PINGUICULA L'HAUTIL

(S. Lavayssière - L. Legendre)


Photo : Serge Lavayssière

Y a-t-il une faute de frappe dans le titre ? Est-ce un gag ? Ou bien, pourquoi pas la dernière production d'une maison de jouets désabusée: une grassette en plastique ? Non. Il s'agit bien d'une vraie grassette en sève et en glandes.

Existe-t-il alors une grassette endémique d'un des plus beaux confluents de la Seine ? Non ! Ou plutôt non jusqu'à il y a à peu près quatre ans où a pris naissance entre deux amis réunis par notre association. Cette collaboration aiguë est la raison pour laquelle cet article est rédigé par deux auteurs, chacun décrivant la part de travail qu'il a fournie dans l'obtention de cet hybride.


Histoire:

Tout commence lorsque, après avoir lu dans mes livres de biologie que certains hybrides sont plus forts, plus grands, plus beaux que les parents qui leur ont donné naissance (un très bon exemple est celui du maïs), j'ai décidé d'essayer sur nos plantes et j'ai obtenu des graines viables des hybrides suivants:

  • D. capensis X D. binata
  • D. burkeana X D. capensis
  • D. esseriana X P. caudata
  • P. X "Sethos" X P. esseriana
  • P. X " Sethos" P. moranensis var huahuapan.

Pour des raisons scolaires (déménagement), je n'ai pu maintenir en vie la plupart des jeunes pieds. J'ai alors trouvé un soutien en notre ami Serge qui, par son habileté, a su sauver deux pieds du dernier hybride cité ci-dessus et que nous avons décidé d'appeler Pinguicua X L'Hautil" (P. X "Sethos" X P. moranensis var Huahuapan) pour rappeler son lieu de naissance.

Quelle ne fut pas ma joie quand, deux ans plus tard, celui-ci m'envoya des photos de ces deux pieds en fleur.

Malgré des différences notables dans leur port et leur taille, les fleurs sont décidément très novatrices et avec de nombreux points communs: les pétales inférieurs sont "tout leur père" et les pétales inférieurs sont "tout leur mére". Il s'agit de deux formes différentes d'un même hybride. Leur facilité de culture permettra certainement, comme on l'espère avec Serge, leur diffusion rapide au sein de l'association.


Description

Les rosettes des deux formes sont assez semblables, si ce n'est pour la taille. Il est donc tout naturel d'en nommer une "grande forme" et l'autre, vous en seriez-vous douté ? "petite forme". L'héritage des deux parents est encore clair: si la rosette est la copie conforme de P. X "Sethos", la rosette d'hiver, elle, est très compacte, comme chez P. caudata var Huahuapan. Les plantes fleurissent sans surprise à la fin de l'hiver, elles ressemblent à s'y méprendre à la photo d'Adrian Slack dans Insect-Eating Plants, page 110. Mais toute équivoque disparaît lorsque s'ouvrent les bourgeons floraux. Si l'allure générale de P. "L'Hautil petite forme" rappelle la fleur de F. X "Sethos", celle de la "grande forme" présente des pétales très larges, se recouvrant partiellement, ceux-ci étant, chez les deux formes, légèrement ondulés, héritage de P. caudata var Huahuapan.

Les deux formes présentent exactement les mêmes variations de couleurs. Le coeur est vert pale, s'éclaircissant en une tache blanche de cinq millimètres sur deux sur le pétale central intérieur. La base des deux pétales inférieurs latéraux possède en son centre deux fines lignes blanches de trois à quatre millimètres de long, encadrées de taches violettes très sombres. Le reste des pétales est d'un violet profond. Les pétales supérieurs présentent les mêmes nuances de violet, mais il leur manque toutefois la tache blanche. L'éperon de trois centimètres est presque droit, légèrement arqué vers le bas. Chez P. X "L'Hautil grande forme" la fleur mesure trois centimètres de haut et autant de large, chez "petite forme", la fleur fait environ deux centimètres de haut et un peu moins de large. Ces deux formes sont assez florifères; on peut espérer de deux à quatre fleurs successives sur chaque plante chaque année.

Lorsque l'on sait que la plante profite de la floraison pour se diviser végétativement, on peut espérer obtenir en quelques années de belles plantes spécimens formant de larges bouquets.


Culture

Aucun problème de culture avec ces deux hybrides. Comme leurs parents, elles nécessitent un climat tropical montagnard. Bien que cette variation n'existe pas dans leur pays d'origine, sous nos climats nous leur offrirons des saisons assez contrastées. L'été, on pourra même les garder en extérieur, à l'ombre tout comme Pinguicula, mais elles réussiront tout aussi bien en intérieur, sous tubes si la lumière est insuffisante. L'hiver, un rafraîchissement est souhaitable pour déclencher la future floraison. Si des températures nocturnes de 10°C sont suffisantes, il faut signaler que chez moi, les deux plantes ont supporté sans aucun dommage des températures exceptionnelles de 0°C, deux ou trois nuits dans l'hiver.

Le compost sera à base de tourbe et de sable, mais comme beaucoup de grassettes, un sol moins acide et un peu plus riche sera apprécié. l'ajoute un peu de terreau au compost (1/10 environ). Si la tourbe acide est pratiquement exempte de spores, de moisissures ou de champignons, il n'en est pas de même pour la majorité des terreaux. Une cuisson de 20 minutes minimum à la vapeur, dans une cocotte minute est une méthode satisfaisante de stérilisation.

La seule multiplication valable, comme pour tout hybride, ne peut être que végétative. Les plantes se divisent spontanément pendant la floraison, mais si on est pressé, on pourra effectuer du printemps à l'été, des boutures de feuilles qui réussiront extrêmement bien, donnant parfois jusqu'à six ou sept plantules par feuille, surtout chez P. X "L'Hautil grande forme". Le semis, s'il réussit, ne pourra donner les mêmes formes de plantes (voir à ce sujet Multiplication végétative ou sexuée chez Pinguicula hybride dans DIONÈE N. 16).


A propos des hybridations

Un petit truc qui peut aider des pollinisations croisées difficiles, voire impossibles, consiste à mélanger avec le pollen que l'on veut utiliser une petite quantité (10%, 20% ou 40%) du pollen de la fleur dont on veut polliniser le stigmate. Détruire la viabilité du pollen d'autofécondation avec des U. V. lointains (254mm par exemple) évitera toute sélection des plantes hybridées par la suite. Le principe est que le stigmate, recevant un pollen avec lequel il se doit de réagir, va débuter un processus conduisant à la germination des tubes polliniques. Des grains de pollen qui ne peuvent initier ce processus par eux mêmes vont alors pouvoir en profiter et germer. D'autres moyens de reconnaissance du patrimoine génétique de la semence mâle par l'organe femelle peuvent exister au niveau du style ou de l'ovaire. Ceux-ci ne seront bien entendu pas contournés par cette méthode.


Conclusion

Ce nouvel hybride étend un peu plus le champ d'hybridation de nos plantes. Il ne le clôt cependant pas car de nombreux domaines restent encore inexplorés et là, je pense tout spécialement aux Utriculaires épiphytes si jolies et faciles de culture .


Laurent LEGENDRE (Introduction, Histoire, A propos des hybridations, Conclusion) .
Serge LAVAYSSIERE (Description, Culture).


DIONÉE 22 - 1991