RETOUR EN NOUVELLE-CALEDONIE

(Robert GIBSON)

Traduction Pierre Sibille



Vers la fin de décembre 1990, j'ai eu le plaisir de passer une douzaine de jours de vacances familiales à Vanuatu et en Nouvelle-Calédonie où j'ai consacré deux jours à la recherche et l'observation de plantes carnivores.


Avant les vacances j'avais contacté Tanguy Jaffre, un botaniste de l'ORSTOM à Nouméa. Il m'avait aimablement proposé des facilités techniques pour l'herbier et il m'avait aussi conseillé de contacter Monsieur BOULET qui a la responsabilité des parcs et réserves dans le sud de la Nouvelle-Calédonie, ce que je fis. Je me suis entretenu aussi avec Peter Abell du Jardin botanique royal de Sydney qui m'a parlé d'une remarquable station de Nepenthes vieillardii.


De mon précédent voyage en Nouvelle Calédonie, deux années auparavant (voir Dionée 23 et 25), je connaissais trois sites de plantes carnivores. Cette fois-ci j'avais mon propre appareil photographique avec objectif macro et un stock considérable de pellicules acheté à l'aéroport de Mascot.


Pour le premier jour de "chasse" aux plantes carnivores (mardi 01.01.90), nous avons utilisé une voiture de location que nous devions restituer dès 17 Heures. Alors mon père et moi partons de bonne heure, ce matin-là, pour le Mt Koghi. L'embranchement pour la route de 5km vers la station d'altitude et l'auberge est maintenant bien signalé. C'est à la borne des 4km que le paysage en contrebas de la route change, passant de la forêt humide luxuriante et des jardins à la végétation de maquis ouvert qui couvre la majeure partie du massif ultramafique. Les plantes carnivores sont un composant de ce maquis.


Nous passons à côté de nombreux Nepenthes vieillardii poussant sur le talus bordant la route. Nous garons la voiture près d'un large ravin dans lequel, deux ans auparavant, nous avons trouvé beaucoup de Nepenthes. Rien n'a changé et je peux voir de nombreuses plantes adultes sur le sol du ravin. Ce fossé s'allonge sur 80m environ ; les parois d'un à deux mètres, sont formés soit de latérite, soit d'éboulis de granules de sol rougeâtre. Des fougères, de nombreux arbustes et quelques plants de Megastylis gigas, une orchidée terrestre, sont les principaux végétaux poussant dans le ravin. N. vieillardii est localement abondant.


Je monte la pente et rencontre le premier Nepenthes, un pied mâle dont les multiples tiges grimpent sur les parois du ravin et sur la végétation adjacente. Les urnes supérieures, vertes, avec un péristome rouge, atteignent 10cm de haut. Un spécimen semblable pousse tout près. A peu de distance, un plant spectaculaire a des ascidies inférieures toutes rouges, de 8 à 20cm de haut. Au début, j'avais l'intention de décrire et photographier chaque Nepenthes que je trouverais, toutefois, après avoir mieux observé la région et constaté l'abondance des Nepenthes, je compris que ce projet n'était pas viable. Au lieu de cela, je pris note de cette variation et conclus que, pour cette station au moins, les urnes inférieures sont plus grandes et plus spectaculairement colorées que les urnes supérieures. Celles-ci tendent à être vertes et les spécimens les plus attrayants ont des péristomes noirs. Un sujet exceptionnel a des ascidies pubescentes, entièrement vertes, atteignant 20cm. Pour la majorité des plantes, la floraison est terminée et les graines mûrissent, alors que les anciennes hampes florales sont noires et dégarnies.


Je ne rencontre qu'un seul plant mâle en fleur ; le parfum est très faible contrairement à d'autres espèces de Nepenthes.


Pendant mon exploration de la partie supérieure du ravin, je découvre une rosette isolée de Drosera néo-caledonica ;elle mesure 3cm de diamètre et garde les restes de la hampe florale. Elle pousse sur terrain nu formé d'un sol d'origine latéritique légèrement humide, surfacée de cailloux friables. Ayant trouvé cette plante, je soupçonne qu'il doit y en avoir d'autres. Je les découvre à 5m plus loin dans un petit fossé avec N. vieillardii .


Plus loin dans la montée, je rencontre quelques pieds femelles de ce Nepenthes dont les tiges grimpantes portent des capsules en cours de mûrissement. Les vestiges d'anciennes capsules, ouvertes, se trouvent généralement sur la partie extérieure de la plante, exposés aux éléments qui favorisent la dispersion des graines. Un plant femelle, cependant retient mon attention : il se développe de façon prédominante, à la surface du sol. Les nouvelles pousses ont porté plusieurs inflorescences. Sur le sol, au-dessous des capsules, se trouvent beaucoup de graines couleur paille de 7mm de long sur 1mm de large. J'en ramasse avant de tourner mon regard vers l'origine probable de cette manne. A mon grand plaisir, je constate que beaucoup de capsules contiennent encore des graines. Quelques fruits ne se sont pas ouverts correctement, et d'autres, quoique bien ouverts, recelant encore un peu de graines. Sur la même plante, je trouve une seconde hampe florale qui porte des graines.


Plus loin sur la pente, la végétation devient plus dense et je ne vois plus de Nepenthes ; toutefois, en redescendant de l'autre côté du ravin, j'observe des plants avec des urnes inférieures brillamment colorées : de rouge à marron foncé, quelques-unes presque noires. Tout près de là, je trouve un fossé peu profond dans lequel poussent trois petits Nepenthes. Regardant plus attentivement, je vois quelques D. neo-caledonica dont les rosettes, vertes, de 1 à 2cm de diamètre, sont plaquées au sol. Cependant, quelques plantes au bord du fossé atteignant 3,5cm de diamètre avec des tiges de 1 à 5cm. Un spécimen a une hampe florale de 14cm avec les restes de 7 capsules qui, depuis longtemps, ont répandu leurs graines.


J'ai passé, jusqu'alors au moins une heure à regarder tout autour, aussi je quitte le ravin et suis la route pour revoir un groupe de N. vieillardii que j'avais découvert deux ans auparavant. Les plantes sont en très bon état et il y a maintenant beaucoup de jeunes plants. Ceux-ci vont de rosettes d'un diamètre de 5cm à des spécimens ayant des urnes inférieures rouges de 3 à 10cm de hauteur. Les ascidies supérieures des plantes mères sont vertes, atteignant 10cm de haut. Les arbustes du maquis voisin sont aussi couverts d'une masse épaisse de N. vieillardii et je ne sais pas pourquoi je ne les avais pas vus lors de ma précédente visite.


Dans un ravin adjacent, poussent des plantes dune taille également impressionnante avec une abondance d'inflorescences mâles et femelles. Sur la pente, les N. vieillardii recouvrent densément les buissons du maquis. Les urnes supérieures apparentes sont petites et vertes, avec une touche de rouge, et la caractéristique prédominante est constituée par les fructifications déhiscentes dressées au-dessus de la masse principale de végétation. Le terrain est trop accidenté pour que je puisse approcher des plantes.


Je reviens vers la voiture par la bordure nord du ravin principal. A l'extérieur de celui-ci on trouve très peu de Nepenthes. Cependant, certains poussent dans un profond et très étroit fossé où je les avais vus il y a deux ans : de petits plants avec des urnes intérieures rouge vif de 15cm de haut et une plante plus âgée, avec de minces urnes supérieures vertes, qui allonge ses tiges hors de la ravine et dans le maquis environnant.


Je jette un dernier coup d'oeil dans le grand ravin. Parmi les nombreux plants - jeunes ou adultes - de Nepenthes, je rencontre un second pied femelle avec quelques capsules complètement mûres. Je recueille des graines, prends des photos (de la "plante 2" comme je la désignerai plus tard) et me hâte vers la voiture. Nous gagnons le point de vue pour admirer le fantastique panorama, puis nous nous engageons dans un des nombreux chemins de la forêt humide. Je ne trouve ni N. vieillardii , ni neo-caiedonica en cet endroit, malgré les conditions apparemment propices. Nous prenons un repas au restaurant près du point de vue. Le Nepenthes mâle dans le jardin à l'entrée du restaurant, remarqué lors de ma visite précédente, n'a pas très bon aspect parmi les Impatiences. Au restaurant, on peut acheter pour 200 CFP une brochure qui donne des renseignements sur les promenades des environs ainsi qu'une clé d'identification des espèces qui sont désignées par un numéro sur un poteau près d'exemplaires typiques, le long des sentiers.


Nous quittons le Mt Koghi juste après midi et nous dirigeons vers les pentes orientales du Mt Dore, à 25km de là. Nous garons la voiture à Fontane du Plum et marchons auprès de la route où l'eau suinte continuellement sur le talus, provenant de nombreuses sources. Je passe une heure à cet endroit, photographiant et collectant des spécimens d' Utricularia uliginosa et Drosera neo-caledonica.


U. uliginosa pousse à la base du talus humide. Les plantes se présentent en groupes discrets parmi les herbes, l'eau étant présente ou non à la surface. Cette espèce ne produit pas beaucoup de fleurs, chaque hampe n'ayant qu'une fleur épanouie à la fois. Les feuilles d'un vert pomme, mesurent de 4 à 10mm, les plus longues se trouvant aux endroits où l'eau est apparente.


Les fleurs sont typiques de l'espèce avec une strie blanche très marquée traversant le milieu de la lèvre inférieure, par ailleurs pourpre (*), presque horizontale. La lèvre supérieure, inclinée vers l'avant, cunéiforme avec une entaille centrale, dépasse à peine la grande bractée derrière elle. L'éperon vertical est vert pâle. La caractéristique dominante des hampes florales est constituée par les grandes bractées vertes et pourpres*. Les hampes, vertes, hautes de 10cm portent d'une à cinq fleurs. Très peu de celles-ci sont pollinisées pendant leur fugace floraison.


A mi-pente du talus, U. uliginosa pousse parmi des D. neo-caledonica, ceux-ci s'étendant vers le haut du remblai, mais ne se prolongeant guère dans le maquis au-delà du talus. Toutes ces plantes forment des rosettes de 3cm de diamètre, serrées contre le sol, qui ne semblent pas très vigoureuses. L'une des plantes a fini de fleurir et cinq fruits sont en cours de mûrissement. Les plantes poussent sur sol humide peu profond, partiellement ombré par des fougères et de l'herbe. De l'autre côté de la route, sur la pente, j'aperçois un marais herbeux qui accueille probablement ces deux plantes carnivores, mais je n'ai pas le temps de l'explorer.


Nous reprenons la route vers le lac Yaté où nous connaissons quelques stations de plantes carnivores au sud du lac. En cours de route, nous remarquons que le niveau du lac est au moins à 5m en-dessous de la capacité maximale et que le pont traversant la baie de Pointe Barre a été détruit par un cyclone. Maintenant deux ponts sont en construction à l'origine de la baie.


Nous nous arrêtons là, près d'un marais dans un petit bassin à l'ouest de la crique Pernod. Le niveau de l'eau dans le petit lac et le marécage adjacent est notablement inférieur à la normale. Tout autour le maquis laisse place à la végétation herbacée au bord du marais. Dans le sol fin et humide poussent des plantes carnivores tant au-dessus qu'au-dessous du niveau de l'eau.


Des plants isolés et de petits groupes de D. neo-caledonica poussent parmi les joncs pointus de la rive. A cet emplacement, toutes les plantes forment des tiges ; une plante imposante présente dix pousses sur une tige atteignant 15cm de haut. Les rosettes ont 4cm de diamètre. Les tiges, très importantes (jusqu'à 3cm de diamètre) comportent une colonne centrale de tissu vasculaire, d'environ 5mm de diamètre qui alimente le point de croissance. Autour de cette colonne, une masse de feuilles mortes est cimentée par la boue (probablement déposée pendant les crues). Partant régulièrement du centre de la tige, des racines noires à la coiffe blanche, d'1mm de diamètre descendent au travers de la masse de boue et feuilles mortes jusqu'au substrat sous-jacent. Aucune de ces plantes n'est en fleur mais certaines conservent les restes de hampes mortes (voir croquis).


Les D. neo-caledonica s'étendent sur une courte distance au-dessus du marais parmi les rochers. Quelques plantes poussent aussi de l'autre côté de la crique sur des terrains plats boueux normalement inondés. L'autre plante carnivore dans la région est Utricularia uliginosa dont les fleurs présentent deux variétés de couleur. La plus commune a une fleur d'un pourpre (*) pâle, très semblable à celle que j'ai vue auparavant au Mt Dore. Cependant je trouve une hampe florale avec une fleur d'un pourpre (*) foncé. L'espèce pousse sur sol humide, de chaque côté du ruisseau, et aussi sur le fond sous 15cm d'eau courante limpide. Dans cette dernière situation, les feuilles ont 1,5cm de long sur 3mm de large (alors que celles de la rive ont 1,5cm de long sur 2mm de large). Après avoir prélevé quelques spécimens pour l'herbier, nous mettons le cap à l'Est pour tenter de trouver une station de N. vieillardii dont Peter Abell m'a parlé. Malheureusement le temps nous manque et je ne trouve pas ce site. Nous rentrons à Nouméa.


Le jour suivant arrivant à l'hôtel, dans l'après-midi, je découvre une lettre de Monsieur Boulet. Je la fais traduire à la réception. M. Boulet demande à me rencontrer le lendemain et à m'accompagner à la Plaine des Lacs pour m'aider à collecter des spécimens botaniques. Je l'appelle pour arranger notre rencontre en dépit des difficultés de langage.


Juste avant 8Heures du matin, le mercredi 3 janvier 1991, je rencontre M. Boulet dans le hall de l'hôtel. Après un échange de salutations, il me fait monter dans son véhicule tout-terrain et nous partons pour l'expédition. Un bref arrêt chez lui où son fils Frédéric se joint à nous. Heureusement Frédéric sait mieux parler l'anglais que moi le français si bien que nous pouvons communiquer.


Nous nous arrêtons d'abord à la Chute de la Madeleine, un endroit ravissant. La cascade a environ 10m de large et 3m de hauteur. Le plan d'eau à la base est profond et permanent. Monsieur Boulet me signale qu'il y pousse une utriculaire aquatique aux fleurs jaunes, probablement Utricularia gibba . Cependant, nous ne voyons aucune plante.


Dans la zone proche de la cascade nous trouvons des plants de D. neo-caledonica poussant parmi des galets d'oxyde de fer sur latérite. Les rosettes, de 1 à 2,5cm de diamètre poussent dans des endroits très ensoleillés ou légèrement ombrés. Quelques-unes forment de courtes tiges (d'un cm). Certaines ont de nouvelles hampes émergeant parmi les feuilles. Comme dans les autres stations, cette espèce est entre deux périodes de floraison. Les rosettes poussent en groupes de différentes densités allant d'un à vingt plants par mètre carré. Parmi les droséras et même partout dans le maquis pousse la grande orchidée terrestre Eraxis figida qui est en pleine floraison. Les fleurs blanches et pourpres sont abondantes à cet endroit.


Nous reprenons la route en suivant la rivière dans le sens du contre-courant. Le chemin devient peu praticable et je me félicite d'être dans un 4x4. Le terrain s'aplanit et devient marécageux vers l'est. Après avoir traversé une petite rivière, nous allons vers le nord-est. Moins de vingt minutes après, nous voyons le premier de nombreux petits lacs. On serait très avide de l'explorer mais M. Boulet explique que l'accès en est difficile. Nous stoppons brièvement un peu plus loin pour admirer une grande orchidée terrestre - Megastylis gigas - en pleine fleur.


Le Lac en Huit apparait, suivi du Grand Lac, le plus grand des lacs naturels de l'île. La route longe la rive sud de chacun de ces lacs. Sur le bord oriental du Grand Lac, la route bifurque. Nous allons vers le Nord Est, passons devant de vieux bâtiments construits pour les mines de nickel et nous engageons sur une piste d'atterrissage. Ensuite un chemin nous conduit dans une intéressante végétation de maquis à l'est du lac. Des D. neo-caledonica poussent au gué d'une rivière asséchée, au départ de la route.


Peu avant midi, nous nous arrêtons près d'un petit lac. M. Boulet, avec enthousiasme, saute de la voiture et se dirige vers la rive, me faisant signe de venir le rejoindre. Là, je trouve une tache d' U. Uliginosa poussant en eau très peu profonde (2 à 10cm) parmi les joncs, sur le sol tourbeux meuble de la berge. Il n'y a pas de fleurs ouvertes, mais beaucoup de hampes florales sont en formation. Les feuilles sont les plus longues que j'ai vues dans les diverses stations de l'île ; elles atteignent 6cm. Je prélève quelques spécimens et regagne la voiture. Monsieur Boulet me montre un Dendrobium ngoensis fleuri, poussant en épiphyte sur un arbuste près de la route. Après l'avoir photographié, nous repartons.


Un peu plus loin, nous observons un autre lac sans trouver d'autres plantes carnivores. Nous persévérons dans notre recherche à travers différents types de végétation de maquis. A un certain endroit, M. Boulet désigne une espèce endémique de Gardénia en fleur. Puis la route traverse un canal qui relie le Grand Lac avec le Lac Yaté. Après un court trajet, nous arrivons à un petit ruisseau qui se jette au sud-ouest dans le Grand Lac. Une végétation marécageuse basse s'étend sur 50 à 80m de chaque côté du lit du ruisseau et ouvre une voie dans le maquis environnant. C'est l'endroit extême atteint ce jour-là car nous passons quarante minutes à explorer le marais et observer les D. neo-caledonica et U. uliginosa qui poussent là. Je prends des photos, des notes et quelques spécimens botaniques. Nous déjeunons grâce aux provisions généreusement fournies par M. Boulet.


Ici, D. neo-caledonica pousse dans une variété d'habitats comprenant des sols compacts, dérivés de roches ultramafiques (et même sur des morceaux de bois enfoncés dans ces terrains) ; sur des sols humides, faiblement consolidés et sur des sols détrempés dans le lit du ruisseau.


Dans cette dernière situation quelques plantes poussent même sous l'eau et elles ont des rosettes vertes atteignant 8cm de diamètre. Dans toutes les situations, les plantes sont solidement ancrées par leurs racines et sont donc capables de rester en place durant les inondations. Aucune des plantes n'est en fleur mais l'une d'elles porte les restes d'une hampe florale récemment fanée, et d'autres montrent les vestiges de longues hampes ayant porté jusqu'à douze fleurs. Les plantes ont des tiges très peu développées.


U. uliginosa pousse dans des situations humides à détrempées. Les plantes sont en fleur. Les fleurs sont d'un pourpre plus foncé que celles observées au Mt Dore. Une forme particulière de cette espèce pousse dans une petite anse du lit d'un ruisseau. La fleur est d'un vert pale et les lèvres supérieure et inférieure sont médiocrement formées.


Près de cette forme à fleurs vertes d' U. uliginosa poussent deux touffes de D. neo-caledonica sur le lit du ruisseau. Les plantes sont grandes et saines ; elles me rappellent quelque peu les D. intermedia à courte tige. En aval, quelques plantes poussent sous l'eau. Une observation rapprochée montre que la plupart de ces plantes se sont formées à partir des racines exposées de plantes situées juste en amont ; c'est un exemple de reproduction asexuée. Il est donc manifeste que cette espèce est susceptible d'être propagée par boutures de racines.


Nous revenons sur nos pas vers la route principale sans aller à la chute de la Madeleine. M. Boulet est évidemment déçu que nous n'ayons trouvé aucun N. vieillardii pendant cette journée, en dépit de notre vigilance. Nous passons aux bureaux du Parc territorial de Rivière bleue avant de pénétrer dans le parc. Après un court trajet sur la route principale, nous nous engageons dans un chemin en impasse. Là, M. Boulet et Frédéric sautent de la voiture et se dirigent vers le maquis.


En descendant de l'auto, je remarque une plante grimpante sur un arbuste proche de la route. L'observant de plus près, je constate qu'il s'agit de N. vieillardii . L'unique tige de la plante grimpe jusqu'à 3,5cm et porte une rosette terminale avec un fruit mûrissant. Je vois alors M. Boulet se tenant à côté d'un énorme N. vieillardii qui s'étale sur les buissons bas et, par ailleurs, sur le terrain nu. Il forme une masse inextricable de 5m de long, 2m de large et jusqu'à 1m de haut. Seules sont présentes les urnes supérieures, atteignant 6cm, vertes avec des mouchetures rouges à l'intérieur au-dessus de la zone digestive. Ces ascidies se trouvent à l'extrémité de feuilles coriaces de 7,5cm de long sur 1,5cm de large, avec des inter-noeuds de 3cm. Cette plante a des centaines de capsules en cours de mûrissement. J'examine les plus anciennes dont certaines contiennent encore des graines. J'en recueille et les étiquette "Plante A".


Un peu plus loin sur la pente, M. Boulet trouve un autre Nepenthes de taille tout aussi impressionnante. Il s'agit également d'un plant femelle qui conserve aussi dans quelques vieilles capsules des graines que je collecte en les étiquetant "Plante B". Cette plante a des feuilles atteignant 13cm de long sur 3cm de large et des urnes supérieures vertes de 8cm. Elles contiennent une petite quantité d'un fluide visqueux avec les restes de fourmis et autres insectes. La plante n'a pas encore fini de fleurir ; les fleurs sont rouges. Ce Nepenthes pousse surtout verticalement avec des tiges de 2m de longueur. La base de la plante se trouve sur le bord d'un fossé peu profond et elle a quelques courtes tiges portant des urnes inférieures, de 10cm de haut, rouges à rouge-noir, cette vive coloration étant obtenue en dépit de l'ombre procurée par le reste de la plante.


Sur le chemin du retour, je remarque un quatrième N. vieillardii , un grand plant mâle poussant à côté d'un fossé ; ses dimensions sont égales à celles de la "Plante A". Il a des urnes supérieures de 10cm, à l'extrémité de courtes feuilles sur des tiges de 1 à 3m de long. Les urnes sont bien plus colorées que celles des plantes adjacentes ; à l'extérieur elles sont tachetées de rouge.


Il apparaît que même ce petit groupe de plantes est capable de produire une énorme quantité de graines ; je soupçonne que la plupart d'entre elles sont entraînées dans l'eau du fossé. A la Rivière Bleue, les plantes avaient de plus petites feuilles et généralement des urnes plus réduites que celles observées au Mt Koghi mais elles poussaient dans des conditions plus sévères.


Nous repartons vers Nouméa. En cours de route, M. Boulet nous dit que certaines formes de N. vieillardii , dans quelques stations de montagne, ont des ascidies contenant jusqu'à 1,5l de fluide.


De retour à l'hôtel, je remercie chaleureusement M. Boulet et Frédéric et rejoins la famille pour raconter tout ce que j'ai vu. Malheureusement je ne peux aller à l'ORSTOM (Institut français de Recherche Scientifique pour le développement en coopération) pour rencontrer Tanguy Jaffre ou répondre à sa proposition de consulter l'herbier. Je le regrette encore le lendemain en arrivant à Mascot, l'aéroport de Sydney.


Les graines et les échantillons à conserver en bocaux passent à la douane mais les spécimens à mettre en herbier, considérés comme "trop verts" sont confisqués.


Il y a encore beaucoup de choses à voir en Nouvelle-Calédonie. J'aimerais y retoumer pour observer Utricularia novae-zelandiae a insi que d'autres espèces de plantes carnivores, et noter leurs variétés. On a signalé récemment la découverte de Nepenthes mirabilis (Philips et Lamb, 1988).


Ce séjour fut fantastique avec un bel amalgame de volcans actifs, roches ultramafiques, couchers de soleil tropicaux et plantes carnivores.



Références :

  • Gibson R. 1990 " Carnivorous Plants of New Caledonica " (Part one) - Flytrap News - Vol. 4, N° 2.
  • Gibson R. 1991 " Carnivorous Plants of New Caledonica " (Part two) - Flytrap News - Vol. 4, N° 3.
  • Philipps A. and Lamb A. 1988 "Pitcher plants of East Malaysia and Brunei" Nature Malaysiana Vol. 13, N° 4.


Remerciements :

Ce voyage n'aurait pas été possible sans mon père qui s'intéresse activement à tant de choses. J'adresse mes remerciements à Peter Abell, précédemment aux Royal Botanic Gardens de Sydney ; à Tanquy Jaffre de l'ORSTOM et, tout particulièrement, à M. Boulet et son fils Frédéric.

Je voudrais aussi remercier Ken Harper et Richard Tilbrooke pour leurs suggestions concernant le texte.


Conseils pratiques

Une autorisation est nécessaire pour collecter des échantillons botaniques en Nouvelle-Calédonie.

Pour l'obtenir, contacter :

Monsieur Boulet
Chef du Service de l'Environnement
et de la Gestion des Parcs et Réserves de la Province Sud
B.P. 2386
NOUMEA
Nouvelle Calédonie

Pour consulter l'herbier de l'ORSTOM, contacter :

Monsieur Tanguy Jaffre
ORSTOM
Centre de Nouméa
B.P. 5
NOUMEA
Nouvelle Calédonie


Remarque :

Les graines des quatre N. vieillardii ont été distribuées à plusieurs amateurs d'Australie et Nouvelle-Zélande. Elles étaient encore viables et ont germé aisément, les plantules ayant des feuilles étrangement larges en comparaison d'autres espèces avec des bords grossièrement dentelés (A. Lowrie comm. pers. 1991).


Espérons que l'identité de la plante mère aura bien été conservée et que des plants issus de ces graines seront disponibles pour d'autres amateurs.







Note du traducteur:


* Dans le texte, l'adjectif "pourpre" doit être pris avec beaucoup de réserve. Le terme anglais "purple" pouvant signifier: violet, cramoisi, pourpre ...

A quand un codage international (numérique ?) des couleurs ?

Le "flou artistique" de certains mots sied à la littérature, à la poésie, mais les descriptions botaniques ne souffrent pas ces ambiguïtés.


DIONÉE 29 - 1993