PLANTES CARNIVORES: Protection et biotopes

(Serge Lavayssière)




Depuis l'arrêté interministériel en date du 20 janvier 1982, paru au journal officiel du 13 mai de la même année, sont protégées sur le territoire français une partie de nos plantes carnivores: Aldrovanda vesiculosa (annexe I) et tous nos DROSERAS autochtones ainsi que leur hybrides (annexe II). Il en résulte que "le ramassage ou la récolte, l'utilisation, le transport, la cession à titre gratuit ou onéreux sont soumis à autorisation...".

Si nous ne pouvons que nous réjouir de telles décisions, leur application et leur respect sont loin d'être satisfaisants.

Depuis quelques années, mes promenades me mènent souvent dans une petite tourbière en Forêt de Rambouillet, refuge de quelques Drosera rotundifolia et D. intermedia. Malgré le classement du site comme Réserve Biologique Domaniale par l'ONF, des traces suspectes ne laissent aucun doute sur d'occasionnels prélèvements clandestins.

Ces plantes sont chez nous des reliques d'il y a 10000 ans, fin de la dernière période glaciaire. Au cours du réchauffement des climats qui se poursuit depuis, ces végétaux mieux adaptée aux actuelles toundras scandinaves se sont réfugiées chez nous soit en altitude, soit dans des tourbières de plaine possédant un micro-climat frais et humide. Ces biotopes présentent souvent un écosystème tout à fait exceptionnel et constituent de véritables conservatoires naturel. Les plantes qui y poussent sont adaptées à ces conditions particulières et ne résistent pas au changement consécutif à leur tentative d'acclimatation en culture. De nombreux producteurs (disposant des autorisations nécessaires à leur commercialisation) multiplient ces espèces et ont ainsi isolé des souches bien mieux adaptées aux conditions de culture. Les prélèvements constatés, qu'ils aient été faits pour commercialiser les plantes, pour les intégrer à une collection, ou pour garnir des herbiers sont illicites et fâcheux.

Un autre risque auquel sont exposés les RBD est celui lié à l'introduction de plantes étrangères. Si le Sarracenia purpurea de la tourbière de Frasnes peut être considéré comme une réussite, les risques ne sont pas moins importants et souvent imprévisibles. Toute introduction de plante étrangère risque de bouleverser un équilibre aux dépens de certaines espèces locales, et ne peut être effectuée que sous le contrôle étroit et suivi d'autorités compétantes.

Quelle fut notre surprise, aux gestionaires de l'ONF et à moi-même, d'apercevoir au milieu de l'été quelques jeunes plantes aux feuilles allongées poussant aux côtés des deux premières espèces. La saison fraîche approchant, cette nouvelle espèce ne semblait pas vouloir former d'hibernacles. Les plus vigoureuses hissaient de timides tiges florales, trop tardives pour épanouir les pétales roses (!!!) que contenaient les boutons. Il s'agissait hélas de Drosera capensis qui n'a pu être introduite que clandestinement, sans doute par semis. Elle ressemble de très près à Drosera anglica, qui fait partie de la flore française. Son adaptabilité et sa robustesse maintes fois constatées en culture la font paraître susceptible de concurencer, dans certaines conditions de milieu, les DROSERA indigènes, voire de provoquer une pollution génétique, car toute éventualité d'hybridation, bien qu'improbable, ne puisse être écartée. A tout le moins, sa présence fait perdre au site son caractère naturel et perturbe les travaux scientifiques qui y sont entrepris. La saison de croissance a heureusement été trop courte pour que l'intruse accomplisse son cycle de reproduction et se ressème, et les gelées hivernales devraient éliminer les plantes adultes.

Il n'en reste pas moins que l'introduction d'espèces étrangères représente un danger réel pour un écosystème. Les exemples tant animaux que végétaux ne manquent pas. Les célèbres cas des antipodes (lapins, renards, Opuntia en Australie) ne doivent pas masquer d'autres accidents beaucoup plus proches de nous, dus souvent à la négligence de quelques apprentis sorciers. Bien que théoriquement frileuses, les tortues de Floride relachées dans nos étangs éliminent progressivement la rare Cistude d'Europe, et que penser de la célèbre Caulerpa taxifolia tropicale en Méditerranée ?

Dans l'immédiat, ces prélèvements et cette introduction, qui ne peuvent manquer de faire naître des soupçons à l'encontre des cultivateurs et amateurs de DROSERA, risquent de jeter le discrédit sur notre association, c'est pourquoi nous les condamnons formellement.

Si le législateur a pour l'instant encore omis cet aspect des choses, ne devons-nous pas élargir la notion de protection à l'environnement propice à la survie d'une espèce en danger. A quoi sert-il d'interdire la collecte d'une plante si son habitat peut être sacrifié pour une illusoire valorisation du site ou des expérimentations intempestives ?

Je remercie pour sa relecture attentive et ses conseils constructifs M. H. Morel du Comité Scientifique des RBD, et ai rédigé cet article suite à notre rencontre du 15 novembre 1993 à l'ONF de Rambouillet.


DIONÉE 31 - 1994