UTRICULARIA VULGARIS EN FORET DE RAMBOUILLET

(Serge Lavayssière)


Photo : Serge Lavayssière



Si Aldrovanda est certainement aujourd'hui disparu de notre territoire, si la présence de Drosera et de Pinguicula est de nos jours douteuse en région parisienne, il reste possible de trouver un exemplaire du dernier genre de plantes carnivores autochtones: Utricularia vulgaris a fleuri cette année dans nos contrées. Pas vraiment exceptionnel mais suffisamment rare pour être signalé, ce phénomène nous rappelle que si beaucoup de nos plantes de culture viennent de pays lointains, si certaines sont venues du bout du monde, il suffit de quelques pas en forêt pour découvrir celles dont le piège surpasse en précision toutes les autres.


D'après BAFRAY (M.), BRICE (F.), DANTON (PH.), les plantes carnivores de France , Editions Séquences, 1985, notre pays possède quatre espèces d'utriculaires :

  • Utricularia intermedia et Utricularia minor, les deux plus petites, atteignent au maximum cinquante centimètres. Tous deux présentent deux sortes de rameaux: les uns, flottants, portent des feuilles en lanières, les autres envasés, portent des pièges. Leurs deux fleurs sont jaune pale veiné d'orange, avec un lobe inférieur bien plus long que le supérieur. Seule, la fleur d'Utricularia intermedia possède un long éperon, celui d'Utricularia minor étant réduit à une bosse.

  • Utricularia neglecta peut atteindre un mètre cinquante de longueur et ressemble beaucoup à Utricularia vulgaris si ce n'est que la fleur étale pour Utricularia neglecta un lobe inférieur bien plus large.

  • Utricularia vulgaris, le dernier, hante nos étangs et nous fait cette année l'honneur de sa floraison.


DESCRIPTION

La plante

Utricularia vulgaris se présente sous forme d'un "goupillon" plus ou moins ramifié, atteignant parfois un mètre cinquante de long. Ces rameaux flottent sous la surface, garnis de nombreuses feuilles de un à huit centimètres, découpées en lanières et portant de très nombreux utricules de un à trois millimètres.


L'extrémité des ramifications comporte un bourgeon où se forment les jeunes feuilles. En même temps, l'autre extrémité se décompose en vieillissant. alors que les parties jeunes de la plante sont d'un vert tendre avec des utricules transparents, les parties plus agées ont leur pièges obscurcis par les résidus de proies. Plus loin, les feuilles brunissent, noircissent et se désagrègent. On comprend aisément que si la pousse est régulière et vigoureuse, la plante croîtra plus rapidement et s'allongera d'autant. La vie d'utriculaire n'est qu'une course contre la montre, contre la mort et la décomposition. L'automne arrivant et les températures fraîchissant, la croissance ralentit et la décomposition continue, séparant les ramifications, jusqu'aux bourgeons ou turions qui passeront 1'hiver enfouis dans la vase du fond.


Le piège

Le piège est un petit sac ou utricule, présentant une ouverture hermétiquement fermée par un voile souple. En position d'attente, I'utricule est vide, comprimée. Qu'une proie frôle l'un des petits poils garnissent l'ouverture, la porte s'ouvre et le piège s'enfle brutalement (1/500 de seconde), aspirant dans le mouvement la malheureuse bestiole. La porte se referme, les cellules de la paroi expulsent l'eau par un phénomène osmotique, et les glandes internes sécrètent les enzymes digestives.


Floraison

Au début de l'été, si les conditions sont favorables, à chaque ramification apparaît une hampe florale de dix à vingt centimètres qui vient percer la surface de l'eau pour épanouir à l'air libre de trois à douze fleurs jaune vif.

Mesurant de quinze à vingt millimètres, les fleurs s'ouvrent en remontant le long de la tige. La corolle comprend deux lèvres d'égales dimensions, l'inférieure comportant un palais délicatement veiné de rouge. En tirant délicatement le palais vers le bas, apparaissent, plaqués contre le lobe supérieur, le stigmate en avant, puis deux étamines en arc de cercle. La disposition favorise une pollinisation croisée effectuée par des insectes, nombreux au ras de l'eau par temps ensoleillé.


Si la floraison semble le mode de reproduction premier des phanérogames (plantes à fleurs), Utricularia vulgaris ne semble pas, du moins dans nos régions, l'utiliser très souvent. Depuis trois ans, je surveille cet évènement dans deux étangs. Si les plantes abondent chaque année au milieu des nénuphars dans ces eaux jaunes, acides comme en témoignent des tapis de sphagnum sur les berges, elles n'avaient, en 1987 et 88, dépassé la taille de quelque soixante centimètres, avec une, parfois deux, ramifications. Cette année, des tiges de plus d'un mètre sont monnaie courante, certaines divisées cinq ou six fois. Absentes les années précédentes, les fleurs apparaissent en grand nombre aux ramifications de la tige principale. La sécheresse et la canicule de ce printemps en sont certainement responsables, surtout si l'on se rappelle qu'en 1976 aussi, la floraison avait été abondante. Est-ce en raison des températures, ou de la sécheresse qui modifie les concentrations en sels des eaux stagnantes?


Jean-Jacques LABAT, que j'ai eu le plaisir de rencontrer cet été, m'a appris que la floraison est pratiquement annuelle dans le sud du pays.

Ainsi, Utricularia vulgaris utilise bien plus la reproduction végétative pour se multiplier sous notre climat septentrional. Qu'est-on en droit de penser d'un végétal qui n'accomplit son cycle complet qu'une fois tous les dix ans, si ce n'est plus ? Tout d'abord on est en droit de s'émerveiller devant le système de remplacement proposé par Dame Nature. Dans des conditions climatiques trop fraîches (l'aire de répartition d'Utricularia vulgaris s'étend jusqu'en afrique, en Asie et en Amérique du nord, de climat tempéré froid jusqu'au climat tropical) la plante trouve la possibilité de proliférer jusqu'à une saison plus clémente où aura lieu une vraie reproduction sexuée avec reproduction du patrimoine génétique. Que réserve l'avenir pour un tel végétal, apparemment insuffisamment adapté à nos climats ? Est-il, à terme, condamné à s'épuiser suite à un appauvrissement de la vitalité chez des sujets agés, ou au contraire l'évolution va-t-elle sélectionner les individus les moins frileux pour en quelques millénaires créer une sous-espèce de climat frais fleurissant chaque année.


Bien sûr, toutes ces hypothèses ne sont que pure spéculation et le plus grand danger que coure cette plante n'est ni le froid ni les climats, mais les résidus agricoles et industriels qui ont déjà repoussé Droséras et grassettes sur les sommets non corrompus de nos montagnes. Aldrovanda, lui, n'a pas eu, chez nous, le temps de se demander si le climat lui convenait pleinement. Il faisait avec depuis la nuit des temps...


Profitons de ces fleurs qui savent si bien se faire désirer, tâchons d'en profiter encore pour de nombreuses années. La comète de Halley a pris rendez-vous pour dans presque soixante-quinze ans, Utricularia vulgaris, lui, ne prévient pas. Tenons-nous prêts, l'attente sera sans doute moins longue.



DIONÉE 18 - 1989