PLANTES CARNIVORES DE L'ARRIERE-PAYS FLECHOIS (SARTHE) (P. Souben).
L'article de F. Rivadavia sur les plantes carnivores des environs de Sào-Paulo
(Brésil) paru dans DIONEE 26 (92/02) évoque pour moi un cas similaire de l'utilité
de l'action de l'homme sur le maintien d'une station favorable au développement
de ces plantes (souvent bien involontairement). Il s'agit en l'occurence d'un site
établi en limite nord du massif forestier du Pugle dans l'arrière-pays flêchois
(confins du Maine-Anjou) en bordure d'un petit ruisseau se jetant quelques
kilomètres plus loin dans le Loir. Son assise géologique est constituée de sables
Cénomaniens (secondaire) comportant des alios ferriques (localement appelé
"roussard") et quelques bancs plus ou moins argileux. Les sols de cette région
naturelle sont pauvres et trés filtrants conduisant à un déclin accéléré de la mise
en valeur agricole qui se traduit par l'apparition de friches ou de boisements en
pin laricio ou maritime.
La très nette majorité de la forêt du Pugle est constituée d'une futaie de pins
maritimes alliant le pin sylvestre, le châtaignier, les chênes pédonculé et tauzin et
le bouleau verruqueux. On se croirait pour peu dans les Landes de Gascogne.
Il y a quelques décennies, ce massif comprenait, surtout dans ses périphéries, un
certain nombre de parcelles que l'agriculture pouvait se permettre de mettre en
valeur: prairies pour les zônes humides, et céréales pour les secteurs plus secs.
Les prairies tourbeuses furent les premières à être délaissées. Le site étudié est
I'une d'elle, abandonnée par l'agriculture depuis une dizaine d'années. Son
cortège floristique se compose de molinie, carex sp., Iinaigrette à feuille étroite,
bruyères ciliées et à quatre angles, callune, osmonde royale, epipactis des marais,
orchis tâcheté, gentiane pneumonanthe, polygale à feuilles de serpolet, ancolie
vulgaire, bourdaine, aune glutineux, saules marsault et roux, pins sylvestre et
maritime (bonzaïformes !) avant d'aborder, sur les parties plus sèches, le domaine
du pin maritime avec son cortège de chênes tauzin et pédonculé, bouleaux
verruqueux, fougère aigle, bruyères cendrées et à balais, callune, ronce, cladonie
et diverses mousses.
Les touradons de molinie abritent dans les espaces laissés libres de petites
dépressions où la sphaigne règne en maître. Pensant pouvoir assainir sa parcelle
pour la mettre en valeur, le propriétaire des lieux a procédé il y a cinq à six ans à
la réalisation d'importants travaux de fossés débouchant sur le ruisseau (un mètre
de profondeur, voire plus, par deux mètres de large approximativement).
Il en fut pour sa peine et son argent, la tourbe atteignant dans la partie basse plus
d'un mètre de profondeur. Par contre, les banquettes de tourbe ainsi mises à nu
ont été colonisées par trois espèces: Drosera rotundifolia et intermedia et
Pinguicula lusitanica, cette dernière ayant essaimé avec un remarquable succès.
Le fond des fossés, toujours détrempé et comportant quelques poches d'eau
permanentes (étant sensiblement au niveau du ruisseau ou alimenté par des
suintements) héberge une timide population d'Utricularia minor.
Quelques centaines de mètres plus loin, un sien voisin a pensé pouvoir mettre à
profit ces dernières années de sécheresse en pratiquant de même et en effectuant
une plantation de pins sylvestres sur la tourbière ainsi aménagée (même
phénomène de "valorisation" de terrain à outrance que celui constaté par P.
JOLIVET avec les enrésinements des sites à Dionées aux Etats-Unis), pensant par
ce biais valoriser un terrain inculte contre l'avis du service forestier départemental
(il s'en fallut même de peu qu'il ne transformat le site en un vaste plan d'eau,
autre phobie des "améliorations" des zones humides) deux ans plus tard, des
colonies de grassettes du Portugal éclosaient cà et là sur les parois des fossés et
même quelques timides rossolis. Les pins sylvestres aussi ont bien poussé,
profitant d'un assainissement de surface lié à la sécheresse marquée qu'a connu
cette région, mais devant la difficulté d'accès du site et avec le retour d'années
plus normales, ils ne devraient guère porter ombrage à la flore si intéressante de
ces anciennes prairies tourbeuses abandonnées (les orchidées étant, quant à elles,
menacées par l'abandon du fauchage et l'envahissement excessif de certaines
graminacées).
Ces micro-stations de quelques milliers de mètres carrés seulement sont
aujourd'hui classées en ZNIEFF (Zone Naturelle d'lntérêt Ecologique Floristique et
Faunistique) de type 1 (le plus grand intérét) et en espace naturel à protéger au
Plan d'Occupation des Sols de la commune de La Flêche.
Mais, seule une politique de défiscalisation du foncier non bâti de tels terrains
pourrait les mettre de manière assez efficace à l'abri de reboisements qui
bénéficient d'exonération trentenaire de la taxe foncière et d'aides financières très
attractives, ainsi que de tout autre mode de soi-disant mise en valeur (la
maïsiculture a fait des ravages avec ces années de sécheresse, outre les
traitements y étant appliqués).
DIONÉE 27 - 1992
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