De l'eau pour les Plantes Carnivores (S. Lavayssière)
Si de plus en plus nombreuses, les Plantes Carnivores se retrouvent
dans les collections de quelques passionnés, mais également, grâce à
une mode croissante, sont de plus en plus fréquemment proposées dans
les jardineries, il reste un impératif essenciel à la réussite de leur
culture: elles ont une incontournable exigence pour la qualité de l'eau.
L'arrosage.
La grande majorité de ces plantes proviennent de milieux marécageux,
de sols délavés par une humidité quasi permanente qui a depuis longtemps
rincé et éliminé toutes les particules minérales solubles. D'autres,
épiphytes, n'ont pour tout arrosage que les ruissellements d'eau de
pluie qui humidifient régulièrement ou saisonnièrement leur substrat.
Si certaines espèces sont réputées apprécier un sol alcalin, elles ne
sont pas moins sensibles à l'accumulation de résidus minéraux apportés
par les fréquents arrosages.
Lorsque l'on arrose nos pots (ou qu'on les laisse tremper dans ce que
les anglo-saxons appellent le "Tray-System"), l'eau est rarement pure
et contient diverses substances en solution. Cette eau imprègne le compost
pour finir par s'évaporer en surface. Lors de cette évaporation, elle
laisse à la surface du sol (ou dans les parois des pots en terre cuite)
les quelques molécules de sels minéraux qu'elles contenait. Ceci n'a rien
de bien préjudiciable au début, mais avec le temps, le compost concentre
les résidus minéraux. Il apparait assez vite un dépot blanchâtre, visqueux
tant qu'il est humide, poudreux une fois sec. N'y voyez pas une quelconque
prolifération de champignon ou d'algue, il s'agit simplement des sels
minéraux déposés lors de l'évaporation. Quelle que soit leur composition,
ces dépôts ne peuvent qu'être néfastes: s'il s'agit de calcaire (carbonate
ou bicarbonate de calcium), il empoisonnera les plantes calcifuges (la
grande majorité des Plantes Carnivores). S'il s'agit de sulfates,
phosphates ou nitrates (fréquemment utilisés comme engrais), ils
enrichiront le compost, favorisant l'apparition de mousses ou d'algues.
S'il s'agit enfin de chlorures (issus d'adoucisseurs ménagers), ils
rendront vite le sol impropre à la croissance des végétaux (à l'exception
de quelques plantes halophytes peu répandues dans les collections). Dans
tous les cas, le sol tourbeux perdra peu à peu son acidité et se
décomposera très vite, étouffant irrémédiablement les racines des
plantes qui n'auront pas déjà succombé.
L'eau du robinet
Cette eau provient soit de nappes phréatiques, soit de fleuves ou de
rivières. Bien que purifiée et contrôlée par les réseaux de distribution
(surtout absence de germes ou de sels toxiques), les normes concernant
sa dureté (proportion de sels minéraux) sont bien loin des exigences de
nos plantes. Les eaux de distribution contiennent surtout des chlorures,
des nitrates, des sulfates et des bicarbonates, associés à du calcium,
du magnésium, du sodium, ou du potassium. Le si redouté calcaire n'est
autre que du carbonate (ou bicarbonate plus soluble) de calcium. Les
proportions et concentrations varient d'une région à l'autre, en fonction
de la composition des terrains sur (ou à travers) lesquels l'eau aura
circulé avant d'être captée et aussi en fonction de l'usage agricole
intensif d'engrais et de la manière dont ils se seront infiltrés
jusqu'aux nappes phréatiques. Cette eau est la plupart du temps
totalement impropre à l'arrosage des plantes carnivores.
Depuis 8 ans que je m'intéresse à la culture des Plantes Carnivores,
j'ai utilisé plusieurs système de captage ou de purification de l'eau.
Je me propose de les exposer chronologiquement avec quelques remarques
et appréciations.
L'eau de pluie
Investissement: quelques seaux, un bac de réserve important et beaucoup
de disponibilité.
Il s'agit théoriquement d'une eau idéale, puisque c'est elle qui arrose
les plantes en milieu naturel. Il est nécessaire cependant d'émettre
quelques réserves et de prendre de sévères précautions. Dans les régions
fortement industrialisées, l'atmosphère est chargée de divers polluants
(poussières industrielles, gaz divers) que la pluie ne peut s'empêcher
de dissoudre et de précipiter au sol. Il est donc conseillé d'attendre
1/2 heure que l'atmosphère soit rincée avant de récolter l'eau de pluie.
Les toits et gouttières doivent également être propres (la mousse n'est
pas néfaste) et exempts de poussières. Eviter les matériaux riches en
matières alcalines (fibro-ciment) et les gouttières métalliques qui, au
contact du gaz carbonique dissout, produiront des sels métalliques
hautement toxiques. L'eau ainsi récoltée devra être stockée en cuve
chimiquement neutre (plastique), en évitant soigneusement pour les mêmes
raisons que ci-dessus les bacs métalliques ou cimentés.
Je n'ai pas longtemps persévéré avec cette eau, rarement propre en région
parisienne, et peu disponible en été lorsqu'on en a le plus besoin. Mes
capacités de stockage ont très vite été insuffisantes, aussi je me suis
orienté vers un autre système d'obtention d'eau.
L'eau bouillie
Investissement: une cocotte minute consacrée à cet usage, une consommation
de gaz non négligeable, une demi-bouteille en plastique au fond percé de
petits trous et remplie de tourbe.
L'ennemi numéro un des Plantes Carnivores est le calcaire, et il faut
reconnaître qu'en la matière, nous sommes servis en Ile de France. Le
calcaire rocheux est du carbonate de calcium
(Ca++CO3--) très peu soluble.
Comment donc se retrouve-t-il en forte concentration dans l'eau courante ?
Tout simplement en se transformant en bicarbonate de calcium
(Ca+++2 HCO3-)
très soluble, sous l'action du gaz carbonique dissout dans l'eau de pluie.
Cette transformation de carbonate en bicarbonate n'est pas irréversible,
puisque les bicarbonates sont instables au dessus de 80°C. Il suffit donc
de faire bouillir l'eau (à la cocotte minute pour plus d'efficacité)
pendant un temps suffisant (1/4 d'heure) pour que les bicarbonates se
décomposent en carbonates + gaz carbonique. Ce phénomène est la cause
de l'entartrage des chaudières, cafetières électriques et autres machines
à laver. Après refroidissement, il suffit de siphoner l'eau et de la
filtrer à travers quelques 10cm de tourbe. Le fond de la cocotte minute
se retrouve tapissé d'une poudre blanche de calcaire très utile pour
adoucir le compost des grassettes (rien ne se perd !). J'ouvre une
parenthèse à se sujet, certains d'entre vous se demanderont pourquoi
supprimer le calcaire de l'eau puisque je le rajoute à certains composts ?
Tout simplement puisqu'une fois le compost correctement équilibré, il est
inutile de rajouter un peu de calcaire à chaque arrosage.
Bien qu'imparfait (puisque ne supprimant que les carbonates) se système
m'a été fort utile pendant quelques années (chauffage, refroidissement,
filtrage, il fallait avoir la foi !). Les Grassettes semblaient apprécier
cette eau contenant encore quelques matières nutritives (sulfates,
nitrates...) mais les Droseras (entre autres) avaient besoin d'un rempotage
annuel car le compost se décomposait encore assez vite et mousses et algues
s'en donnaient à coeur joie.
Les résines échangeuses d'ions
Investissement: environ 1000F, une pompe à air et un diffuseur d'aquarium.
Les accessoires d'aquariophilie peuvent nous être d'une grande utilité.
J'exclus tout de suite les résines des adoucisseurs ménagers, dont le but
n'est, comme leur nom ne l'indique pas, non pas d'éliminer les sels
minéraux, mais de remplacer les sels de bicarbonates (cause du dépôt de
"tartre") par des sels de chlorure très stables et très solubles mais
encore plus toxiques pour les végétaux (pas seulement les plantes
carnivores d'ailleurs). Les résines d'aquariophilie se présentent sous
la forme de deux cartouches transparentes contenant des billes de résines.
Il suffit de faire circuler l'eau à travers elles dans un ordre précis. Les
sels minéraux en solution sont constitués d'ions chargés électriquement, un
ion positif (cation) étant toujours associé à un (ou plusieurs) ion négatif
(anion). A titre d'exemple, le calcaire est composé d'un anion carbonate
CO3-- et d'un cation calcium Ca++, le sel
de cuisine d'un anion chlorure
Cl- et d'un cation sodium Na+.
La première cartouche, chargée de billes rouges, échange tous les cations
contre des ion H3O+. Ainsi les nitrates se transforment en acide nitrique
(H3O++NO3-), les carbonates en acide carbonique
(2H3O++CO3--), les
chlorures en acide chlorhydrique (H3O++Cl-), etc. L'eau sortant de cette
première cartouche est donc fortement acide.
Lors du passage dans la seconde cartouche les anions sont échangés contre
des ions OH-. Il en résulte théoriquement
H3O++OH --->2H2O, soit de l'eau
pure.
Il faut périodiquement régénérer les résines, un changement de couleur
informe de leur état de santé. La première se régénère avec de l'acide
chlorhydrique, la seconde avec de la soude caustique. Il est préférable
d'utiliser des produits purs (fournitures pour laboratoires), éviter en
particulier les paillettes de soude vendues en droguerie pour déboucher
les éviers (j'en ai fait la désastreuse expérience).
Ce système devrait être très fiable (puisque préconisé pour l'élevage de
poissons fragiles), cependant il ne m'a pas apporté entière satisfaction.
L'eau obtenue s'avère être encore très acide (pH de 5,5), et ne dépasse
pas un pH de 6, même après plusieurs jours d'une aération vigoureuse (pompe
et aérateur d'aquarium). Les aérateurs minéraux en arrivaient même à être
attaqués par l'acidité de l'eau ! Les plantes franchement acidophiles ne
s'en plaignaient pas trop, mais j'ai failli perdre ainsi plusieurs
Pinguiculas mexicains. D'autre part, il semble que les résines s'épuisent
puisqu'à la longue, il est nécessaire de les régénerer de plus en plus
fréquemment. Il est vrai que ces résines sont conçues pour traiter en
circuit fermé l'eau d'un aquarium de quelques centaines de litres au
maximum, pas pour déminéraliser 50 litres mensuels d'une eau très dure.
Les osmoseurs
Investissement: à partir de 2000F.
Le fin du fin ! Le principe consiste à envoyer de l'eau sous pression
(pression du réseau) contre une membrane céramique dont la porosité est
étudiée pour laisser passer les molécules d'eau en arrêtant les ions
minéraux (plus gros que les molécules d'eau). Le système (encore un
accessoire d'aquariophilie) se présente sous la forme d'une cartouche
opaque munie de 3 tuyaux: une entrée et deux sorties. L'arrivée, munie
d'un robinet, se branche sur une conduite d'arrivée d'eau froide, les
deux sorties sont l'une pour la vidange à brancher sur une évacuation,
l'autre pour la sortie d'eau déminéralisée. Le débit (goutte à goutte)
varie selon la pression de 20 à 50 litres par 24 heures, ce qui est
largement suffisant pour un usage amateur. Aucune mauvaise surprise quant
à la qualité de l'eau qui sort à un pH compris entre 6,5 et 7. Les
plantes se portent admirablement bien (autant les calcifuges que les
calcicoles), le compost des pots semble tout neuf un an après le
rempotage. A signaler également que cette eau est excellente pour préparer
le café ou le thé !
Conclusion
Voici donc quelques recettes utiles (faîtes-nous part de vos propres
expériences et bricolages en la matière). Si aujourd'hui je suis
enthousiasmé par l'eau osmosée, il n'empêche que les autres méthodes
sont tout à fait utilisables à condition d'en connaître les limites qui
peuvent dans bien des cas être suffisantes. Il reste que pour une petite
collection ne nécessitant pas un tel investissement, l'eau déminéralisée
(osmosée industriellement) est idéale et est vendue pour les fers à
repasser dans toutes les grandes surfaces aux environs de 3 F le litre.
DIONÉE 30 - 1993
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