OBSERVATIONS... PROCÉDÉS DE CULTURE... (Patrick S0UBEN)
Les premières observations issues du sondage réalisé parmi les
membres de "Dionée" et parues dans le dernier numéro (D. n° 19)
m'amènent à prendre la plume pour apporter ma modeste pierre
d'apprenti jardinier" au pays des plantes carnivores.
Comme le fait très justement observer Philippe Ganaye, il est
possible d'appliquer à nos chères plantes une marge de tolérance
supérieure à celle annoncée par la bibliographie en général tant en ce
qui concerne les températures que les natures du sol. Je ne m'étendrai
pas sur les tolérances aux substrats, connaissant insuffisamment le
sujet.
Habitant un immeuble et n'ayant pour tout jardin que deux balcons,
il m'a fallu, ou plutôt il a fallu aux plantes s'adapter aux
conditions particulières de culture que cela entraîne. Je ne parlerai
pas des plantes de zones tropicales humides ou équatoriales dont le
confinement d'un terrarium à peine équipé fait le bonheur toute
l'année. Mais toutes les autres, Sarracénies, grassettes américaine!
droséras du Cap ou Australiennes, cephalotus et Heliamphoras
nécessitent, d'après la littérature, le respect de conditions limites
parfois difficilement applicables en appartement.
La clef de voûte de ces problèmes est l'hibernation. Je comprends
fort bien que les auteurs indiquent certaines fourchettes de
température; elles correspondent en fait à des conditions optimum de
culture se rapprochant des conditions du milieu naturel d'origine.
Ainsi par exemple, pour Héliamphora minor ou nutans, A. Slack
conseille une fourchette de 5 à 26 °c, M. Lecoufle 3 à 28 °c et J.P
Pietropeolo 4 à 26 °c. Cela ne veut pas dire que la culture
d'Heliamphora soit impossible au delà ou en deça de ces températures.
Toute une somme de facteurs très divers comme l'exposition au soleil,
l'abri au vent, I'état végétatif et l'âge du plant, la taille du pot
et son placement (exposé sur une simple soucoupe ou protégé dans une
jardinière), etc... peuvent sensiblement faire évoluer la résistance au
froid ou à la chaleur. Ainsi, cet hiver, mon Heliamphora minor a
résisté à une gelée de -4°c. Précisons les données: plant adulte et
robuste (je lui avais coupé sa hampe florale à 1'entrée de l'hiver),
exposition sud-ouest et grand pot abrité dans une jardinière.
Le résultat n'est pas brillant sur un plan esthétique quoique
cela doit pouvoir s'améliorer. Je m'explique: les "vieilles" urnes
trapues et élevées en intérieur l'été dernier et ayant fait des
prodiges de croissance (11 cm de haut pour plusieurs) ont été brûlées
au niveau de la partie supérieure. Curieusement, le niveau de l'urne
en contact avec la glace (I'eau des urnes était totalement transformée
en glace) n'a pas été affecté et reste vert actuellement. Au rempotage
de printemps, il s'est avéré que les longues racines sont en parfait
état (bien blanches et munies de leur coiffe) ainsi que le rhizome.
Cela peut probablement s'expliquer par la taille confortable du
pot (15cm de diamètre) et sa protection latérale par la jardinière et
la terre (le pot était installé dans une sorte de puits creusé dans
la terre de la jardinière. L'espace libre entre le pot et la terre
était occupé par du papier journal.) La sphaigne qui a gelé en surface
a protégé le substrat. La plante reprend tout à fait normalement sa
production d'urnes depuis le début du mois d'avril.
À I'opposé de cette expérience bien involontaire qui m'a donné, je
l'avoue, quelques sueurs.. froides, Romain Duval m'a expliqué lors de
notre dernière assembléee générale qu'il cultivait Heliamphora minor en
plein soleil à des températures dépassant donc sans problème les 26°C
préconisés comme température maximale. Il obtient des urnes très
colorées de rouge et plutôt trapues, mais sans doute très résistantes.
Je l'ai effectivement observé, mais pour une exposition plein ouest.
Les urnes se sont fortement pigmentées de rouge. Mais j'ai remarqué,
avec l'apparition des premières chaleurs, que les urnes flétrissent à
partir de +35° c environ (en plein soleil). Elles reprennent un aspect
normal si le plant est replacé en position plus abritée assez
rapidement. Trois à quatre brumisations par jour suffisent pour un
plant supportant des températures de +30°à +32° c en exposition ouest.
Une brumisation automatique assez fréquente doit sans doute permettre
d'élever le seuil de +35° c.
J'ai également fait l'amère expérience cet hiver de perdre mon
unique plant de Cephalotus F. Celui-ci se trouvait dans les mêmes
conditions de "station" que l'Heliamphora minor précédemment citées. À
priori, la littérature le décrivant comme pouvant résister à de
légères gelées, on aurait pu penser qu'il eût fait aussi bien qu'un
plant d'Heliamphora. Détrompons-nous ! Tout est question de dosage. Ce
plant était jeune, ne disposait pas d'une couverture de sphaigne en
surface du substrat et surtout, n'était pas suffisamment endurci, ne
l'ayant sorti du terrarium où il avait prospéré, qu'un mois avant la
soudaine gelée fatidique. L'expérience est une école où les fruits
sont parfois bien amers.
En ce qui concerne pinguicula primuliflora et P. Rotundiflora (ou
reticulata !) ces espèces, sans parler de rusticité, se sont
parfaitement comportées à des températures de -1° à -2°C. P.
rotundiflora, d'origine Mexicaine, forme de nombreuses feuilles
charnues à l'approche de l'hiver et peut résister sous cette forme à
des températures légèrement inférieures au point de glaciation sans la
moindre gène (exposition ouest abritée.) La plante a amorcé sa
croissance mi-avril (la production de feuilles charnues a eu lieu
pratiquement tout l'hiver).
P. primuliflora, originaire du sud-est des U S.A., a eu un
comportement des plus étonnants: non seulement elle supporte sans
problème les basses températures ci-dessus mentionnées, aussi bien
pour le plant adulte que pour les jeunes plantules, mais elle s'est
mise à fleurir en plein hiver! (par précaution, j'ai coupé les jeunes
hampes florales.) P. primuliflora produit des feuilles toute l'année.
Celles produites en hiver sont de taille plus réduite (1/3 des
feuilles d'été). Lors de la gelée à -2°C, seule la pointe des
feuilles d'été subsistantes a flétri.
Il en va de même pour les droséras du Cap (D. capensis) et
d'Australie (D. binata). La première a cessé toute croissance à
l'apparition des premières gelées marquées (-1°à -2°C). La partie
aérienne s'est maintenue tout l'hiver. À la reprise de végétation,
début avril, les deux à trois premières feuilles étaient nécrosées sur
certains plants, mais tout est rentré dans I'ordre par la suite
(exposition ouest abritee, plants adultes et semis de 1 an).
D. binata s'est réduite à un hibernacle à la suite des premières
gelées significatives, pour repartir début avril (mêmes conditions de
culture que D. Capensis). Il est curieux de noter que la reprise des
plants adultes et des jeunes plants s'est passée de manière très
hétérogène. Ainsi, au 1er mai, certains plants sont bien développés
alors que d'autres développent péniblement leurs premières feuilles
(variabilité intra-spécifique au froid).
En ce qui concerne les sarracéniacées nord-américaines
(Darlingtonia C., Sarracenia minor,
S. leucophylla, S. purpurea)
celles-ci sont restées tout l'hiver sur mon balcon sans protection
particulière si ce n'est du substrat (pot entouré de papier journal et
posé à l'abri dans un "puit" de terre de ma jardinière, exposition
sud-ouest).
La rusticité de S. purpurea n'est plus à démontrer.
S. Leucophylla a repris sa croissance (hampe florale et feuilles)
début avril, tout comme Darlingtonia c.
S. mino<
r semble avoir plus accusé le coup puisqu'elle reprend à
peine sa croissance au 1er mai.
Ces plants ont enduré plusieurs fois les températures négatives
dont un minima à -4°C.
En conclusion, si la plupart des plantes énumérées ci-dessus ont
passé l'hiver sans encombre,rappelons que cet hiver fut relativement
clément en Sarthe (et en ville plus particulièrement) tout comme
l'hiver précédent d'ailleurs.
Il me reste à l'esprit le terrible mois de janvier 1987 qui vit la
température minimale au Mans chuter en trois jours du 0 à -18 c,ce qui
ne s'était tout de même pas vu depuis 1879 (-17°C, mini en 1985)
Seules les quelques rares plantes rentrées prémonitoirement à
l'appartement ont passé cet hiver si rude.
Nul ne pouvant prévoir avec précision les températures (à partir
de -3 à -4°C, toute fluctuation vers le bas peut s'avérer mortelle
pour les plantes signalées comme résistantes à de légères gelées ou
des températures légèrement supérieures.) il est tout de même prudent
de prévoir un abri pour les plus délicates d'entre elles (une mini
serre froide bien isolée peut faire 1'affaire.) voire envisager un
repli stratégique provisoire vers le bas de son réfrigérateur en cas
de coup dur!
Je termine là mes remarques sur la sensibilité au froid de
quelques plantes carnivores.
DIONÉE 20 - 1990
|