PINCUICULA ALPINA (ou une grassette chez les "Alpins") (Sébastien Duvéré)
Si pour beaucoup le service militaire est synonyme de "désagréments", j'étais
pour ma part plus que satisfait lorsque je recevais mon appel sous les drapeaux,
il y a deux ans, puisqu'on m'affectait au 27ème Bataillon des Chasseurs Alpins
à Annecy.
C'est au cours d'une des nombreuses randonnées que j'apercevais,
durant le mois de juin, pour la première fois des Pinguiculas in situ. Bien sûr,
certains auraient souhaité gravir le mont Kinabalu et apercevoir ses Népenthès, mais il
s'agissait là d'un tout autre endroit : La Montagne du charbon. Située à 5km de la
pointe sud du lac d'Annecy, elle rappelle, avec un peu d'imagination, les Tépuys
sud-américains par ses parois verticales qui semblent protéger la réserve naturelle du
massif des Bauges.
Après quelques minutes de marche à partir du lieu-dit Montgellaz, à
une altitude de 800m environ, je repérais quelques rosettes de Pinguicula vulgaris dans
le lit d'un torrent pratiquement asséché. Il ne subsistait que peu de fleurs auxquelles
mes compagnons ne prêtaient pas attention puisque la colonne n'avait qu'une seule idée :
atteindre le sommet rapidement car le ciel se faisait menaçant. Je me résignais donc à
poursuivre notre ascension avec ce sentiment frustrant de ne pas pouvoir observer
attentivement "les indigènes".
Pourtant, à environ 1400m, à la base des escarpements, j'observais de petites
fleurs blanches à la gorge ponctuée de jaune. Après quelques instants
d'étonnement, je remarquais des insectes englués sur les langues vert-jaune de
certaines rosettes.
Le doute n'était plus permis, je faisais face à cette petite
princesse des Alpes, Pinguicula alpina. Elle était nichée sur quelques coussinets de
mousse à peine humides, ancrés dans la paroi calcaire et parfois blottie dans des
fissures qui laissaient échapper des coulées de sets minéraux, témoins d'un
ruissellement intermittent. Malheureusement, l'époque de la floraison se terminait car la
majeure partie des hampes soutenait une capsule mûre et certaines rosettes commençaient
à dépérir par manque d'humidité, malgré l'orientation nord-ouest de la paroi.
Je réussissais à prélever des graines ainsi qu'un peu de substrat
argilo-sableux, au sein des fissures, afin d'augmenter les chances de germination. Cette
petite manipulation suscitait alors de nombreuses questions, et c'est au cours de la
discussion que je dévoilais l'expression fatidique de "plante carnivore au pays des
gentianes !". Un engouement général pour cette petite plante était alors à son
comble et certains se demandaient déjà si elle n'allait pas détrôner la gentiane,
emblème de la division alpine.
Alors, verrons-nous un jour la grassette sur la terre alpine au beau
milieu d'un défilé ???
DIONÉE 29 - 1993
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