucre (0,5% appelé S), de la Tryptone (0,05% appelé T, il s'agit d'un mélange d'acides aminés, substances azotées utilisées pour la croissance des bactéries; j'ai ensuite remarqué qu'un hydrolysat de Caséine, une protéine présente dans le lait, aurait mieux fait l'affaire !) ou une combinaison de ces deux adjuvants (appelé ST). Sur chacun de ces 16 milieux, je déposai finalement une vingtaine de graines préalablement désinfectées (7 minutes dans 8% d'hypochlorite de calcium et 0,1% Tween-20) de Drosera capensis ou de Drosera spatulata. Deux mois plus tard, j'arrêtai les expériences. Leurs résultats sont résumés dans le tableau ci-après. Tout en laissant à chacun le soin d'examiner en détail les résultats, je me permets de tirer rapidement trois conclusions principales.

  • Premièrement, les meilleurs milieux sont ceux appelés 1:4 ST ou 1:8 ST. Classiquement j'utilise donc désormais un milieu MS dilué au un cinquième que je complète avec du sucre et un hydrolysat de Caséine. Dans ces conditions Drosera spatulata passe de la graine à la fleur ouverte en 2 mois.

  • Deuxième conclusion importante, l'effet stimulant des adjuvants organiques montre que les plantes carnivores, comme les autres plantes, peuvent absorber par leurs racines des substances azotées ou sucrées. La vaporisation d'un engrais azoté (je le dilue au 1/4) sur des plantes en pot peut donc être un plus pour elles. Bien sûr, n'ajoutez jamais de tels adjuvants (sucre + hydrolysat de Caséine) à la base de plantes en pot non stériles car cela favoriserait la croissance de moisissures.

  • Dernière remarque sur les résultats de ces expériences, les Droséras préfèrent vivre dans un milieu à faible teneur en sels. Cela confirme l'utilisation classique de tourbe, sable et eau de pluie (faible teneur en sels) pour leur culture à l'air libre. Ceci est contraire aux cultures de soja ou tabac qui réclament un sol argileux riche, des apports d'engrais, et, in-vitro, un milieu MS non dilué. A noter aussi sur ce chapitre qu'une trop forte teneur en sels du substrat se caractérise par une perte de la teneur en chlorophylle chez ces Droséras ainsi qu'à un enroulement des feuilles chez Drosera capensis et à un brunissement du centre des rosettes de Drosera spatulata. Drosera spatulata est aussi moins sensible aux sels que Drosera capensis.

Une deuxième série d'expériences intéressantes visa l'étude de l'effet du pH (mesure de l'acidité du milieu) sur la croissance de DROSERA. Je réalisai alors des substrats in-vitro de pH différents contenant tous un milieu M S dilué au un cinquième avec du sucre, un hydrolysat de Caséine (voir ci-dessous) et de l'Agar. Les pH furent ajustés à 5.5, 6.5, 7.5 et 8.5 (milieu alcalin quand pH>7, milieu acide lorsque pH<7), et les graines de Drosera spatulata semées comme décrit plus haut. On peut constater l'importance du pH sur la santé des plantes: deux mois après le semis, les Droséras placés à pH 5.5 fleurirent, ceux placés à pH 6.5 ne fleurirent pas mais se portèrent bien, ceux à pH 7.5 eurent des retards de croissance et ceux à pH 8.5 avaient développé des racines miniatures. Le taux de germination varia aussi linéairement de 95% à 20% lorsque le pH fut élevé de 5.5 à 8.5. Le pH est donc un élément crucial pour la croissance des plantes carnivores, un élément que les Pietropaolo mettent bien en valeur, à juste titre donc, dans leur ouvrage "Carnivorous Plants of the World".

COMPOSITION
DU
MILIEU

Drosera spatulata

Drosera capensis

RACINES
(mm)

FEUILLAGE

RACINES
(mm)

FEUILLAGE

hauteur
(mm)

densité

couleur

hauteur
(mm)

densité

couleur

1:1

2

2

N dse

Jaune

0

2-3

N dse

Jaune

1:1 S

2

3

N dse

Jaune

0

3-4

N dse

Jaune

1:1 T

2

4-5

N dse

Jaune

0

3-4

N dse

Jaune

1:1 ST

3-4

4

N dse

Jaune

0

4-5

Dense

Vert

1:2

2

3

N dse

Vert

0

3-4

N dse

Jaune

1:2 S

4-5

5

Dense

Vert

0

3-4

N dse

Jaune

1:2 T

2

4

N dse

Vert

0

4-5

Dense

Jaune

1:2 ST

8-10

6-7

Dense

Vert Pr.

2

6-7

Dense

Vert

1:4

2-4

4

N dse

Vert

0

3-4

N dse

Jaune

1:4 S

5

7

N dse

Vert

2

6

Dense

Jaune

1:4 T

2

3-4

Dense

Vert

0

6-7

Dense

Jaune

1:4 ST

6-7

7-8

T dse

Vert Pr.

4-5

10-11

T dse

Vert

1:8

3-4

4

Dense

Vert

0

6-7

Dense

Jaune

1:8 S

4

6

Dense

Vert

5-6

8-9

Dense

Vert

1:8 T

2

4-5

N dse

Vert

0

7-8

Dense

Jaune

1:8 ST

7-8

8-9

T dse

Vert Pr.

5-6

23-24

T dse

Vert Pr.

Légende :

N dse = non dense T dse = Très dense Vert Pr. = Vert profond

LITTERATURE

Galek H., Osswald W.F., & Elstner E.F. (1990)
"Oxidative protein modification as predigestive mechanism of the carnivorous plant [[ITAL+]]Dionaea muscipula[[ITAL-]] : an hypothesis based on in-vitro experiments", Free Radical biology & Medicine, Vol. 9, pp 427-434
Harder R. (1963)
"Blutenbildung durch Tierische Zusatznahrung und andere Factoren bei Utricularia exoleta R. Braun", Planta, Vol. 59, pp 459-471
Harder R. (1964)
"Vegetative Entwicklung und Blutenbildung in Axenischen Kulturen des Insektivore Drosera pygmaea DC", Planta, Vol. 63, pp 316-325
Harder R. & Zemilin I. (1967)
"Forderung der Entwicklung und des Bluhens von Pinguicula lusitanica durch futterung in axenischer kultur", Planta, Vol. 73, pp 181-193
Murashige T. & Skoog F. (1962)
"A revised medium for rapid growth and bioassays with tobacco tissue cultures", Physiologica Plantarum, Vol. 15, pp 473-497
Pringsheim E.G. & Pringsheim O. (1962)
"Axenic culture of UTRICULARIA", American Journal of Botany, Vol. 49, pp 898-901
Simola L.-K. (1978)
"The effect of several Amino Acids and some Inorganic Nitrogen Sources on the Growth of Drosera rotundifolia in long and short day conditions", Zeitung fur Pflanzenphysiologie, Vol. 90, pp 61-68



DIONÉE 32 - 1994