A LA DECOUVERTE DES GRASSETTES ESPAGNOLES (1ère Partie) (Serge LAVAYSSIERE)
Après un fort agréable séjour de 3 jours dans le Gers (chez Jean-Jacques
Labat), nous avons franchi les Pyrénées au tunnel de Bielsa avant de
traverser l'Espagne sur 700km (Huesca, Zaragosa, Teruel, Albacete, Sierra
de Cazorla) pour enfin arriver au camping "Fuente de la Pascuala" où notre
emplacement nous attendait, à l'ombre bienvenu d'une pinède.
Les lecteurs connaissant l'article précédent (Dionée 21) pourront se
rendre directement au paragraphe suivant et me pardonneront les quelques
redites qui suivent afin de résumer une présentation du site. Le Parc
Naturel des Sierras de Cazorla, Segura y las Villas a obtenu son statut
protégé le 5 février 1986. Il est composé de 214 000 hectares répartis
sur 23 territoires communaux. Il englobe plusieurs chaines montagneuses
dont les sommets ocscillent de 600 à 2106 mètres d'altitude. Un relief
très varié permet une grande variété de caractères climatiques et
écologiques, des vallées sombres et humides aux sommets venteux et
arides, en passant par une multitude de biotopes différents, pelouses
sèches ou grasses, sous bois de diverses essences, rivages... Ce parc
occupe la deuxième place en Espagne (après la Sierra Nevada) quant à
la diversité de sa flore, comprenant un grand nombre d'espèces endémiques,
dont l'emblème du parc Viola cazorlensis et bien sûr Pinguicula
vallisneriifolia qui semble avoir disparu des autres sites extérieurs
au parc où elle avait été signalée (Sierra de Tejeda, Sierra Alhamilla...).
Constitué autour de la haute vallée du Rio Gadalquivir, le Parc est
traversé par une route principale d'une cinquantaine de kilomètres
longeant la vallée du Rio Guadalquivir, en bordure de laquelle se
répartissent les quelques campings, hôtels, auberges et restaurants,
ainsi que le parc cynégétique, le centre d'information et le jardin
botanique. Quelques routes secondaires et diverses pistes plus ou moins
carrossables permettent des incursions en des sites tous plus exceptionnels
les uns que les autres.
Après une nuit réparatrice, notre premier objectif fut de retourner voir le site visité en 1990. A six kilomètres en aval du camping, se trouve le centre d'information de Torre del Vinagre. Une route traverse alors le Rio Gadalquivir jusqu'à une pisciculture où les promeneurs doivent laisser les véhicules. Là nous nous sommes engagés sur une piste carrossable à l'accès interdit aux véhicules par une chaine (seuls les gardes du parc l'empruntent) qui longe le Rio Borosa en remontant son cours. La forêt de type méditerranéen comprend divers résineux, chênes verts, génévriers, pistachiers avec un sous-bois riche en essences aromatiques (romarin, lavande...) et nous offrait occasionnellement l'ombre si fraîche de quelques figuiers. De nombreuses espèces lithophytes (Sedum, chardons...) colonisent les parois calcaires du déblai en bordure de la piste. Après une marche de 5 kilomètres, nous abandonnâmes la piste qui s'écarte du Rio pour suivre un sentier en direction de "Cerrada de Elias". Le sentier traverse plusieurs fois le Rio (nous appréciions fortement les passages sur la rive gauche ombragée) et apparaissent quelques zones plus humides en raison de sources et ruissellements. Enfin, après la traversée d'un dernier pont nous arrivâmes en vue de la gorge étroite appelée "Cerrada de Ellias". Là, le sentier s'accroche sur la rive gauche de la rivière pour se transformer en ponton de planches. La situation de cette gorge, à 1000 mètres d'altitude, orientée est-ouest, crée un micro-climat rafraichi et humidifié par l'eau du Rio.
Après avoir impressionné deux rouleaux de pellicules, je jugeai raisonnable
de m'arrêter là (d'en garder pour des découvertes ultérieures) et de
m'ateler à la deuxième tâche que je m'étais fixée : la collecte de graines.
Les capsules sèches ne manquaient pas (floraison en avril-mai) mais toutes
étaient ouvertes et avaient depuis longtemps réparti leur contenu aux
alentours. Certaines graines pouvaient même avoir déjà germé. Malgré tout,
après avoir ramassé toutes les capsules à ma portée (sur les deux rives),
je me trouvais en possession d'une petite quantité de graines, insuffisante
pour la Bourse de Graines, mais de quoi toutefois faire plaisir à quelques
"mordus" à qui j'en avais promis.
Il était temps de reprendre notre promenade. Sortant de cette gorge vers
l'amont, la muraille s'écartait légèrement du lit du Rio pour à nouveau
laisser place au sentier. Une nouvelle source humidifia le sol ainsi que
la roche à notre droite lorsque j'aperçu à nouveau quelques feuilles
dépassant d'un "pallier" horizontal, à environ 1,80m du sol. Il s'agissait
encore de Pinguicula vallisneriifolia, poussant cette fois-ci dans une
cuvette horizontale très humide. Me hissant sur la pointe des pieds, je
découvrai alors une dizaine de plantes avec 3 fleurs épanouies. Il
s'agissait malheureusement d'une floraison déjà bien avancée, les fleurs
molles et blanches ne présentant plus la bordure bleutée de leur jeunesse.
Cette découverte imposait toutefois quelques clichés, malgré la position
très inconfortable qui expliquera ma déception quant à la qualité du
résultat.
Lors de notre retour à Torre del Vinagre, le centre d'information était
ouvert et nous en profitâmes pour nous désaltérer et le visiter. Un
spécialiste de la flore était présent et nous entreprîmes une discussion
fort intéressante et riche d'informations avec lui. Nous lui annonçâmes
notre surprise d'avoir découvert ces quelques fleurs et il nous apprit
qu'il n'était pas exceptionnel que ces plantes fleurissent une deuxième
fois en automne, avec le retour des pluies. Sans doute, la situation très
humide de celles que nous avions vues expliquait-elle cette deuxième
floraison précoce. Nous apprîmes également lintroduction récente de
Pinguicula vallisneriifolia sur la fontaine du jardin botanique en
compagnie de Pinguicula grandiflora. Il était hélas trop tard pour le
visiter ce jour-là aussi notre programme était prêt pour le lendemain.
Programme modeste, mais raisonnable en raison de la fatigue du voyage
qui, masquée par l'excitation première, recommençait à se faire sentir.
Le deuxième jour fut donc consacrée à une visite du petit jardin botanique
où, en effet, se trouvaient plusieurs grassettes, bien moins belles hélas
qu'à Cerrada de Ellias. Elles surgissaient d'un creux dans la fontaine
couverte de mousse, ce qui ne ressemblait en rien au milieu naturel. Les
feuilles flasques, rincées par l'écoulement de l'eau semblaient bien
pitoyables et rien ne permettait de soupçonner l'allure réelle de cette
plante. Il y avait bien comme annoncé quelques plants de Pinguicula
grandiflora, mais leur aspect tout aussi triste ne nous invita pas à
nous attarder. Mais le mal était fait, je n'aurais de paix avant de voir
cette nouvelle grassette en pleine nature ! Nous retournâmes donc au
centre d'information afin d'extorquer quelques tuyaux. Avant de satisfaire
notre curiosité première, ce botaniste nous apprit qu'il existait
vraissemblablement deux sous-espèces de Pinguicula vallisneriifolia et
que les résultats de ces recherches devraient être publiées d'ici environ
un an dans la revue botanique du parc. Il nous apprit également que le
Pinguicula grandiflora que nous avions vu était une sous-espèce endémique
dont la publication officielle était elle aussi en cours. La perche était
trop belle et, le coeur battant, je posai alors la question qui me brûlait
les lèvres. Je ne pouvais m'empêcher de penser à la réticence avec laquelle
cet homme nous avait indiqué "Cerrada de Ellias" 3 ans auparavant et fut
fort surpris de le voir déplier une carte et nous montrer de bonne grâce
la source du Rio Mundo, à 70km en direction du Nord-Est. Le programme du
lendemain était tout trouvé.
Malgré la beauté des sites traversés et les nombreux arrêts auxquels nous n'avons pu résister, j'épargnerai au lecteur le trajet pour le déposer directement au site "Nascimiento del Rio Mundo". En arrivant, nous avons presque eu envie de repartir vu l'aspect touristique du lieu et l'affluence des visiteurs. Restaurant, bar, parking de plusieurs centaines de places, rien ne nous aurait décidé à visiter si nous n'avions l'espoir d'y découvrir une grassette endémique. Nous avons donc chaussé nos chaussures de randonnée et avons suivi un dense flot de touristes qui suivaient tous le même chemin, un panneau indiquant "Miradors" (Points de vue). Quelques centaines de mètres après l'aire de stationnement, le Rio apparut longeant le chemin à quelque distance, sur la gauche. Nous avons jugé préférable de nous écarter du sentier décidément trop fréquenté pour remonter le cours d'eau directement dans son lit.
Enfin rassasiés de grassettes, nous avons terminée la semaine en promenades
et randonnées diverses, le Parc ne manquant pas d'autres sites de grand
intérêt.
Le temps était venu pour nous de reprendre la route, non pas du retour
mais vers le sud, pour une quête encore plus excitante puisque, pour
l'instant, Pinguicula nevadensis n'est qu'un nom cité dans quelques
ouvrages, et que nul (à ma connaissance) n'en a vu aucune photographie.
Dans "Monographie der Gattung Pinguicula L.", S.J. Casper cite l'étage
nival du Pico de Veleta et du Mulhacen qui ne sont rien moins que les
deux plus hauts sommets de la Sierra Nevada, à plus 3400m d'altitude.
En route donc pour Granada...
DIONÉE 30 - 1993
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