A LA DECOUVERTE DE
Pinguicula vallisneriifolia

(Serge Lavayssière)


Photos : S. Lavayssière



PRESENTATION

PINGUICULA VALLISNERIIFOLIA est une espèce endémique de la Sierra de Cazorla et de quelques autres montagnes du sud-est espagnol. Si le genre PINGUICULA est bien connu des "plantocarnivophiles", le terme VALLISNERIIFOLIA semble bien barbare. Il signifie simplement que cette grassette a des feuille rappelant celles de VALLISNERIA SPIRALIS, plante aquatique aux feuilles en rubans atteignant jusqu'à 90cm. Si les feuilles de cette grassette se contentent d'un maximum de 30cm, elle n'en reste pas moins la géante des espèces européennes. Sa quête nous mène donc inévitablement sur un site protégé depuis 1976 et déclaré parc naturel depuis seulement trois ans.

LE SITE

Que l'on aborde le Parc des Sierras de Cazorla et Segura par la désertique pro- vince de Murcie à l'est, ou par l'Andalousie et ses oliveraies à perte de vue à l'ouest, il apparaît comme une oasis avec ses forêts méditerranéennes, ses inombrables sources et tous les torrents alimentant la haute vallée du Rio Guadalquivir.

Le parc en lui-même s'étend sur une superficie d'un peu plus de 200 000 ha et englobe deux chaînes montagneuses orientées sud-ouest, nord-est : la Sierra de Segura, culminant à 2 028m et la Sierra de Cazoria (1 830m). A la pointe sud de la Sierra de Segura, le Rio Guadalquivir prend sa source avant de remonter vers le nord-est, sa vallée séparant les deux Sierras avant d'obliquer vers l'ouest en contournant par le nord la Sierra de Cazorla.

L'altitude et le caractère accidenté du terrain a permis à la forêt méditerranéenne originale de résister aux déboisements catastrophiques qui ont transformé la quasi totalité de la péninsule en zone semi-désertique. Se trouvent ici en majorité divers pins (pin parasol, pin sylvestre, pin noir), ainsi que des génévriers, des chênes verts, etc ... Sur les hauts sommets rocheux, existent de nombreuses plantes rupicoles endémiques dont la ravissante Viola cazorlensis.

Point n'est besoin cependant d'aller si haut pour découvrir PINGUICULA VALLISNERIIFOLIA sur paroi calcaire suintante ou PINGUICULA GRANDIFLORA sur des versants orientés au nord.

Pour le touriste, le Parc consiste en une route longeant le cours du Rio Guadalquivir sur environ 50km. A ses deux extrémités, les autorités locales laissent entrer les visiteurs en relevant seulement les numéros minéralogiques des véhicules. Les promenades ne sont autorisées que sur quelques sentiers balisés, d'incessantes patrouilles de la "Garda civil" s'assurant du respect des consignes. A l'intérieur du parc, il est possible de s'installer dans quelques campings offrant tout le confort, mais malheureusement complets en permanence (peu d'étrangers, mais tous les espagnols fuyant les côtes surpeuplées semblent s'y donner rendez-vous). Il est parfois possible de s'installer sur des zones de camping libre (et gratuit), aménagées autour d'une fontaine. La conséquence de l'omniprésence des autorités font de ce parc un lieu étonamment préservé. Si la flore mérite cette protection, la faune aussi y trouve son profit. De nombreux rapaces (vautours, faucons, hiboux grand duc, gypaètes barbus ...) y sont observables, ainsi que blaireaux, lièvres, bouquetins. Mais la rencontre la plus impressionnante et la plus courante est celle de cerfs. Un vieux mâle vient même se nourrir tous les soirs dans les poubelles d'un restaurant. Campant un peu à l'écart d'une zône de camping libre, nous avons été réveillés une nuit par deux biches en promenade à quelques mètres de la tente. Nullement effarouchées par notre lampe de poche, elles se sont laissées observer quelques minutes avant de s'éloigner d'un pas nonchalant.

UN PEU D'HISTOIRE GEOLOGIQUE

Si le socle de la péninsule ibérique est composé de roches cristallines et de schistes, il y a 180 millions d'années la région était submergée par les mers primitives créant un important dépôt sédimentaire. Au miocène (+ - 22 millions d'années), la montée des Alpes a fracassé la péninsule ibérique, créant la majorité des montagnes actuelles (Cordillière Centrale, Cordillière Bétique, Sierra Nevada, Sierra Morena ...). Les terrains des Sierras de Cazorla et Segura sont donc plutôt sédimentaires et alcalins.

UN PEU DE CLIMATOLOGIE

L'orientation particulière du massif protégé des vents du nord mais profitant malgré son éloignement des précipitaitons océaniques, en fait une région présentant de nombreux microclimats. Si les précipitations sont nulles de Juin à Septembre, elles sont parfois abondantes d'octobre à mai avec une légère pose en janvier et février. La quantité des précipitations est très variable suivant l'altitude ou l'orientation. Si les parties basses de la région reçoivent en moyenne 50mm d'eau par an, il tombe sur les sommets près de 2 000mm durant la même période. La fourchette est assez large et, suivant son orientation, chaque vallée, chaque versant, en reçoit sa part. Les températures moyennes s'échelonnent entre 4°C en janvier et 30°C en Juillet/Août. Il faut bien prendre ces valeurs moyennes comme telles, certaines nuits pouvant être bien plus froides (les nombreux panneaux "Attention verglas" l'attestent), et certains jours bien plus chauds (ça, je l'ai constaté !).

A LA RECHERCHE DE Pinguicula vallisneriifolia


Arriver en Sierra de Cazorla n'est pas difficile, mais c'est sur place que les choses se compliquent. N'ayant pu trouver avant de partir de carte d'Etat-Major de la région, il nous était difficilement envisageable de partir à l'aventure les yeux fermés en pleine montagne. Dès l'entrée du parc, nous avons appris l'existence d'un centre d'information et d'un jardin botanique à Torre del Vinagre. Si la photo de Pinguicula vallisneriifolia était bien exposée parmi les plantes endémiques ; pas d'exemplaire vivant, hélas !

Nous avons eu la chance de rencontrer le spécialiste botanique, responsable de l'aménagement du jardin botanique. Il fut difficile d'obtenir des locations précises, si ce n'est "cherchez dans les endroits humides" (ça, je m'en doutais !). Cette plante est sévèrement protégée, et, en juin et en juillet dernier, deux français avaient été surpris à prélever des exemplaires pour les vendre à des muséums étrangers. Nous ne pouvions tomber plus mal ! Il n'existe, paraît-il, qu'une dizaine de sites dans le parc, et comme nous allions le constater, les conditions de fraîcheur et d'humidité y sont particulières. Il est compréhensible que les espagnols y tiennent et les chouchoutent. Après maintes discussions et présentation de ma carte d'adhérent DIONEE, nous avons enfin pu connaître l'emplacement d'un site, le mieux fourni paraît-il.


Nous avons donc suivi un sentier longeant un affluent du Rio Gadalquivir. La chaleur étant écrasante malgré l'altitude de 800m, et seule la fraîcheur de l'eau du torrent nous permettait de supporter le soleil de début d'après-midi. Par moment, un ponton en bois nous permettait de traverser le lit du torrent et de trouver un peu d'ombre sous les figuiers ou les pins. Après 4 ou 5km de cette marche, la gorge s'encaissa, le sentier se rétrécissant. L'ombre devenait plus fréquente et la marche plus aisée. Enfin, nous arrivâmes à une gorge étroite orientée est-ouest, aux parois calcaires verticales formant presque une voûte au-dessus de nos têtes. La température chuta de près de 10°C et le sentier devint un ponton fixé à la paroi du rocher. Nous allions continuer notre chemin lorsque Clara, qui marchait devant, remarqua que ces longues langues qui pendaient des parois étaient en fait couvertes d'insectes englués. Pinguicula vallisneriifolia tapissait la paroi calcaire, à peine humide. Sur une dizaine de mètres de long, trois de haut, sur les deux parois de la gorge, à 1 000m d'altitude, là était le plus abondant habitat de cette grassette. La paroi exposée au sud recevait par intermittance quelques rayons de soleil, mais la face exposée au nord était elle, totalement à l'ombre. Parfois isolées sur de la roche sèche, les coulées de sels minéraux attestant de la présence fréquente d'eau, parfois formant un tapis là où l'humidité abonde, des milliers d'exemplaires pendaient mollement.

Formant au départ une rosette, les feuilles linéaires atteignent jusqu'à 25 ou 30cm de long pour au maximum 3 de large. L'extrémité de la feuille s'amincit lentement avant de terminer en arrondi. Ces feuilles sont couvertes sur leur face supérieure de glandes semblables à tous les PINGUICULAS. A l'envers, une nervure centrale de quelques millimètres de large est bien visible.

La consistance du limbe nous confirme bien qu'il s'agit d'une espèce européenne. Les feuilles sont fines et non pas charnues comme la plupart des espèces américaines. Il ressort des rosettes une impression générale de mollesse. N'ayant pas la rigidité nécessaire pour rester droites au-delà d'une dizaine de centimètres de long, elles ploient sous l'effet de la pesanteur, formant de véritables coussins dégoulinant sur les rochers. Aux endroits les plus secs (cette année était également exceptionnelle en Espagne), les plantes semblent entrer précocement en dormance. La rosette forme des feuilles de plus en plus courtes, et finit par former un hibernacle compact, comme nos espèces autochtones.

Hélas, malgré le grand nombre de tiges florales sèches, pratiquement toutes les graines étaient déjà tombées, de nombreuses plantules issues de semis étant visibles. La floraison se produisant en avril/mai, il faudrait passer en juin ou début juillet pour espérer récolter un nombre satisfaisant de graines. D'après l'avis de "locaux", cette gorge serait parfaitement protégée du gel en hiver. Même en plein après-midi d'été, la température reste fraîche et agréable. La plante ne semble donc pas subir de températures inférieures à 3°C ni supérieures à 28°C. Les variations entre le jour et la nuit ne sont pas très marquées dans ce site abrité, ombragé et humidifié en permanence par le torrent.


CONCLUSION

A 2 000 km de chez nous, une grassette énorme, ça vaut le détour !. Il est étonnant qu'elles ne soient pas déjà en culture. Si le prélèvement d'exemplaires adultes n'est pas souhaitable (légalement d'une part, d'autre part les plantes fortement ancrées dans la roche n'y survivraient pas), il devrait être possible d'en ramener des graines, vu le nombre abondant de capsules sèches. Avis aux voyageurs printaniers !

Concluons donc en disant que cette plante presque mythique existe bien, qu'elle est localement abondante, et que les autorités espagnoles semblent décidées à la protéger sévèrement. Celle-ci, au moins, n'est pas menacée et nous offrira encore longtemps, on peut l'espérer, le plaisir de la découvrir dans son milieu naturel.




DIONÉE 21 - 1990