Vie des Urnes chez NEPENTHES

(Etienne GUILLOU-GOTKOVSKY)


Nepenthes ventricosa
Photo : Etienne Guillou

Lorsque nous avons abordé la question du rôle des urnes chez les Nepenthes, l'opinion d'un Professeur de Botanique de notre faculté nous a choqués. En effet, celui-ci affirmait que le "carnivorisme" des Nepenthes n'était qu'une légende.

"Pourquoi la Nature aurait-elle élaboré de tels pièges?"

Il nous répondit que la différenciation chez les végétaux supérieurs n'était pas toujours synonyme d'utilité et que les urnes de Nepenthes en étaient un exemple!


Opposé à cette version, j'ai procédé à quelques expériences :

La première a été d'introduire dans différentes ascidies d'un même Nepenthes, un petit nombre de paillettes de nourriture pour poissons exotiques. J'avais choisi des paillettes exclusivement faites de protéines animales.

Après avoir attendu une semaine, j'ai pu observer que la nourriture avait été considérablement dégradée dans certaines urnes, et que dans d'autres, elle avait juste coulé au fond de l'ascidie, conservant sa forme et sa couleur primitive. Il y avait aussi des ascidies où le substrat n'était qu'à moitié dégradé.


J'ai constaté que là où il était le plus dégradé, il s'agissait d'urnes "jeunes", venant de s'ouvrir, tandis que les urnes déjà ouvertes depuis longtemps ne possédaient plus le pouvoir de transformation de la nourriture.

J'ai voulu voir jusqu'où pouvait aller la capacité digestive des Nepenthes : J'ai introduit des doses croissantes de steack haché dans des urnes de 10 à 15 centimètres du N. Ian-celebes et du N. ventricosa, et dans d'autres de 3 à 5 centimètres du N. ampullaria . Lorsque j'ouvris les terrariums, 5 jours plus tard, une odeur épouvantable se faisait sentir.

Une quantité de 1 à 2 grammes de viande avait bien été digérée, aussi bien par le N. ventricosa que par le N. ampullaria.

La différence de taille n'est pas un facteur limitant pour l'activité digestive.

Les ascidies chargées de dégrader 5 à 7 grammes de steack étaient devenues noires et une odeur nauséabonde s'en dégageait.

En effet, la quantité d'enzymes présente avait été trop insuffisante pour transformer une telle dose de substrat. Le surplus de viande s'était donc putréfié en provoquant la mort de l'urne. Je m'en suis débarrassé afin d'assainir l'atmosphère !


J'ai également prélevé le liquide digestif de différentes urnes afin d'avoir une idée du pH :

Une solution de 3 gouttes de Bleu de Bromothymol et de liquide d'une jeune ascidie vire tout de suite au jaune (pH inférieur à 6.0): d'où une propriété acide.

3 gouttes de BBT plus du liquide d'une urne âgée : La solution reste bleutée (pH aux environs de 7.0). L'acidité a disparu.

Si l'on prélève le liquide d'urnes plus ou moins âgées, on obtient des colorations du BBT qui tirent plus ou moins sur le jaune en fonction de l'âge de l'échantillon.


Ces expériences, qui m'ont coûté quelques urnes, rejoignent les observations de Monsieur H. PERRIER de la BATHIE, célèbre pour l'étude de la Flore de Madagascar (entre autres), au sujet des ascidies du Nepenthes madagascariensis :

Il a remarqué, lorsque la feuille est entièrement développée, donc quand l'opercule de l'urne s'ouvre, que celle-ci est en période active d'assimilation. Le liquide qui remplit l'urne ne contient "que des proies mortes et digérées, gros insectes lourds ou aptères dans les urnes inférieures, petites bestioles agiles ou ailées dans celles des feuilles supérieures."

"Après cette période, la feuille et son urne persistent bien, mais à l'état de vie ralentie; et le liquide de l'urne, d'ailleurs remplacé en partie ou en totalité par de l'eau pluviale, devient alors, mais seulement alors, un parfait bouillon de culture, où foisonnent bactéries, infusoires, larves de culicides, et même petits insectes aquatiques."


Il n'est donc pas étonnant dès lors, d'entendre certains explorateurs dire qu'ils ont observé des larves de moustiques et des bactéries dans ces pièges de plantes dites "carnivores"; ceci pourrait expliquer le scepticisme de notre Professeur de Botanique.


Sous nos climats, la dilution du liquide digestif ne peut se produire que par l'action de nos arrosages réguliers.

Tout possesseur de Nepenthes peut refaire ces expériences mais il est à douter que nos résultats soient identiques: ceux-ci dépendent de l'environnement dans lequel la plante pousse(température, éclairage,..) Le type même de la plante utilisée est un facteur de différence: on n'obtiendra pas des résultats identiques avec le N. albo-marginata ou bien avec le N. distillatoria.


On peut décrire la vie d'une urne de la façon suivante:

  1. Urne en formation: élaboration du liquide jusqu'au stade de l'ouverture. Ce liquide stérile est utilisé par des indigènes de la Péninsule Malaise comme collyre. Je n'y ai pas encore vérifié la présence d'une activité enzymatique.

  2. De l'ouverture de l'urne, jusqu'au stade 15 jours (chez le N. Ian-Célèbes): le liquide est actif. Les proies sont digérées par les diastases et des protéases sécrétées par les parois internes de l'ascidie. Si l'on y introduit une mouche, il ne subsistera que son exosquelette très friable, l'intérieur ayant été dégradé.

  3. Stade 15 jours: L'urne est physiologiquement morte. Le liquide perd toute son activité protéolytique. L'ascidie sert de réceptacle à une vie aquatique intense. A ce stade, nous n'avons plus aucune preuve de l'activité carnivore que possédait Ia jeune urne.

Il était donc normal qu'avant la découverte de ces différents stades, la question de la carnivorité des urnes de Nepenthes soit controversée. Les uns constataient la présence de vie dans les ascidies, et traitaient de légende le "carnivorisme" de ces plantes, tandis que les autres admettaient la digestion des insectes au profit de la plante.

"Ces thèses contradictoires reposaient toutes les deux sur des fait exacts, mais incomplètement observés."

Les Nepenthes possèdent des urnes actives, où les insectes sont digérés, et des urnes inactives ne servant plus à l'apport de nourriture azotée.



Références :

  • "Au sujet du rôle des urnes de Nepenthes" par H. PERRIER de la BATHIE, revue Internationale de Botanique Appliquée et d'Agriculture Tropicale Nov-Déc No 289-290 1946.

  • "Pitcher Plants of Malaisia and Singapore" par R.G. SHIVAS


DIONÉE 13 - 1988