Lorsque nous avons abordé la question du rôle des urnes chez les
Nepenthes, l'opinion d'un Professeur de Botanique de notre faculté
nous a choqués. En effet, celui-ci affirmait que le "carnivorisme" des
Nepenthes n'était qu'une légende.
"Pourquoi la Nature aurait-elle élaboré de tels pièges?"
Il nous répondit que la différenciation chez les végétaux supérieurs
n'était pas toujours synonyme d'utilité et que les urnes de Nepenthes
en étaient un exemple!
Opposé à cette version, j'ai procédé à quelques expériences :
La première a été d'introduire dans différentes ascidies d'un même
Nepenthes, un petit nombre de paillettes de nourriture pour poissons
exotiques. J'avais choisi des paillettes exclusivement faites de
protéines animales.
Après avoir attendu une semaine, j'ai pu observer que la nourriture
avait été considérablement dégradée dans certaines urnes, et que dans
d'autres, elle avait juste coulé au fond de l'ascidie, conservant sa
forme et sa couleur primitive. Il y avait aussi des ascidies où le
substrat n'était qu'à moitié dégradé.
J'ai constaté que là où il était le plus dégradé, il s'agissait
d'urnes "jeunes", venant de s'ouvrir, tandis que les urnes déjà
ouvertes depuis longtemps ne possédaient plus le pouvoir de
transformation de la nourriture.
J'ai voulu voir jusqu'où pouvait aller la capacité digestive des
Nepenthes : J'ai introduit des doses croissantes de steack haché dans
des urnes de 10 à 15 centimètres du N. Ian-celebes et du N.
ventricosa, et dans d'autres de 3 à 5 centimètres du N. ampullaria .
Lorsque j'ouvris les terrariums, 5 jours plus tard, une odeur
épouvantable se faisait sentir.
Une quantité de 1 à 2 grammes de viande avait bien été digérée, aussi
bien par le N. ventricosa que par le N. ampullaria.
La différence de taille n'est pas un facteur limitant pour l'activité
digestive.
Les ascidies chargées de dégrader 5 à 7 grammes de steack étaient
devenues noires et une odeur nauséabonde s'en dégageait.
En effet, la quantité d'enzymes présente avait été trop insuffisante
pour transformer une telle dose de substrat. Le surplus de viande
s'était donc putréfié en provoquant la mort de l'urne. Je m'en suis
débarrassé afin d'assainir l'atmosphère !
J'ai également prélevé le liquide digestif de différentes urnes
afin d'avoir une idée du pH :
Une solution de 3 gouttes de Bleu de Bromothymol et de liquide d'une
jeune ascidie vire tout de suite au jaune (pH inférieur à 6.0): d'où
une propriété acide.
3 gouttes de BBT plus du liquide d'une urne âgée : La solution reste
bleutée (pH aux environs de 7.0). L'acidité a disparu.
Si l'on prélève le liquide d'urnes plus ou moins âgées, on obtient des
colorations du BBT qui tirent plus ou moins sur le jaune en fonction
de l'âge de l'échantillon.
Ces expériences, qui m'ont coûté quelques urnes, rejoignent les
observations de Monsieur H. PERRIER de la BATHIE, célèbre pour l'étude
de la Flore de Madagascar (entre autres), au sujet des ascidies du
Nepenthes madagascariensis :
Il a remarqué, lorsque la feuille est entièrement développée, donc
quand l'opercule de l'urne s'ouvre, que celle-ci est en période
active d'assimilation. Le liquide qui remplit l'urne ne contient "que
des proies mortes et digérées, gros insectes lourds ou aptères dans
les urnes inférieures, petites bestioles agiles ou ailées dans celles
des feuilles supérieures."
"Après cette période, la feuille et son urne persistent bien, mais à
l'état de vie ralentie; et le liquide de l'urne, d'ailleurs remplacé
en partie ou en totalité par de l'eau pluviale, devient alors, mais
seulement alors, un parfait bouillon de culture, où foisonnent
bactéries, infusoires, larves de culicides, et même petits insectes
aquatiques."
Il n'est donc pas étonnant dès lors, d'entendre certains explorateurs
dire qu'ils ont observé des larves de moustiques et des bactéries dans
ces pièges de plantes dites "carnivores"; ceci pourrait expliquer le
scepticisme de notre Professeur de Botanique.
Sous nos climats, la dilution du liquide digestif ne peut se
produire que par l'action de nos arrosages réguliers.
Tout possesseur de Nepenthes peut refaire ces expériences mais il est
à douter que nos résultats soient identiques: ceux-ci dépendent de
l'environnement dans lequel la plante pousse(température, éclairage,..)
Le type même de la plante utilisée est un facteur de différence: on
n'obtiendra pas des résultats identiques avec le N. albo-marginata ou
bien avec le N. distillatoria.
On peut décrire la vie d'une urne de la façon suivante:
Il était donc normal qu'avant la découverte de ces différents
stades, la question de la carnivorité des urnes de Nepenthes soit
controversée. Les uns constataient la présence de vie dans les
ascidies, et traitaient de légende le "carnivorisme" de ces plantes,
tandis que les autres admettaient la digestion des insectes au profit
de la plante.
"Ces thèses contradictoires reposaient toutes les deux sur des
fait exacts, mais incomplètement observés."
Les Nepenthes possèdent des urnes actives, où les insectes sont
digérés, et des urnes inactives ne servant plus à l'apport de
nourriture azotée.
Références :
DIONÉE 13 - 1988 |