A LA DECOUVERTE DES GRASSETTES ESPAGNOLES (2ème Partie) (Serge LAVAYSSIERE)
Arrivés à Grenade en début d'après-midi, notre premier désir fut une
reconnaissance du site puisque nous n'avions aucune idée de ce qui nous
attendait sur la Sierra. Pas difficile d'en trouver l'accès à partir de
Grenade puisque les Espagnols sont très fiers de leur "carretera la màs
alta de Europa", la route la plus élevée d'Europe, qui mène en une
cinquantaine de kilomètres à 3370m d'altitude, pratiquement au sommet
du Pico de Veleta. Nous n'en espérions pas plus puisque Pinguicula
nevadensis est supposé pousser à de telles altitudes, autour du Pico
de Veleta et du Mulhacen, deux sommets éloignés l'un de l'autre de
quelques centaines de mètres.
PREMIERE VISITE
Dès la sortie de Grenade, l'ascension inexorable commence. Longue en
voiture, elle ne semble pas décourager de nombreux cyclistes (syndrome
Indurain !!!). Jusqu'au km 8, nous traversons la banlieue de Grenade
(Lancha de Cenes, Cenes de la Vega...) puis nous quittons la zone urbaine.
L'altitude est ici de 800m et la végétation comporte divers arbres typiques
de la flore méditerranéenne (oliviers, orangers, figuiers, Opuntia
ficus-indica) des arbustes (genévrier, Asparagus sp., aubépine), et des
herbacées xérophytes (immortelles, sauges, lavande, romarin, thym,
salsepareille). La dernière station service (à ne pas manquer) est au
km 22 (altitude 1600m). Nous trouvons la première station de sports
d'hiver (hotels, remontées mécaniques) au km 31, à une altitude de 2100m.
Au dessus de 2500m, la végétation devient plus rare, constituée surtout de
lichens et de quelques lithophytes en coussins (saxifrages) dispersés
parmi les blocs de shiste. Par endroit cependant, en contrebas de la route,
apparaissent dans les cuvettes quelques zones humides dont la verdure nous
donne quelque espoir. Enfin, la route goudronnée s'arrête à une vingtaine
de mètres du sommet du Pico de Veleta (3394m) venteux et froid en cette
pleine après-midi d'août. Nous redescendons alors, persuadés que la quête
sera aisée, les sites favorables aux grassettes nous semblant limités
autant en nombre qu'en étendue.
Le lendemain, ayant quelques achats à effectuer en ville, nous en profitons
pour rendre visite à une librairie spécialisée (Voir adresse en fin
d'article) où nous faisons l'aquisition d'excellentes cartes au 1/25000
et consultons une flore qui montre une photo (pas très bonne) de P.
nevadensis qui paraît tout à fait semblable à P. vulgaris, autant de par
ses feuilles que par sa fleur aux nuances mauves. Comme nous le
soupçonnions, son habitat est les "Borreguiles", ces pelouses humides
d'altitude. Nous voilà donc fin prêts pour le lendemain.
Avant d'aller plus loin dans la découverte de cette plante, il est utile
de donner quelques informations sur le milieu très particulier (fort
endémisme) qui l'abrite.
FORMATION DE LA SIERRA NEVADA
L'émergence de la Sierra Nevada est datée d'il y a environ 20 millions
d'années, et est consécutive à la rencontre des plaques tectoniques
africaine et eurasiatique. La plaque africaine est soulevée par la
pression (qui continue d'ailleurs de nos jours) ce qui explique que
le versant nord de la Sierra soit beaucoup plus abrupt que le versant
sud. Les roches constituant le massif sont des roches métamorphiques
qui se sont formées il y a 250 millions d'années au fond de la mer
"Tetris" à partir de sédiments siliceux et de restes animaux aujourd'hui
transformés en graphite. Ceci explique la couleur gris sombre des schistes
actuels. Nombreuses également sont les incrustations de matériaux plus
récents (180 millions d'années) : marbre, granite, serpentine, amphibolite,
gneiss, ces derniers étant d'origine volcanique. La glaciation d'il y a un
million d'années, bien que n'ayant que très peu atteint la péninsule
ibérique a eu une influence non négligeable à de telles altitudes,
modifiant considérablement la faune et la flore originaire des savannes
africaines. Ainsi les influences historiques à la fois africaines,
nord-européennes et méditerrannéennes et l'isolement dû à l'altitude
font de la Sierra Nevada un îlot à l'endémisme très prononcé.
CLIMAT
De par les influences océaniques (vents dominants d'ouest), méditerranéennes
(50km au sud) et le dénivelé rapide et important, les conditions climatiques
peuvent grandement varier d'un lieu à l'autre. Cependant, P. nevadensis
étant limité au sommets les plus élevés de la région ouest du massif, nous
nous limiterons aux conditions régnant au-dessus de 2500m :
Température annuelle moyenne: 6°C
Certains étangs sont parfois partiellement gelés jusqu'à fin juin.
Nous partons donc en début d'après-midi pour faire une première halte aux abords d'un petit torrent (altitude 2500m), dont l'humidité entretient une pelouse humide constellée d'une multitude de petites fleurs au ras du sol (Gentianes, campanules, renoncules) ainsi qu'une superbe endémique Plantago nivalis dont le nom espagnol (Estrella de las Nieves = Etoile des Neiges) donne une idée assez précise de son aspect. La rosette prostrée de 10cm de diamètre est constituée de feuilles triangulaires couvertes d'une toison blanchâtre. Après une bonne heure de recherche, aucune trace de P. nevadensis, ainsi nous reprenons la voiture pour continuer un peu plus haut. Nous passons l'après-midi à explorer toutes les "borreguiles" en contrebas de la route, hélas sans succès. Nous ne regrettons pas bien sûr ces promenades qui nous ont donné l'occasion d'approcher à quelques dizaines de mètres quelques bouquetins, qui comme nous (pas pour les mêmes raisons) fréquentent ces quelques plaques de verdure. Un peu découragés, nous nous engageons sur une piste caillouteuse qui s'écarte de la route principale une centaine de mètres avant le sommet du Pico de Veleta, en direction du Mulhacen. Un arrêt près du refuge Felix Mendes (en bordure d'étangs dits "Lagunas de Rio Seco") ne nous montre rien de plus. Nous nous fixons comme dernière étape pour aujourd'hui la "Laguna de la Caldereta", quelques centaines de mètres plus loin, au pied du Mulhacen. Le site est assez fréquenté, plusieurs véhicules étant en stationnement au bord de la route, et quelques promeneurs faisant le tour de l'étang blotti au fond d'une sorte de cratère. N'apercevant pas de végétation en bordure de l'eau, (et les jambes un peu lourdes) nous décidons de renoncer pour aujourd'hui. Un dernier coup d'oeil sur la carte (par où commencerons-nous demain ?) nous fait découvrir une petite mare pas très loin (750m) au sud de la piste, et les courbes de niveau s'espaçant laissent deviner un lieu de faible déclivité.
Nous restons encore une petite semaine à Grenade à faire un peu de
tourisme, puis nous décidons à prendre la route du retour. Lors de notre
passage chez Jean-Jacques Labat à l'aller, celui-ci nous avait suggéré de
passer à quelques 130 kilomètres à l'est de Madrid, dans le massif
"Serrania de Cuenca" où S.J. Casper signalait en 1966 la présence de
P. vallisneriifolia, plus précisément au lieu nommé "Hoz de Beteta".
Beteta est un village de montagne que nous abordons par le sud en longeant la gorge du Rio Guadiela. Rien à voir avec la Sierra Nevada puisqu'il s'agit ici d'un massif calcaire dont les falaises blanches surplombent la route et le lit du cours d'eau. Nous n'avons hélas aucune indication précise, ni carte, et à notre arrivée à Beteta, pas de trace d'un quelconque centre d'information ou de tourisme. Nous revenons donc sur nos pas vers un terrain de camping que nous avons aperçu à l'aller, pas loin du village nommé Canizares. le lendemain, reprenant la route en direction de Beteta, nous décidons de nous arrêter sur une aire de pique-nique en bordure du Rio Guadiela, "Fuente de los Tilos". Un sentier escalade la falaise sur la rive gauche du Rio jusqu'à mi hauteur, puis longe la gorge.
Les quelques graines rapportées ont (à l'exception de P. nevadensis pour
laquelle je ne dispose pas d'emplacement suffisemment "alpin") bien germé,
surtout celles de P. grandiflora "Rio Mundo" (voir Dionée n°30), j'espère
donc, grâce aux conseils de Jean-Jacques et de Jürg Steiger en amener
quelques-unes à la floraison. La présence de P. grandiflora et P.
longifolia à des latitudes aussi basses ne manque pas d'intérêt, et on
se croit autorisé à penser qu'il puisse s'agir de sous-espèces (variétés,
formes ?) nouvelles, s'étant différenciées de l'espèce type en raison de
l'éloignement géographique. Les amateurs me pardonneront de ne pas faire
bénéficier la Bourse de Graines de mes récoltes, mais j'espère bien que
les graines envoyées à Jean-Jacques, à Stan Lampard (International
Pinguicula Study Group) et à Jürg Steiger (Suisse) en permettront la
maintenance en culture, l'identification précise et, je l'espère, la
diffusion.
P.S.: J'ai longtemps hésité à idiquer les lieux exacts où j'ai trouvé
ces plantes. J'espère vivement ne pas contribuer au pillage des sites,
mais seulement à une meilleure connaissance de ces plantes. Rappelez-vous
bien qu'une plante née et développé en milieu naturel n'a que très peu de
chances de survivre longtemps à un prélèvement. Lors d'une pollinisation,
les graines sont produites avec chacune un patrimoine génétique légèrement
différent. Seules germent et survivent les mieux adaptées au milieu, une
grande partie des graines produites étant vouées à disparaitre. Les plantes
que vous découvrez dans la nature sont les mieux adaptées au milieu,
laissez-les où elles sont bien. Il n'y a pas grand préjudice à ramasser
quelques graines (attention tout de même à la législation, en particulier
pour les plantes inscrites à l'annexe I du CITES) d'autant plus que la
sélection se produira en culture, ne germeront que les plantes les mieux
adaptées aux conditions que vous leur offrez, celles qui pourront vous
donner le plus de satisfactions.
BIBLIOGRAPHIE:
ADRESSE UTILE:
CARTOGRAFICA DEL SUR & LIBRERIA, C/Valle Inclan, 2, 18003 GRANADA
DIONÉE 31 - 1994
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