Cycle saisonnier des Droséras Pygmées

(Allen Lowrie - Trad. S. Lavayssière)



Dormance

La saison d'été (Décembre-Février) en Australie de l'Ouest est chaude et aride, avec occasionnellement, quelques orages. C'est dans cet environnement que les Droséras Pygmées ont évolué.

Les espèces de Droséras Pygmées poussant dans des biotopes s'assèchant l'été ont la capacité de former des bourgeons dormants. Dès que les feuilles de la saison précédente se sont flétries, un bourgeon très serré se forme au coeur de la plante. Ce bourgeon est formé de longues stipules (une des caractéristiques des Droséras Pygmées) fortement pressées les unes contre les autres. Ces bourgeons de couleur blanc argenté reflètent les rayons brulants du soleil. Ceci permet la survie de la plante.

Le bourgeon dormant repose, chez de nombreuses espèces, sur un coussin formé par les anciennes feuilles et stipules desséchées. Dans certains cas, les anciennes feuilles n'existent plus, mais le bourgeon est maintenu au-dessus du sol par un "pilotis" formé par les anciennes racines. Ces deux adaptations isolent le bourgeon du sol. La surface du sol en été est extrèmement chaude et ceci assure la survie de la plante dans des conditions torrides.


Gemmaes

La période de dormance, chez les Droséras Pygmées, ne peut être arrêtée par la pluie uniquement. Une réduction sensible des températures est nécessaire pour que la croissance reprenne. Les Droséras Pygmées reprennent leur croissance en automne lorsque les températures nocturnes descendent très bas. L'humidité nécessaire à la pousse provient à cette saison des abondantes rosées matinales. Les premiers jours d'automne en Australie de l'ouest ne sont pas toujours pluvieux, la pluie n'arrivant parfois que plus tard.

Une fois que les premières feuilles ont apparu et que de nouvelles racines ont pénétré dans le sol, un phénomène particulier apparaît. Des gemmaes se developpent a l'extrémité de pétioles embryonnaires, au coeur du groupe de stipules. Ces gemmaes se forme à la place des feuilles pièges habituelles. Au fur et à mesure de la formation de la grappe de gemmaes, les stipules se trouvent pliées, écartées vers l'extérieur. Un grouppe serré de gemmaes apparaît au centre de la rosette quelques semaines plus tard.

Dans les semaines qui suivent, d'autres gemmaes sont produits à un rythme assez rapide au coeur de la plante. Le bourgeon de stipules s'écarte, les laissant apparaitre. Au fur et à mesure de la production, les premières gemmaes mûrissent. Les stipules applaties et pliées sont maintenues sous une tension considérable et pressent fortement contre la grappe de gemmaes. Lorsque la majorité des gemmaes a atteint la maturité, cette structure est capable de les disperser violemment.

Les premières pluies bénéfiques surviennent habituellement en automne, entre Mars et Mai. La grappe serrée de gemmaes mûres est alors fortement sous la pression des stipules, et prête à "exploser". Une goutte de pluie bien placée est tout ce qu'il faut pour déclencher l'expulsion des propagules. Dès qu'une goutte d'eau percute la grappe, il s'ensuit une réaction en chaîne. Les gemmaes sont projetées par les stipules. Elles s'envolent en toutes directions, atterrissant parfois jusqu'à deux mètres de la plante mère. Lorsque les gemmaes ont été dispersées, certaines espèces remplissent le cratère laissé au coeur de la plante par une nouvelle production de propagules, assurant ainsi une plus grande dispersion de l'espèce.

Une fois la production de gemmaes terminée, un nouveau groupe de stipules est produit au centre de la rosette. En quelques semaines, un amas serré de stipules aura pris la place laissée vide par la grappe de gemmaes. Au fur et à mesure de sa formation, il évacue vers l'extérieur d'éventuelles propagules encore en place. Certaines de ces gemmaes se retrouveront au pied de la plante mère et entreront en compétition avec celle-ci dès qu'elles germeront. Beaucoup resteront empêtrées dans les stipules, sècheront et mourront avant d'être lavées par la pluie.

Les gemmaes sont des propagules assexuées qui jouent le même rôle que des graines (N.D.T.: à noter que les gemmaes produisent des clones exactement identiques à la plante mère, alors que les graines sont le fruit d'une recombinaison génétique ayant lieu lors de la pollinisation). Chacune contient un embryon et des réserves énergétiques. L'identification des différentes espèces de Droséras Pygmées peut se faire d'après la forme spécifique et propre des gemmaes.

Lorsque ces propagules sont projetées par la plante mère, elles retombent à une certaine distance de celle-ci, pas toujours dans une position favorable à leur germination.

Quelle que soit sa position, la racine embryonnaire se développe, pénètre dans le sol et place la gemme en position correcte pour se développer.

Les feuilles se développent d'un point situé juste au dessus de l'embryon de racine. Les premières feuilles possèdent déjà leur piège, capable de capturer de tout petits insectes. Le temps que la plante forme six feuilles, la gemmae d'origine aura disparu. La nouvelle plante est maintenant capable de trouver seule sa nourriture et se développera en plante adulte.


Croissance


Une fois la production de gemmaes terminée et le nouveau coeur de stipules formé, la pousse de feuilles reprend. Chez de nombreuses espèces, aucune feuille n'apparaît pendant la formation des gemmaes. Une grosse et robuste rosette de feuilles est alors formée entre la fin de l'automne et la fin de l'hiver (Juin-Août). C'est à cette période que de nombreux insectes sont capturés, et que la plante emmagasine le maximum d'énergie avant floraison.

Il a pparaît que chaque feuille n'est capable de capturer qu'un nombre limité de proies, après quoi elle devient sans utilité pour la plante. Les feuilles épuisées se recourbent souvent jusqu'au sol, leur place étant aussitôt prise par une nouvelle feuille. Ces jeunes feuilles sont produites au pied du groupe de stipules. Pour chaque feuille qui se déroule, une stipule située à la base du pétiole, sur la face supérieure, se rajoute au bourgeon central.

Les glandes collantes du pourtour de la feuille sont, chez beaucoup d'espèces, au bout de pédoncules plus longs que la feuille elle-même. Lorsqu'un insecte est capturé par la goutte collante d'une de ces glandes, son pédoncule se courbe, ramenant l'insecte au centre de la feuille. Là, de petites glandes digestives dissolvent les protéines du corps de la proie et absorbent la solution qui en résulte.


Au bout de quelques jours de digestion, tout ce qui reste de l'insecte est la carapace chitineuse. Les tentacules se remettent en position et les restes de l'insecte seront lavés par la pluie. La feuille est maintenant prête pour une autre capture. Quelques espèces ont la faculté de pouvoir enrouler le limbe des feuilles autour des proies, exactement comme les doigts d'une main. Cette étreinte permet aux glandes digestives d'agir sur une plus grande surface du corps de l'insecte.


Pendant que les feuilles se forment et capturent leurs proies, sous la surface du sol, la plante produit de nombreuses racines neuves. Chez les espèces érigées, par exemple Drosera Scorpioides ou Drosera Barbigera, des racines aériennes sont produites juste sous la rosette de feuilles. Les racines des Droséras Pygmées pénètrent profondément dans le sol, et servent non seulement à fixer la plante, mais aussi à chercher l'humidité. Avec ces racines profondes, la précieuse humidité peut être absorbée, même si la surface du sol semble souvent complètement sèche.


Floraison

La floraison commence généralement à la fin de l'hiver ou au début du printemps (Septembre-Novembre). De petits groupes de bourgeons floraux émergent des stipules, souvent latéralement, mais parfois à la base des stipules. Il faudra environ un mois avant que la tige florale n'atteigne sa maturité et que la première fleur ne s'ouvre.

Chaque jour, une nouvelle fleur s'ouvrira et, dans la majorité des cas, se fermera définitivement le soir même, qu'elle ait été pollinisée ou non. Quelques espèces gardent leurs fleurs ouvertes pendant une période pouvant durer trois jours. Ces fleurs-ci restent ouvertes même pendant la nuit. Tous les Droséras Pygmées ont des fleurs agréablement parfumées, sans aucun doute pour attirer les insectes pollinisateurs parfois aussi futures proies.


La durée de floraison dépend du nombre de fleurs produites. Vingt fleurs, cependant, ne signifie pas obligatoirement vingt jours de floraison. Tous les Droséras Pygmées ont la possibilité d'étaler leur floraison. En cas de temps couvert et sombre, par exemple, les fleurs resteront fermées pour ne s'ouvrir que lorsque le soleil reviendra.


Certaines espèces de Droséras Pygmées offrent des fleurs plus grandes que la plante qui les porte. Drosera sewelliae est une de ces espèces à fleur particulièrement grande. Dans certains cas, la fleur peut être deux fois plus grosse que la rosette de feuilles. Il faut noter que dans bien des cas, surtout lorsqu'il s'agit d'espèces formant une rosette prostrée sur le sol, la rosette de feuille diminue de taille pendant la floraison. Ces espèces emploient toute leur énergie pour la floraison plutôt que pour produire des feuilles robustes et grandes. La rosette d'hiver de ces espèces est dans bien des cas jusqu'à trois fois plus grande que pendant la floraison.


Les Droséras Pygmées produisent certaines des fleurs les plus spectaculairement colorées de toute la famille des Droséracées. Presque toutes leurs fleurs présentent des refflets opalescent sur les pétales. Lorsque le soleil éclaire la fleur selon un angle adéquat, la lumière est reflétée en nuances dorées ou argentées. Cette apparence métallique, alliée aux couleurs rose, orange, blanc et jaune, confère à ces fleurs une exeptionnelle beauté.


Production de graines

La surface du stigmate de nombreux Droséras Pygmées peut être comparée à de la fixation VELCRO. Le stigmate de ces espèces apparait au microscope comme un tissu grossier très serré. Le pollen, lui, est sphérique, avec de nombreuses aspérités en forme de crochets. Lorsqu'un grain de pollen vient en contact avec la surface du stigmate, il s'y fixe, ses crochets s'emmèlant sur le "VELCRO".

Drosera nitidula subsp nitidula présente sur le stigmate, de multiples accès en forme de minuscules volcans. Le pollen se fixe vraissemblablement grâce à un fluide collant produit par ces petits cratères.


A l'intérieur de l'ovaire de la fleur, se trouvent les ovules, des graines non fécondées. Il est curieux que ces ovules ont déjà la taille définitive avant pollinisation, et qu'ils ne grossissent pas une fois fécondés. Très rapidement après la pollinisation, les graines arrivent à maturité. Quand l'ovaire est complètement mûr, les graines restent à l'intérieur. Dans bien des cas, la capsule reste intacte, au bout de la tige florale pendant toute la dormance de la plante, tout au long de l'été. Les graines seront libérées lorsque la tige florale se décomposera au début de l'automne. Aucun doute que cette adaptation permet aux graine de rester éloignées du sol brûlant pendant l'été.


Pour les espèces poussant dans des conditions de sècheresse absolue pendant l'été, la plante régresse sous forme de bourgeon dormant dès que la dernière fleur est fanée. Les espèces se trouvant dans les marais ou sur des sols gardant l'humidité plus longtemps, la croissance reprend après floraison tant que les conditions d'humidité restent favorables.




ALLEN LOWRIE, Carnivorous Plants of Australia volume 2 , University of Australia Press, 1989.


Traduction française parue dans

DIONÉE 21 - 1990