Multiplication Végétative ou Sexuée chez Pinguicula Hybride

(Serge Lavayssière)



Qui a dit qu'un amateur ne peut prétendre posséder réellement une plante s'il n'est capable de la multiplier.


Aussi , peu après l'acquisition de ma première grassette (Pinguicula X sethos) , m'empressai-je d'appliquer les conseils de Pierre SIBILLE (DlONEE N° 8) afin de tester sur elle la verdeur de ma main.


Rappelons que, comme les autres végétaux, les plantes carnivores peuvent , à quelques exceptions près, se multiplier de deux manières : par voie sexuée (graines) ou par voie végétative naturelle (rejets, stolons, division) ou artificielle (bouture, marcotte).


La voie végétative permet d'obtenir des individus exactement semblables à la plante-mère. Le capital génétique est transmis intégralement, produisant ce que l'on appelle clone (comparable aux vrais jumeaux chez les humains). A noter qu'à la longue, on peut aboutir, génération aprés génération, à une "usure" du capital génétique, cause d'un affaiblissement, d'une dégénérescence, de la descendance.

La voie sexuée, elle, renouvelle à chaque génération le capital génétique. Lors de la meïose, les cellules de la pIante, contenant un nombre pair de chromosomes (2n), se divisent en gamètes ne contenant qu'un chromosome de chaque paire, soit la moitié (n) du capital génétique d'une cellule normale. Une cellule se divise donc en deux gamètes, chacune emportant dans son noyau un chromosome de chaque paire. Le partage s'effectue de façon parfaitement aléatoire, de sorte que toutes les combinaisons sont possibles. A titre d'exemple, une hypothétique plante possédant 2 paires de chromosomes A0/A1 et B0/B1 pourra former des gamètes aux combinaisons suivantes A0 et B0, A0 et B1 , A1 et B0, A1 et B1 . C'est pourquoi deux plantes soeurs issues de graines présenteront de légères différences, de la même manière que deux frères ou deux soeurs humains, même avec un évident "air de famille", seront facilement reconnaissables. Lorsque l'on sait que nos grassettes indigènes possédent, suivant les espèces, 8, 16, ou 32 paires, le nombre de combinaisons s'avère impressionnant.


Pardonnez-moi ces quelques lignes laborieuses, mais ceci explique que lorsqu'une gamète mâle (grain de pollen) rencontre une gamète femelle (ovule) le regroupement en paires de leurs chromosomes constitue des graines génétiquement diversifiées. On obtiendra ainsi des plantes capables de différer dans le cadre de la variabilité naturelle.


On définit une espèce botanique comme l'ensemble des plantes fécondes entre elles, et produisant une descendance identique aux parents. De très légères différences peuvent apparaître tout en restant proches du standard de l'espèce. Les hybrides n'étant pas génétiquement stabilisés peuvent avoir une descendance très variée. Les caractères seront intermédiaires entre les espèces botaniques d'origine. Si l'on désire conserver intacts tous les caractères d'un hybride on aura alors recours à la multiplication végétative. Une telle plante, largement diffusée, s'appelle un cultivar. L'exemple le plus connu est sans doute le pommier "golden", mais sont aussi dans ce cas les rosiers et bien d'autres plantes cultivées.


Le croisement Pinguicula caudata X Pinguicula ehlersae peut donc donner une myriade de plantes différentes. Adrian SLACK cite dans Insect Eating Plants deux cultivars issus de cette hybridation: Pinguicula X sethos et Pinguicula X weser, qui diffèrent par la taille et la forme blanche ornant le coeur de la fleur.


A la suite d'un semis provenant d'un Pinguicula X sethos, les différences sont bien visibles. On retrouve, aléatoirement répartis, des caractères de Pinguicula caudata et de Pinguicula ehlersae. Ces plantules, âgées d'une dizaine de mois, ressemblent à leurs grands-parents. Certaines rappellent Pinguicula ehlersae, avec des feuilles un peu charnues. La vitesse de croissance laisse espérer une taille bien supérieure à Pinguicula ehlersae. Une plantule ressemble à Pinguicula caudata miniature mais présente de façon plus ou moins intense la coloration rougeâtre de Pinguicula ehlersae.


J'attends impatiemment la floraison, peut-être cette année afin de connaître leur taille adulte. La fleur peut réserver queIques surprises, bien que la couleur soit facilement prévisible.


Après avoir abondamment fourni la bourse de graines en semences de Pinguicula X sethos, je présente toutes mes excuses aux amateurs qui en ont reçu. Je leur souhaite de tout coeur d'obtenir des "inédits" intéressants, toujours est-il que ces plantules ne sont pas des Pinguicula X sethos.

Il paraît donc évident qu'un hybride de Pinguicula ne peut être considéré que comme un cultivar et doit être muItiplié uniquement par voie végétative. Toute tentative de semis relèvera de la loterie mendélienne.

Il ne faut donc pas espérer acquérir Pinguicula X sethos ou tout autre hybride précis à l'état de graines. Admettons donc une fois pour toutes que Pinguicula X sethos est né un jour d'une graine unique, et que sa descendance ne fournira que d'autres hybrides de P. caudata et P. ehlersae, mais certainement pas P. sethos.

Ceci offre finalement d'immenses possibilités. Un seul croisement peut offrir plusieurs hybrides différents plus ou moins intéressants, et chacun d'eux, auto-pollinisé ou hybridé une nouvelle fois pourra donner naissance à d'autres variétés. On est donc en droit d'espérer à l'avenir voir apparaître d'intéressants cuItivars, au risque de considérablement compliquer la taxonomie ! La plus grande discipline est donc de mise, tout croisement devant être répertorié.

Pour quoi ne pas profiter des futures A.G. pour exposer ces nouveaux hybrides, et peut-être même en primer certains ? Ceci pourrait encourager les amateurs dans cette voie et surtout éviter de créer des plantes à la généalogie inconnue.

A quand P. caudata à fleur blanche ou jaune ? à quand P. esseriana de 15 centimètres ? à quand P. agnata miniature ?

Virtuoses du cure-dent, au travail, le moment est peut-être venu de faire entrer son nom dans l'histoire des plantes carnivores !


DIONÉE 16 - 1989