PRESENTATION
PINGUICULA VALLISNERIIFOLIA est une espèce endémique de la Sierra de Cazorla
et de quelques autres montagnes du sud-est espagnol. Si le genre PINGUICULA est
bien connu des "plantocarnivophiles", le terme VALLISNERIIFOLIA semble bien
barbare. Il signifie simplement que cette grassette a des feuille rappelant celles de
VALLISNERIA SPIRALIS, plante aquatique aux feuilles en rubans atteignant jusqu'à
90cm. Si les feuilles de cette grassette se contentent d'un maximum de 30cm, elle
n'en reste pas moins la géante des espèces européennes.
Sa quête nous mène donc inévitablement sur un site protégé depuis 1976 et déclaré
parc naturel depuis seulement trois ans.
LE SITE
Que l'on aborde le Parc des Sierras de Cazorla et Segura par la désertique pro-
vince de Murcie à l'est, ou par l'Andalousie et ses oliveraies à perte de vue à
l'ouest, il apparaît comme une oasis avec ses forêts méditerranéennes, ses
inombrables sources et tous les torrents alimentant la haute vallée du Rio
Guadalquivir.
Le parc en lui-même s'étend sur une superficie d'un peu plus de 200 000 ha et
englobe deux chaînes montagneuses orientées sud-ouest, nord-est : la Sierra de
Segura, culminant à 2 028m et la Sierra de Cazoria (1 830m). A la pointe sud de la
Sierra de Segura, le Rio Guadalquivir prend sa source avant de remonter vers le
nord-est, sa vallée séparant les deux Sierras avant d'obliquer vers l'ouest en
contournant par le nord la Sierra de Cazorla.
L'altitude et le caractère accidenté du terrain a permis à la forêt méditerranéenne
originale de résister aux déboisements catastrophiques qui ont transformé la quasi
totalité de la péninsule en zone semi-désertique. Se trouvent ici en majorité divers
pins (pin parasol, pin sylvestre, pin noir), ainsi que des génévriers, des chênes
verts, etc ... Sur les hauts sommets rocheux, existent de nombreuses plantes
rupicoles endémiques dont la ravissante Viola cazorlensis.
Point n'est besoin cependant d'aller si haut pour découvrir PINGUICULA
VALLISNERIIFOLIA sur paroi calcaire suintante ou PINGUICULA GRANDIFLORA sur
des versants orientés au nord.
Pour le touriste, le Parc consiste en une route longeant le cours du Rio
Guadalquivir sur environ 50km. A ses deux extrémités, les autorités locales
laissent entrer les visiteurs en relevant seulement les numéros minéralogiques des
véhicules. Les promenades ne sont autorisées que sur quelques sentiers balisés,
d'incessantes patrouilles de la "Garda civil" s'assurant du respect des consignes. A
l'intérieur du parc, il est possible de s'installer dans quelques campings offrant
tout le confort, mais malheureusement complets en permanence (peu d'étrangers,
mais tous les espagnols fuyant les côtes surpeuplées semblent s'y donner
rendez-vous). Il est parfois possible de s'installer sur des zones de camping libre
(et gratuit), aménagées autour d'une fontaine.
La conséquence de l'omniprésence des autorités font de ce parc un lieu étonamment
préservé. Si la flore mérite cette protection, la faune aussi y trouve son profit.
De nombreux rapaces (vautours, faucons, hiboux grand duc, gypaètes barbus ...)
y sont observables, ainsi que blaireaux, lièvres, bouquetins. Mais la rencontre la
plus impressionnante et la plus courante est celle de cerfs. Un vieux mâle vient
même se nourrir tous les soirs dans les poubelles d'un restaurant. Campant un peu
à l'écart d'une zône de camping libre, nous avons été réveillés une nuit par deux
biches en promenade à quelques mètres de la tente. Nullement effarouchées par
notre lampe de poche, elles se sont laissées observer quelques minutes avant de
s'éloigner d'un pas nonchalant.
UN PEU D'HISTOIRE GEOLOGIQUE
Si le socle de la péninsule ibérique est composé de roches cristallines et de
schistes, il y a 180 millions d'années la région était submergée par les mers
primitives créant un important dépôt sédimentaire. Au miocène (+ - 22 millions
d'années), la montée des Alpes a fracassé la péninsule ibérique, créant la majorité
des montagnes actuelles (Cordillière Centrale, Cordillière Bétique, Sierra Nevada,
Sierra Morena ...). Les terrains des Sierras de Cazorla et Segura sont donc plutôt
sédimentaires et alcalins.
UN PEU DE CLIMATOLOGIE
L'orientation particulière du massif protégé des vents du nord mais profitant
malgré son éloignement des précipitaitons océaniques, en fait une région présentant
de nombreux microclimats. Si les précipitations sont nulles de Juin à Septembre,
elles sont parfois abondantes d'octobre à mai avec une légère pose en janvier et
février. La quantité des précipitations est très variable suivant l'altitude ou
l'orientation. Si les parties basses de la région reçoivent en moyenne 50mm d'eau
par an, il tombe sur les sommets près de 2 000mm durant la même période. La
fourchette est assez large et, suivant son orientation, chaque vallée, chaque
versant, en reçoit sa part. Les températures moyennes s'échelonnent entre 4°C en
janvier et 30°C en Juillet/Août. Il faut bien prendre ces valeurs moyennes comme
telles, certaines nuits pouvant être bien plus froides (les nombreux panneaux
"Attention verglas" l'attestent), et certains jours bien plus chauds (ça, je l'ai
constaté !).
A LA RECHERCHE DE Pinguicula vallisneriifolia
Arriver en Sierra de Cazorla n'est pas difficile, mais c'est sur place que les choses
se compliquent. N'ayant pu trouver avant de partir de carte d'Etat-Major de la
région, il nous était difficilement envisageable de partir à l'aventure les yeux
fermés en pleine montagne. Dès l'entrée du parc, nous avons appris l'existence
d'un centre d'information et d'un jardin botanique à Torre del Vinagre. Si la photo
de Pinguicula vallisneriifolia était bien exposée parmi les plantes
endémiques ; pas d'exemplaire vivant, hélas !
Nous avons eu la chance de rencontrer le spécialiste botanique, responsable de
l'aménagement du jardin botanique. Il fut difficile d'obtenir des locations précises,
si ce n'est "cherchez dans les endroits humides" (ça, je m'en doutais !). Cette
plante est sévèrement protégée, et, en juin et en juillet dernier, deux français
avaient été surpris à prélever des exemplaires pour les vendre à des muséums
étrangers. Nous ne pouvions tomber plus mal ! Il n'existe, paraît-il, qu'une
dizaine de sites dans le parc, et comme nous allions le constater, les conditions de
fraîcheur et d'humidité y sont particulières. Il est compréhensible que les
espagnols y tiennent et les chouchoutent. Après maintes discussions et
présentation de ma carte d'adhérent DIONEE, nous avons enfin pu connaître
l'emplacement d'un site, le mieux fourni paraît-il.
Nous avons donc suivi un sentier longeant un affluent du Rio Gadalquivir. La
chaleur étant écrasante malgré l'altitude de 800m, et seule la fraîcheur de l'eau du
torrent nous permettait de supporter le soleil de début d'après-midi. Par moment,
un ponton en bois nous permettait de traverser le lit du torrent et de trouver un
peu d'ombre sous les figuiers ou les pins. Après 4 ou 5km de cette marche, la
gorge s'encaissa, le sentier se rétrécissant. L'ombre devenait plus fréquente et la
marche plus aisée. Enfin, nous arrivâmes à une gorge étroite orientée est-ouest,
aux parois calcaires verticales formant presque une voûte au-dessus de nos têtes.
La température chuta de près de 10°C et le sentier devint un ponton fixé à la
paroi du rocher. Nous allions continuer notre chemin lorsque Clara, qui marchait
devant, remarqua que ces longues langues qui pendaient des parois étaient en fait
couvertes d'insectes englués.
Pinguicula vallisneriifolia tapissait la paroi
calcaire, à peine humide. Sur une dizaine de mètres de long, trois de haut, sur
les deux parois de la gorge, à 1 000m d'altitude, là était le plus abondant habitat
de cette grassette. La paroi exposée au sud recevait par intermittance quelques
rayons de soleil, mais la face exposée au nord était elle, totalement à l'ombre.
Parfois isolées sur de la roche sèche, les coulées de sels minéraux attestant de la
présence fréquente d'eau, parfois formant un tapis là où l'humidité abonde, des
milliers d'exemplaires pendaient mollement.
Formant au départ une rosette, les feuilles linéaires atteignent jusqu'à 25 ou 30cm
de long pour au maximum 3 de large. L'extrémité de la feuille s'amincit lentement
avant de terminer en arrondi. Ces feuilles sont couvertes sur leur face supérieure
de glandes semblables à tous les PINGUICULAS. A l'envers, une nervure centrale
de quelques millimètres de large est bien visible.
La consistance du limbe nous confirme bien qu'il s'agit d'une espèce européenne.
Les feuilles sont fines et non pas charnues comme la plupart des espèces
américaines. Il ressort des rosettes une impression générale de mollesse. N'ayant
pas la rigidité nécessaire pour rester droites au-delà d'une dizaine de centimètres
de long, elles ploient sous l'effet de la pesanteur, formant de véritables coussins
dégoulinant sur les rochers. Aux endroits les plus secs (cette année était
également exceptionnelle en Espagne), les plantes semblent entrer précocement en
dormance. La rosette forme des feuilles de plus en plus courtes, et finit par
former un hibernacle compact, comme nos espèces autochtones.
Hélas, malgré le grand nombre de tiges florales sèches, pratiquement toutes les
graines étaient déjà tombées, de nombreuses plantules issues de semis étant
visibles. La floraison se produisant en avril/mai, il faudrait passer en juin ou
début juillet pour espérer récolter un nombre satisfaisant de graines.
D'après l'avis de "locaux", cette gorge serait parfaitement protégée du gel en
hiver. Même en plein après-midi d'été, la température reste fraîche et agréable. La
plante ne semble donc pas subir de températures inférieures à 3°C ni supérieures
à 28°C. Les variations entre le jour et la nuit ne sont pas très marquées dans ce
site abrité, ombragé et humidifié en permanence par le torrent.
CONCLUSION
A 2 000 km de chez nous, une grassette énorme, ça vaut le détour !.
Il est étonnant qu'elles ne soient pas déjà en culture. Si le prélèvement
d'exemplaires adultes n'est pas souhaitable (légalement d'une part, d'autre part les
plantes fortement ancrées dans la roche n'y survivraient pas), il devrait être
possible d'en ramener des graines, vu le nombre abondant de capsules sèches.
Avis aux voyageurs printaniers !
Concluons donc en disant que cette plante presque mythique existe bien, qu'elle
est localement abondante, et que les autorités espagnoles semblent décidées à la
protéger sévèrement. Celle-ci, au moins, n'est pas menacée et nous offrira encore
longtemps, on peut l'espérer, le plaisir de la découvrir dans son milieu naturel.
DIONÉE 21 - 1990
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