LE DROSERA INSOLITE (J.D. Degreef)
En 1945, A. TATON révisait les feuilles d'herbier du jardin botanique de Balgique,
en vue de réaliser le chapitre Droséracées de la monumentale Flore du Congo.
C'est alors qu'il trouva des spécimens de cette espèce, qui avaient été récoltées en
avril 1911 par le botaniste HOMBLE dans ce qui est maintenant le Sud du Shaba,
province située à l'extrâme sud-est du Zaïre. Voici la traduction de la description,
telle que publiée par TATON :
Petite tubercule. Courte protion souterraine de la tige, longue de 1 à 1,5cm, dotée
de racines courtes éparses. Portion aérienne dressée, simple ou ramifiée en
faisceau à la base, mince, glabre, pouvant atteindre 12 cm de long. Feuilles
basales en rosette, aux limbes semi-circulaires longs de 3mm, large d'1,5mm
(parfois raccourcies et en forme d'écaille), pétiole applati, long de 3,5mm. Feuilles
sur la tige avec longs pétioles de 7 à 10mm, assez fréquemment un peu courbés
vers le bas. Limbe pelté, zygomorphe, semi-circulaire, prolongé par deux petites
oreilles pointues aux longs tentacules, longues jusqu'à 3,5mm, longueur du limbe
2 mm, largeur ± 4mm, tiges et pétioles pourpres (du moins quand ils sont séchés.
Inflorescence simple à 3-4 fleurs. Pédicelles presque verticaux, longueur jusque
6,5mm, bractées linéaires spatulées, portant de 2 à 4 dents au sommet, longues de
1,5-2mm et largeur jusque 0,3mm au sommet, sépales ovales pointus, bords
orrégulièrement dentelés, noirs quand séchés, longs de ± 3 mm sur 1,5mm de
larges, pétales spatulés-ovoïdes au sommet obtus, se rétrécissant vers la base,
blancs, membraneux, finement nervusés, longs de 6mm, larges de 3mm, étamines
longues de 3mm, aux anthères de 0,5mm, ovaire arrondi, diamètre ± 1,5mm, trois
styles aux multiples ramifications dichotomes, longs de ± 1mm, graines nombreuses,
minuscules, ovoïdes.
Bon sang, mais c'est bien sûr ! Il s'agit de DROSERA PELTATA SMITH ! Ou du
mojns d'une forme légèrement réduite de cette espèce, dont la tige est souvent un
peu plus longue, les feuilles secondaires (naissant par paires des aisselles des
feuilles de la tige) plus développées, les fleurs plus nombreuses qu'ici. La seule
différence nette est la denticulation apicale des bractées. C'est un peu court pour
créer une nouvelle espèce ?
Mai que vient faire ici, dans le coeur de l'Afrique, une plante australienne ? La
faculté de certain DROSERA de produire des tubercules est imputable à une
mutation apparue en Australie, et seulement là.
Aucune des espèces croissant
actuellement dans la zone d'origine du genre, l'Amérique du Sud et l'Afrique, ne
possède un tel mécanisme pour survivre à la saison sèche. Celui-ci est apparu, à
un moment qu'il n'est pas possible de préciser, depuis l'arrivée des rossolis en
Australie au début de l'2ocène (il y a ± 60 millions d'années), via l'Antarctique,
qui n'était pas encore le continent glacé que nous connaissons. Leur évolution en
isolation a donné la multitude de formes qu'on y découvre actuellement. Alors,
comme DROSERA PELTATA a-t-il atteint l'Afrique ?. Son arrivée doit y être
récente. L'abaissement général du niveau des mers pendant les glaciations du
Quaternaire, qui a pu dépasser les 100m doit y être pour quelque chose. La mer,
qui à notre époque sépare l'Australie de la Nouvelle Guinée, n'existait pas pendant
certaines phases glaciaires (qui bloquaient de grandes quantités d'eau océanique
dans d'immenses calottes polaires !). Il en est de même pour la mer de Chine. Les
ancêtres de DROSERA PELTATA croissaient donc dans les plaines ainsi exondées.
De proche en proche, ils gagnèrent la Chine, l'Inde et même, comme le prouve
l'espèce dont il est question ici, l'Afrique. Les sites intermédiaires en Iran, Arabie
Saoudite (Yemen ?) et Ethiopie sont complètement arides à notre époque
(DEGREEF, 1989 a & b). Mais DROSERA PELTATA croît toujours en Inde et en
Chine. Une autre espèce australienne a réussi la même migration : DROSEREA
INDICA L., qui est toujours abondamment attestée en Afrique, de Madagascar
jusqu'en Gambie.
Les sites à DROSERA INSOLITA existent-ils toujours ? Il n'est pas possible d'en
savoir plus, la feuille d'herbier de HOMBLE (n° 169) ne donne pas le site précis
de la collecte. La géographie du Shaba a été fortement modifiée par l'exploitation
minière. Cependant, plusieurs personnes originaires de la région m'ont affirmé qu'il
y avait encore des marais, mais elles ne connaissaient pas le droséra insolite.
SOURCES :
DIONÉE 21 - 1990
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