PLANTES CARNIVORES DE NOUVELLE-CALEDONIE

Précédemment paru dans Flytrap News, Volume 4 Numéro 2, 1990

(R. Gibson - Traduction S. Lavayssière)


Cet article fait suite à des vacances familiales en Nouvelle Calédonie qui eurent lieu du 1er au 11 janvier 1989. La raison principale de ce voyage était récréative, j'eu la certitude de trouver 3 des 5 espèces autochtones dans leur biotope naturel. Les Plantes Carnivores de Nouvelle-Calédonie ne sont qu'une petite partie de la flore fantastique qui couvre l'île et qui est un héritage de la fascinante histoire géologique de ces îles. Un résumé rapide de l'histoire géologique de Nouvelle-Calédonie est nécessaire avant tout. Cette île est un fragment de Gondwana, soit une partie du super continent regroupant l'Australie, I'Antarctique, I'Inde, I'Afrique et l'Amérique du Sud (White, 1986). Ce groupe commença a se disloquer au cours du Jurassique (il y a environ 180 millions d'années) pour se stabiliser au début de l'ère Tertiaire (il y a 65 millions d'années) avec la séparation de la Nouvelle-Calédonie et de l'Australie. La Nouvelle Calédonie emporta avec elle un échantillonnage de la végétation du début du Tertiaire qui évolua isolément. L'événement le plus important suivant ceci fut l'installation d'une remontée de la croûte océanique, ou ophiolite, au cours de l'Eocène, il y a 55 à 38,5 millions d'années ( Brothers and Lille, 1988). La minéralogie de l'ophiolite est dominée par le fer, le manganèse, le nickel et le chrome avec de plus faibles quantités de calcium, phosphore et potassium, entre autres. De telles concentrations minérales ne sont généralement pas favorables à la croissance des végétaux, mais, au cours des millénaires, les plantes de Nouvelle-Calédonie ont évolué pour s'adapter à de telles conditions où elles formèrent un type de végétation connu sous le nom de "maquis" (en français dans le texte). Depuis l'Eocène, la couche d'ophiolite s'est stabilisée, formant des bassins, en particulier dans le sud de l'île principale, une part substantielle du massif ultrabasique a subi l'érosion, et une élévation s'est produite dans le Sud-Est de l'île. Les sols résultant du massif ultra-alcalin, qui couvre 6000 km2, soit 30% de 1'île principale (Schmid, 1981), présentent une minéralogie similaire à celle de la roche mère. Des espèces de Plantes Carnivores sont une partie des végétaux qui furent capables de coloniser de tels sols. Ces rapports minéraux-végétaux se rencontrent en d'autres lieux dans le monde, par exemple avec Darlingtonia californica sur la serpentine dans l'Ouest de l'Amérique du Nord (Schnell, 1976), et certains Nepenthes sur ophiolite au Mont Kinabalu ; sans nul doute, il en existe de nombreux autres exemples. La date de l'arrivée des Plantes Carnivores en Nouvelle-Calédonie, reste encore inconnue. Il semble évident aujourd'hui que les Droséras sont arrivés durant ou juste après la séparation entre l'Australie et la Nouvelle Calédonie (Degreef, 1989), et les Nepenthes sont sans doute aussi arrivés après la séparation, grâce a des graines portées par le vent depuis la Nouvelle Guinée proche (Lowrie, 1988, correspondance personnelle).


Les Plantes Carnivores de Nouvelle-Calédonie sont les suivantes:

Nepenthes vieillardii

C'est de loin la plus grosse et la plus spectaculaire des Plantes Carnivores natives de Nouvelle-Calédonie. Elle se trouve aussi bien en Nouvelle-Guinée qu'en Nouvelle-Calédonie, présentant une grande variabilité en Nouvelle-Guinée. Les plantes de Nouvelle-Calédonie tendent a avoir une tige plus courte et sont semblables a celles que l'on trouve sur le Mont Doormantop dans le Nord Ouest de la Nouvelle-Guinée. En Nouvelle-Calédonie cette espèce a été signalée au Mt Koghi, dans la région aux alentours de la Baie de Prony et de l'île des Pins (Danser, 1928) et au Mont Dore (Jones and Wison, 1987). Les urnes du bas atteignent une taille de 21cm pour 5cm de diamètre, et sont colorées de vert au péristome rouge fonce, mais certaines formes spectaculaires violet foncé ont été signalées au Mont Dore ( Jones et Wison, 1987). Les urnes du haut sont plus petites et moins colorées. Cette espèce a une préférence pour des habitats ravinés et secs. La majorité des spécimens observés par Peter Jones et Mark Wison en août 1984 possédaient une racine pivotante atteignant 32cm qui se divise en "courts pompons de fibreuses radicelles noires" (Page 75, Jones and Wison, 1987)


Drosera neo-caledonica

Il s'agit d'une espèce endémique, vivace dans la nature. Son diamètre habituel est de 3 à 7cm. En situation humide, la plante forme une rosette plate, plaquée au sol, alors qu'en situation plus sèche, la plante forme une rosette semi-érigée dont la tige peut atteindre 5cm de haut. La tige pousse très lentement, la plante gardant sa rosette et conservant les feuilles mortes; comportement semblable à celui de D. montana var roraimae (Slack, 1986). Parfois, une nouvelle pousse émerge de la base de la tige. Les feuilles étroites ont un pétiole long et étroit, large de 1mm et long de 1 à 2cm. La surface du piège est petite et étroite, habituellement longue de 1cm et large de 2mm. La feuille entière, à l'exception de la surface du piège, est couverte de poils blancs bien visibles. Les fleurs blanches, jusqu'à 9, sont du même côte d'une grappe dressée montant jusqu'à 25cm. Des fleurs et des tiges florales immatures ont été observées en août 1984 (Jones et Wison, 1987) et en janvier 1988. Dans les deux cas, aucune graine n'a été trouvée dans les vieilles capsules. Les fleurs restent dressées pendant la fructification.


Utricularia uliginosa

Cette espèce variable a une aire de répartition qui comprend la Nouvelle-Calédonie et s'étend de l'Inde au Japon et à la Corse, traversant l'Indochine, le Nord et l'Est de l'Australie (Taylor, 1989). Les fleurs violettes sont petites, le pétale inférieur mesure 3mm de large sur 2mm de long, le supérieur en forme de coin, fait 2mm de long avec un éperon vertical de 3mm. Ces fleurs se présentent de 2 à 8 sur des tiges de 5 à 15cm. Le calice ovale compressé est un des traits remarquables de cette plante, il atteint 5 mm de long pour 3mm de large. Les plantes préfèrent des situations humides en permanence et furent observées en fleur en Août 1984 (Jones and Wilson, 1987) et en janvier 1988. Les feuilles atteignent une longueur de 1 à 4cm (Jones and Wilson, 1987).


Utricularia novae-zelandiae

Cette espèce de l'Est neo-calédonien était premièrement connue sous le nom Utricularia canacorum mais Peter Taylor lui a donné sa nouvelle désignation en 1989. Il est d'apparence très similaire à Utricularia dichoroma et Utricularia monanthos desquels il est très proche (Taylor, 1989). L'aire de répartition de cette espèce n'est pas si inhabituelle qu'il semblerait au premier abord si l'on se réfère à I'histoire post-Crétacée de la région.


Utricularia gibba

Une petite espèce aquatique à la floraison variable dont l'aire de répartition couvre de nombreuses régions tropicales. Les localisations en Nouvelle-Calédonie ne sont pas précisées, mais il devrait se trouver dans la région de la Baie du Prony.



Ma famille arriva à l'aéroport de La Tontouta après 2 heures et demie de vol à partir de Sydney. De là, nous prîmes la route jusqu'à Nouméa, à 54km, où nous nous installâmes à l'Hôtel île de France. Le temps était chaud, agréable et ensoleillé ce qui ne dura pas puisque les deux jours suivants un cyclone tropical nommé Delilah balaya la côte Est de l'île. Les conditions de vent et d'humidité étaient très intéressantes à expérimenter ! Le ciel commença à s'éclaircir l'après-midi du mardi 3 janvier 1989, mais les rivières étaient toutes en crue et les montagnes de I'intérieur restaient masquées par des nuages. Le temps redevint clément, avec des orages d'après-midi, pour le reste de nos vacances à l'exception d'un seul jour. Durant cette période, j'ai eu l'occasion de visiter trois sites à plantes carnivores, tous situés à quelques heures de Nouméa. Ces sites sont décrits ci dessous.



Mont Kochi

Un petit groupe de sommets ultramafiques (N.D.T.: roches d'origine magmatiques riches en magnésium et en fer) se situe à environ 40km au Nord Est de Nouméa. Il est accessible par la RT1, qui passe par le Col de Tonghoué. La bifurcation vers le Mt Koghi est a environ 2km du col, vers la gauche. La petite route balayée par le vent commence au milieu d'une végétation luxuriante, avec quelques maisons et jardins. Elle traverse de nombreux ruisseaux en serpentant sur les premiers versants du Mt Koghi. La végétation change brutalement après environ 3km de route. La route fait un brutal virage à droite à l'endroit où la haute forêt humide laisse place à une végétation dominée par de bas arbustes nommée "maquis" (Schmid, 1981). C'est dans ce "maquis" que se trouve N. vieillardii. La route continue encore sur 2km environ jusqu'à un point de vue, un restaurant et un site touristique à une altitude d'environ 500m. Un petit spécimen mâle de N. vieillardii se trouve à l'entrée du restaurant. De là, partent de nombreuses pistes difficiles qui mènent à de nombreux sommets (jusqu'a 1079m d'altitude). Ce sire se trouve dans une zone de forêt humide, due sans doute à la présence d'une arête granitique et à l'accumulation de matériaux organiques et nutritifs. N. vieillardii se trouve depuis le début du maquis jusqu'au restaurant, mais également certainement à d'autres endroits éloignés de la route. Il a une prédilection pour les ravins et des sites accidentés, de nombreuses stations étant d'origine humaine, mines ou déblais de routes, utilises comme habitat par cette espèce. Ce Nepenthes pousse parfois au pied de buissons où il est généralement caché par les feuilles. Le plus beau site que j'ai vu était un large ravin, juste au nord de la route, long de 100m, large de 8 à 10m et profond de 3m. Il était évidemment artificiel. Ici, N. vieillardii pousse en abondance et de nombreuses plantes ont des tiges grimpantes, chose rare sur des plantes trouvées ailleurs que sur des ravins. La fréquence moindre de tiges grimpantes sur les plantes à l'extérieur des ravins est peut-être due aux plus fréquents feux de maquis, les plantes des ravins sont mieux protégées. La couleur des urnes varie, mais les péristomes sont généralement rouges, le reste de l'urne étant plus ou moins tachetée de rouge. Beaucoup de plantes étaient en fleurs et des capsules de graines pas encore mûres étaient communes. Les plus belles plantes trouvées en dehors du ravin étaient un groupe poussant sur un arbre presque mort. Je les remarquai seulement lors de notre dernière visite. Les nombreuses branches de plusieurs mètres se terminaient en une rosette compacte de feuilles, typique de cette forme de l'espèce. La prolifération des rosettes produisait un amas de feuilles et d'urnes qui tapissaient l'arbre; Des tiges florales mâles et femelles étaient visibles, indiquant qu'au moins deux plantes poussaient ensemble.


Je n'ai pas trouvé d'autres plantes carnivores au Mont Koghi, mais il est fort probable que D. neo-caledonica pousse sur ce site.


Il pourrait être intéressant de citer quelques-unes des plantes poussant avec N. vieillardii dans cette végétation de "maquis": Eraxis rigida, Megastylis gigas (deux orchidées terrestres), Cunonia macrophylla, divers Dracophyllum (certains de deux mètres de haut), ainsi que des fougères et de nombreux Carex. Quelques plantes intéressantes de la forêt humide sont Angiopteris evecta et autres fougères, Lesloonea koghiensis, Pandanii, figuiers, Kauris et palmiers (Schmid, 1981).



DIONÉE 23 - 1991