C'est lors d'un échange entre le Cercle Naturaliste des Etudiants de Haute-
Normandie (CNEHN) et l'association "ENvironnement JEUnesse" (ENJEU) de La
Pocatière, Québec, que quinze étudiants français ont pu visiter le 3 août 1990 le
centre éducatif forestier de Parke. Cette réserve se situe dans la région du Bas
Saint-Laurent, à 500km au nord de la ville de Québec, 16km au sud de Saint
Alexandre de Kamouraska et 100km de la frontière nord du Maine (USA).
D'une superficie de 3452ha, ce territoire est surtout recouvert par de la forêt de
pins, mais il comprend de nombreux lacs vestiges du retrait des glaciers (-12000
à -13000 BP). C'est en suivant un sentier d'interprétation bien aménagé que nous
avons débouché sur le "Lac-Marais" de Parke, vaste étendue d'eau recouverte
dans sa périphérie par une végétation herbacée d'ou pointaient des trompettes
vertes aux fleurs étranges sur des hampes de 60cm de hauteur !
Notre guide québécois eut tôt fait de nous présenter la Sarracénie pourpre, la
plus grande plante carnivore du Québec. Habitués à la modeste taille de nos
plantes carnivores françaises, nous découvrions avec stupéfaction cette plante
formidable par sa taille mais aussi par sa morphologie et ses adaptations aux
milieux tourbeux.
DESCRIPTION
La Sarracénie est une plante vivace glabre, dont les feuilles en forme de cruches
ou de trompettes (long: 10-20cm), sont veinées de pourpre ou complètement
vertes, Les hampes (long: 30-60cm) sont terminées par des fleurs solitaires
penchées et pourpres (diamètre: 4-5cm). Elles possèdent cinq pétales recourbés
et de cinq rayons qui se terminent aux angles par des stigmates en crochets. La
floraison est printanière, le fruit est une capsule granuleuse (FRERE
MARIE-VICTORIN, 1964). On trouvera de nombreuses informations sur la germination
et la culture des Sarracénies grâce aux articles de R. BOOM, G. BLONDEAU
et R. AUBRY, 1986.
FONCTIONNEMENT DES PIEGES
Si l'on passe le doigt à l'intérieur de la feuille tubuleuse, on voit qu'un
revêtement de poils dirigés vers le bas favorise l'entrée mais rend la sortie
difficile aux malheureux insectes attirés par le nectar secrété sur le "capuchon" et
dans la partie supérieure de l'urne. Il arrive le plus souvent que l'insecte
prisonnier s'épuise en vains efforts et se noie dans le fluide digestif que la feuille
renferme presque toujours.
Des enzymes spéciaux dégraderaient les cadavres des insectes capturés et
permettraient l'assimilation directe des substances organiques ainsi digérées par
les tissus de la feuille. Les ascidies de la Sarracénie sont remarquablement
imputrescibles et peuvent se conserver longtemps. Ce phénomène est dû à une
résine contenue dans les cellules superficielles de la plante.
ETYMOLOGIE
Le nom du genre a été dédié par Tournefort à son dévoué collaborateur Michel
Sarrazin (1659-1734), médecin du roi à Québec, sous le nom de Sarracena, que
Linné modifia plus tard en Sarracenia.
Les Québécois connaissent la Sarracénie sous le nom de "Petits cochons", nom qui
devient intelligible quand on considère la variante: "Oreilles de cochons". Il
s'agit d'une ressemblance suggérée par le limbe libre ou l'opercule de la feuille.
Dans les principaux dialectes indiens de l'Amérique, la plante est désignée sous le
nom "herbe-crapaud"; I'idée semble être que la Sarracénie, comme le crapaud,
mange des insectes. Le S. purpurea est l'emblème floral de la province de
Terre-Neuve (FRERE MARIE-VICTORIN, 1964).
ECOLOGIE
La Sarracénie est une plante des tourbières acides à Sphaignes. On la trouve
dans tout le Québec, même à l'extrême nord. Elle se situe en bordure des lacs, là
ou le tapis végétal colonise en surface l'étendue d'eau. Cet enchevêtrement végétal
constitue des radeaux ou tremblants qui se bomberont grâce à l'apport de matière
organique pour constituer des touradons.
Cette dynamique conduira progressivement au comblement du lac et à l'installation
d'une végétation arborée.
La Sarracénie pousse en compagnie d'autres plantes carnivores (D. rotundifolia et
D. intermedia) avec des tapis de sphaignes, de carex et de linaigrettes. On
remarquera également la présence du Cassandre ( Chamaedaphne calyculata Moench
= Cassandra Calyculata L, Ericacées) et de la Smilacine (Smilacina trifolia,
Liliacées).
Lors du bombement de la tourbière et de la perte du caractère hydrophile du
substrat s'implantent de nombreux arbustes dont l'ombre du feuillage finira par
éliminer la Sarracénie. Parmi ces arbustes, on peut noter: le crevard des
moutons (Kalmia angustifolia) et le thé du Labrador (Ledum groenlandicum).
Ces Ericacées sont en fait des vicariantes des Callunes et Bruyères qui
envahissent nos tourbières acides. Les arbustes cédant a leur tour la place aux
divers pins (Pinus strobus. Pinus resinosa. Pinus divaricata) lorsque la tourbière
sera définitivement comblée.
DISCUSSION
La Sarracénie des tourbières québécoises ne possède pas son équivalent en
Europe. Cependant, I'affinité des Sarracénies et des Nympheas est remarquable.
Les pétioles de ces derniers contiennent de grandes cavités revêtues de poils
internes (les trichomes). Dans les Sarracénies, ces cavités semblent fusionnées en
une seule où nous retrouvons les poils des Nympheas, mais qui, cette fois, ont
une utilité apparente, celle d'empêcher l'évasion des insectes capturés.
La micro-évolution spécifique différente entre l'Europe et l'Amérique, depuis la
séparation des deux continents, n'explique pas que d'un côté de l'Atlantique un
Nymphea aurait pu devenir terrestre et carnivore consécutivement à la dynamique
du milieu (comblement) !
L'absence de la Sarracénie dans nos contrées est-elle due alors à des conditions
climatiques différentes ?
Cette hypothèse tend également à être infirmée par les introductions réussies de
Sarracénies en Suisse et en Irlande (AUBRY R, 1986). Il faut donc encourager ce
genre d'expérience afin d'augmenter la richesse biologique de nos tourbières. Mais
il faut toujours procéder avec prudence car la taille des pieds observée par
FURST R. et MORENO D., 1986 en Suisse (diamètre: 1m !) n'a pas été confirmée
dans la tourbière de Parke.
Si les Sarracénies ne risquent pas d'envahir l'Europe, elles peuvent être cependant
des concurrents sérieux pour les plantes carnivores indigènes (Droséras),
du fait de leur important recouvrement et de l'avantage que lui confère la taille de
leurs ascidies pour la capture des insectes, quand il ne s'agit pas de graines
d'espèces indésirables qui pourraient être importées par inadvertance avec les
Sarracénies !
Dans ce genre d'expérience rien n'est jamais acquis et la prudence s'impose donc
toujours avec un suivi scientifique des introductions.
BIBLIOGRAPHIE
DIONÉE 25 - 1992
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