LA DIONEE ATTRAPE-MOUCHE EN DANGER DE MORT

(Pierre Jolivet)


Dionaea muscipula dans ses derniers refuges
Photos : Pierre Jolivet



Lors de ma dernière visite aux U.S.A. cette année, j'ai tenu à revoir les sanctuaires des plantes carnivores du pays. La côte orientale du Canada et des Etats-Unis recèle les splendides Sarracenia. La Caroline du Nord et du Sud abritent la Dionée Attrape-Mouches dans ses derniers refuges. Enfin, sur la côte du Pacifique, en Californie et en Orégon, vit encore dans les marais le Darlingtonia ou le Lis Cobra. Evidemment on rencontre aussi des Pinguicula, des Drosera et des Utricularia. Les Etats-Unis avec l'Australie constituent le paradis des amateurs de plantes carnivores, le paradis mais aussi le Musée car bon nombre d'uniques spécimens sont en danger d'extinction.



LES ESPECES MENACEES.

Pour le moment les Darlingtonia californica ou Lis Cobra ne semblent pas menacées. Elles poussent prés de la côte, mais des réserves naturelles ont été établies en Orégon et elles prospèrent là dans une eau au courant lent et froid.

La distribution de cette plante est en réalité très limitée: côte pacifique en Orégon vers Newport jusqu'à une distance de 200 km à l'intérieur des terres. La plante prospère surtout en altitude (2500m) mais pénètre aussi dans le Nord Californie. Cette plante affectionne les marécages à sphaignes, sais toujours dans l'eau courante et froide. Des naturalisations ont été tentées avec un certain succès dans l'ouest du Wisconsin mais la plante ne semble persister que quelques années hors de son habitat naturel. En réalité, il y a bien encore des localités non cartographiées dans les propriétés privées où la plante ne semble pas sérieusement menacée.

On peut dire un grand bravo aux botanistes qui ont su créer des miniparcs et respecter la vie naturelle de la plante.


LES SARRACENIA dont il existe quatre espèces dans les Carolines ont une distribution beaucoup plus large que celle de la Dionée mais quoiqu'on en dise ils sont partout en régression. Dans certaines zones classiques, comme la région de Wilmington en Caroline du Nord, les plantes sont rares surtout S. minor et S. rubra et les deux autres espèces S. purpurea et S. flava, qui fleurissent en Mai n'existent plus guère qu'à l'état de pieds isolés sur ce qui subsiste de lieux humides parmi les Pinus palustris plantés par les forestiers. Ces marais se dessèchent avec les pins et sont sans cesse labourés et plantés, ce qui n'est guère l'idéal pour ces plantes délicates. Ça et là Pinguicula caerulea et Utricularia subulata survivent dans les fossés creusés au bulldozer sur de rares points encore humides.


Ailleurs les Sarracenia ne semblent guère abondants en Floride car je n'ai pu en voir près de Gainesville mais ils sont cependant abondants en Georgie et en Alabama. Dans le Nord des USA et au Canada (Labrador) de grandes étendues de la plante sont encore visibles dans des zones de marais, mais ce ne sont pas partout les mêmes espèces et certaines d'entre elles restent menacées par l'urbanisation, I'assèchement des points d'eau, les plantations de pins et tout cela par un mauvais planning des parcs nationaux.


Il y a généralement huit espèces reconnues du genre et de très nombreux hybrides naturels distribués surtout dans les plaines du sud-est des Etats-Unis. Une espèce, S. oreophila, se rencontre dans l'Alabama et dans des zones densément boisées. Une autre, S. purpurea fréquente les marais de Floride jusqu'au Labrador et la baie d'Hudson.

Ces plantes ne devraient pas disparaître tant que leur habitat n'est pas sérieusement perturbé, car le rhizome vit 20 à 30 ans intact et la reproduction végétative a lieu parfois par fragmentation de ce rhizome.



LES SARRACENIA se rencontrent dans les marais acides et les savanes humides. Il y a généralement peu d'arbres dans ces habitats. Sarracenia est généralement associé aux Sphagnum, Drosera, Pinguicula, Utricularia et autres plantes caractéristiques des lieux acides.

Des feux sévères (les feux légers peuvent être utiles), les coupes de bois, la formation des coupe-feu, l'agriculture, la construction des routes a modifié et a menacé beaucoup d'habitats naturels des Sarracenia. Des populations denses ont cependant subsisté dans certaines régions des U.S.A. Ailleurs la plante est certainement en danger modéré d'extinction. Les différences de micro-habitat sont responsables de la séparation spatiale de 2 ou 3 espèces. Parfois, ces espèces cohabitent.

Certains Sarracenia ont été introduits avec succès en Ecosse, Irlande ou en Suisse et s'y maintiennent. Leur culture est sans histoire mais leur survivance dans la nature dans leur milieu d'origine est toujours un grave problème.

Finalement dans les Carolines la plante la plus menacée, aussi la plus originale, est la Dionée attrape-mouches, la belle Dionaea muscipula, au piège extraordinaire auquel même Linné ne croyait pas. Sa distribution depuis une centaine d'année se réduit comme une peau de chagrin.

Je l'ai cherchée en Mai en Caroline du Nord et n'ai trouvé alors que des Sarracenia, Utricularia et Pinguicula car la Dionée, n'étant pas en fleurs, était à peine sortie de terre et pratiquement invisible parmi les herbes. Je l'ai enfin vue en fleurs, en Juin des milliers d'individus, sur la route de Bolton à Supply, à environ 13 miles avant Supply, c'est à dire entre Wilmington et la frontière de la Caroline du Sud. Des milliers d'individus ce n'est pas beaucoup quand c'est localisé sur quelques mètres carrés d'un marais plus ou moins asséché et au voisinage d'une forêt de pins. La Dionée ne fleurit pas et ne produit pas de graines à moins d'être exposée au soleil direct plusieurs heures par jour. Quand les jeunes pins que l'on plante grandissent, ils font de l'ombre et la plante ne fournit plus de graines


Quand on pense que ces marais sont labourés, asséchés, plantés de pins, sujets souvent aux incendies de forêts, on voit que cette plante unique est en danger de mort. Nulle part on n'a réussi à l'introduire et à la maintenir hors de cette petite zone où elle survit. Les Parcs Nationaux sont généralement utiles mais quand la multiplication artificielle des pins détruit les marécages, on peut dire alors que les Parcs Nationaux mal gérés sont une malédiction. La plante est protégée sur le papier, mais des trous dans le sol nous ont apporté la preuve que les voyageurs du week-end prélevaient leur plante attrape-mouche moins chère celle-là que les exemplaires multipliés par les fleuristes. On a même dit que des collecteurs de plantes sans scrupules ont falsifié l'information au sujet de l'abondance des plantes sauvages de façon à en restreindre la législation.


Je ne me permettrai pas de critiquer mes amis américains mais j'appelle au secours pour sauver pendant qu'il en est encore temps cet inestimable joyau dans son milieu naturel.

Les exemplaires multipliés par les fleuristes par graines ou méristèmes ne remplacent pas la plante naturelle, plus robuste et plus vigoureuse, car elle est multipliée par le pollinisation croisée. La Dionée largement disponible dans les pépinières et les grands magasins est menacée d'un désastre dans la nature.

La disparition (inéluctable?) de cette plante est due à l'urbanisation, la rapacité des collectionneurs, le mauvais "management" des Parcs Nationaux qui, sous prétexte d'esthétique, assèchent et labourent les marais ce qui restreint de plus en plus la distribution d'une plante fragile en équilibre précaire avec son milieu ultra-spécialisé.


Je lisais récemment dans "Le Monde" du 26 Juillet que les écologistes s'opposaient à la construction d'une route touristique sur les pentes du Mont Mezenc pour préserver un marais à Drosera rotundifolia. Les plantes carnivores valent bien qu'on fasse un détour et, quand elles sont uniques comme la Dionée, elles valent bien une protection intégrale du milieu et même des gardes qui verbalisent et surtout des forestiers qui ne reforestent pas.

Une plante aquatique voisine de la Dionée qui existait en France, Aldrovanda, est probablement disparue dans notre pays par suite de la disparition ou de la pollution des eaux stagnantes où elle se plaisait. Elle survit pourtant en Afrique et en Asie.

Il disparaît sur le globe un animal, surtout un invertébré, toutes les 15 minutes encore qu'il soit difficile d'évaluer le "défaunage" de la zone forestière amazonienne, mais la Dionée vit aux Etats-Unis, un pays évolué, s'il en est. Alors "Au Secours" avant que ce piège à loups ne rejoigne le Dodo dans le pays des chimères.



BIBLIOGRAPHIE :

  • Pierre Jolivet. Les Plantes Carnivores, 126 pp., Le Rocher, 1987.
  • Harold Koopowitz & Hilary Kaye. Plant Extinction. A global Crisis. Stome Wall Press, Washington: 239pp., 1993.
  • Sidney McDaniel. The genus Sarracenia (Sarraceniaceae). Bull. Tall Timbers Res. Station 9: 36 pp., 1971.
  • Albert Radford, Harry Ahles & C. Ritchie Bell: Manual of the Vascular Flora of the Carolinas. Chapel Hill: 1193 pp., 1968.



DIONÉE 18 - 1989