Comment peut-on être amateur de plantes carnivores

(Pierre SIBILLE)



En notre époque d'efficacité et de rentabilité, l'amateur a-t-il encore sa place ? L'amateur est un dilettante, un rêveur, un contemplatif. Rien de "performant" dans un tel personnage.

Le cas s'aggrave si l'on s'annonce "amateurs de plantes". Horticulteur, fleuriste ou botaniste, soit, mais amateur de plantes, cela fait "écolo" et pour tout dire pas sérieux.

Quant à de déclarer "amateurs de plantes carnivores", cela tient de la gageure ! Et pourtant, quand un trio d'amis forme en octobre 1983 l'Association française d'amateurs de plantes carnivores, ce projet n'a rien de farfelu. Il s'agit de développer, même dans une modeste mesure, un intérêt pour des végétaux fascinants tant par leur étrange biologie que par leur discrète beauté. Précisons-le d'emblée : cet intérêt n'a rien de commun avec la "curiosité" que fustigeait La Bruyère.

" La curiosité n'est pas un goût pour ce qui est bon ou ce qui est beau, mais pour ce qui est rare, unique, pour ce qu'on a et ce que les autres n'ont point. Ce n'est pas un attachement à ce qui est parfait, mais à ce qui est couru, à ce qui est à la mode ".

Et l'auteur des "Caractères" de brocarder le "fleuriste" qui s'extasie devant ses chères tulipes.

"Dieu et la nature sont en tout cela ce qu'il n'admire point : il ne va pas plus loin que l'oignon de sa tulipe qu'il ne livrerait pas pour mille écus, et qu'il donnera pour rien quand les tulipes seront négligées et que les oeillets auront prévalu....."

Le véritable amateur de plantes ne se sent pas concerné par cette mordante satire. L'amateur, au sens littéral du mot, c'est celui qui aime. Or l'amateur aime ses plantes non pas pour leur rareté, ni pour leur prix, ni pour leur "utilité", ni parce qu'elles sont à la mode. Il les aime parce qu'il les trouve belles, parce qu'il y a du merveilleux dans tout être vivant ; il est attentif à leur rythme de vie, et, tenant compte de leurs exigences spécifiques, s'emploie à les acclimater et à les multiplier. On pourrait dire qu'il atteint à un certain état de réceptivité avec "ses" plantes.


Indépendamment de toute recherche de profit matériel et aussi de toute investigation strictement scientifique, c'est de ce goût pour la plante en elle même que se réclament les amateurs de plantes carnivores.

Et comme d'autres amoureux de la Nature, beaucoup trouvent dans ce goût un antidote contre les " toxines " de la vie actuelle ou même une piste vers une certaine forme de bonheur.

DIONÉE 8 - 1986