MULTIPLICATION D'UTRICULAIRES PAR BOUTURES DE HAMPES FLORALES

(L. Legendre)


Utricularia laterifolia

Photo : Serge Lavayssière


Il est une loi du désordre, appelée entropie, qui veut que tout objet ne peut rester à sa place et tend à se mixer avec son voisin. Cette loi ne s'applique pas seulement à nos appartements mais aussi, tout particulièrement, aux utriculaires. Conserver deux espèces d'utriculaires, chacune dans son pot, est une tâche délicate au travers de laquelle peu de gens sortent victorieux puisque j'ai souvent eu la peine (ou la joie - tout dépend comment on voit la situation) de recevoir deux espèces d'utriculaires dans une même motte de terre après n'en avoir commandé qu'une chez un ami ou un fournisseur professionnel. Les racines de nos deux amies sont, hélas, si intrinsèquement mêlées, que leur séparation devient vite mission impossible.


Une solution classique au problème de la séparation de deux utriculaires a été décrite dans un bulletin de l'ICPS (Belanger C.A., CPN 18 (4) 119). Elle consiste à laisser nos deux amies se développer dans un nouveau compost pour pouvoir ensuite les bouturer séparément en utilisant, comme organe de bouture, une de leurs feuilles. Cette technique fonctionne merveilleusement bien lors de la multiplication d'utriculaires épiphytes mais s'applique beaucoup plus difficilement aux utriculaires terrestres dont les feuilles sont parfois petites (quelques millimétres de longueur), fragiles, et d'aspects semblables (voir par exemple: U. laterifolia/U. dichotoma ou U. subulara/U. jancea). Dans ces cas particuliers, il est toujours possible de bouturer séparément nos deux amies maia, cette fois-ci, en utilisant leurs tiges florales comme organes de boutures. Celles-ci sont en effet, d'une manière générale, plus solides, plus faciles à manipuler et d'apparences plus variées. Je n'ai, hélas, jamais vu cette technique pourtant connue de plusieurs amateurs apparaitre dans une de nos bibles des plantes carnivores et l'ai, en fait, découverte d'une manière assez fortuite


L'hiver dernier, alors que je travaillais dans ma petite serre d'intérieur, les bras plongés au milieu d'inflorescences d'U. laterifolia, j'eus la surprise de voir que toutes les inflorescences s'attachaient à mon pull-over par l'intermédiaire de leurs fleurs et gousses de graines. Etant dans l'impossibilité de les détacher, je retirai mes bras de la serre et, par la même occasion, déterrai toutes les hampes florales. Ce fut un de ces moments où l'on se sent tout bête et où notre langage perd, momentanément, de sa tenue. Avec un fond d'imagination scientifique, je me voyais au milieu d'une plaine australienne transformée en kangourou à pull over, arrachant inconsciemment les inflorescences de cette pauvre utriculaire, et les disséminant de-ci, de là, au hasard d'une course folle. De retour à la réalité, je décidai de tester l'hypothèse selon laquelle cette espèce aurait évolué vers la création de hampes florales capables de s'accrocher à des surfaces velues pour satisfaire ses besoins de multiplication vers de nouveaux horizons.


Je replantai donc ces déracinées dans un nouveau pot et eus la joie de voir de nouvelles feuilles apparaitre une à deux semaines plus tard. La reprise de ces boutures est donc au moins deux fois plus rapide que lors d'une bouture de feuilles. Ma plus grande surprise fut de constater que les hampes florales ne périrent point mais continuèrent à se développer et à fleurir comme si de rien n'était. L'âge des hampes florales choisies ne fut pas extrêmement critique, même si une reprise plus rapide fut observée avec des hampes florales en début de maturité, i.e. possédant de 2 à 5 fleurs.


Rempli d'espoir, je décidai de retenter la même expérience avec d'autres utriculaires terrestres. U laterifolia prouva étre la seule utriculaire terrestre de ma collection dont les hampes florales furent prises d'un attachement fou pour mon pull-ower. Je retirai alors chaque hampe florale, comme l'on pique les pétales d'une marguerite, puis les replantai séparément, chacune dans son propre pot. Lors de ce procédé, les hampes florales se cassérent toutes quelques millimétres en-dessous de la surface du sol. La partie de "racine charnue", maintenant exposée à l'air, ressemblait à un petit cactus puisque plusieurs bouts (moins d'un millimètre de long) de racines s'y accrochaient avec une symétrie radiale. Les résultats furent très mitigés. Les boutures d'U. dichotoma, U. livida et U. subulata reprirent sans aucune difficulté, méme si les hampes florales utilisées périrent plus rapidement que normal. U. sandersonii eut une reprise délicate et lente, et U. juncea refusa de coopérer. Toutes ces observations montrent que plusieurs utriculaires terrestres peuvent étre aisément multipliées par boutures de hampes florales. Il est donc fort possible que cette caractéristique représente un trait évolutif commun à ces espèces pour augmenter leur potentiel reproductif dans un certain miiieu. Des animaux velus pourraient en effet participer à la dispersion d'U. laterifolia et des oiseaux en quête de matériel pour leur nid seraient fort bien capables de multiplier les autres espèces, par exemple. Les bases et origines d'une telle évolution restent cependant toujours secrètes.


La morale de cette histoire ressemble étrangement à une chanson populaire qui appelle très fortement un troisième couplet:

Utriculaire, gentille Utriculaire,
Je te plumerai les feuilles, je te plumerai les feuilles;
Je te plumerai les hampes florales, je te plumerai les hampes florales;
Je te plumerai les ...


DIONÉE 26 - 1992