Notre ami Denis Bavent a observé les plantes de Corse, en juin
dernier. Il nous fait le récit de sa rencontre avec la grassette de
Corse.
J'ai eu l'occasion l'été dernier, lors de mes vacances, de parcourir
quelques sommets du massif montagneux à dominance granitique qui
s'élève en Corse. Dans plusieurs stations, j'ai pu observer cette
ravissante grassette endémique de l'Ile de Beauté.
Pinguicula corsica appartient à la flore de montagne, on la trouve
souvent entre 1200 et 1800 m d'altitude, mais il lui arrive de descendre
beaucoup plus bas, vers 500 m, notamment aux environs de Cauro.
On la trouve dans les endroits frais, prés des sources, aux bords
des ruisseaux, dans le creux des ravins, ou dans des prairies
marécageuses.
Les stations de montagne sont presque toujours des petits groupements
comprenant une centaine de plantes adultes et de quelques plantules
issues des graines de l'année précédente. Elles sont le plus souvent
localisées dans les endroits les plus humides.
Dans une station située à 1500 m d'altitude, notre grassette
poussait environnée d'herbe rase, coincée au milieu d'éboulis de roches
granitiques. Cet endroit est baigné par le soleil du matin, et l'absence
d'arbres ou d'arbustes permet à ce lieu d'être toujours bien éclairé.
La lente fonte des glaces encore présentes en cette saison, seulement
300 m plus haut, permet au sol et aux roches d'étre pratiquement
humides en permanence. Comparée aux températures élevées de la côte,
la température de la journée est beaucoup plus fraîche, et les nuits à
cette altitude sont presque froides même en été. Il est certain qu'en
hiver, P. corsica est recouverte pendant quelques mois par la neige.
C'est sous la forme de bourgeon végétatif (hibernacle), qu'elle attendra
le retour de conditions plus favorables.
Dans les pozzines...
Mais c'est dans les pozzines que nos grassettes sont les plus
belles. Ce qui m'incite à faire une incidente au sujet des pozzines.
Les pozzines (vient de pozzo = puits) sont des prairies marécageuses
caractéristiques de la Corse. Il s'agit de pelouses tourbeuses installées
à l 'emplacement d'anciens lacs glaciaires ou sur leur pourtour
lorsqu'ils sont encore présents. Ce tapis spongieux, constitué par des
dépots alluviaux, mais aussi et surtout de débris végétaux, et souple
et, pourrait-on dire élastique sous nos pas; il y subsiste par endroits
des trous profonds semblables à des puits, et il y a quelques risques à
s'y aventurer.
On y distingue plusieurs zones de végétation:
Les secteurs les moins détrempés sont colonisés par des plantes
herbacées et des graminées (Nardus stricta, Luzula spictata), des
Caryophyllacées cyrno-sarde (Sagina pilifera), y croissent également.
Les secteurs plus détrempés ont un groupement plus hygrophile
composé en grandes parties de carex (Carex intricata, Carex stellulata,
Carex nevadensis), mais aussi de graminées (Poa supina), de joncs
(Juncus alpinus); enfin là où l'eau ruisselle en permanence dans un
gazon de scirpe (Tricophorum caespitosum). ressortent les rosettes
jaunâtres de la Grassette corse, souvent accompagnée de 2 autres endé-
miques, Bellium nivale et Bellis bernardi.
Elles sont groupées là, en colonies parfois importantes, et à
l'époque où j'ai visité cet endroit, j'ai eu la chance de les découvrir
toutes en fleurs. Par contre à cette période de l'année, aucune ne
portait encore de capsules de graines.
Les alliances phytosociologiques montrent que le milieu est
franchement acide, par contre je n'ai pas rencontré de sphagnum dans
cette tourbière.
Comme dans la plupart des tourbières l'endroit reçoit le soleil
toute la journée, il n'y a pas d'arbres ou d'arbustes pour ombrer les
plantes durant les journées ensoleillées; les seuls arbustes présents se
limitent à la périphérie des pozzines.
Dans ces tourbières d'altitude, la neige recouvre les plantes
tout l'hiver.
Description de Pinguicula corsica (Bernard et Gren).
Pinguicula corsica est une plante vivace très voisine de ses
"cousines": P. vulgaris et P. grandiflora.
La rosette de feuilles vert clair, ou quelquefois jaunâtre dépasse
à peine les 5 cm. Les bords des feuilles sont légèrement relevés, et on
peut voir de nombreux petits insectes piégés par le mucilage gluant
produit par les feuilles.
Chaque plante porte une ou deux hampes florales uniflores, et
sans bractées, atteignant presque 15 cm de hauteur.
Les pédicelles floraux courbés à leur extrémité portent une
fleur à cinq pétales mauve ou rose pâle, et le coeur de cette corolle
aussi long que large est blanc. L'éperon caractéristique des
Lentibulariacées, est court, à peine la moitié de la longueur de
la corolle.
D'après J. Contandriopoulos (Recherche sur la flore endémique
de la Corse et sur ses origines, 1962), la grassette corse ne possède que
16 chromosomes (Les européennes continentales en ont 32 voire 64) ce qui
ferait penser à une apparition plus ancienne que ces dernières
(évolution par doublement de chromosomes).
DIONÉE 7 - 1986
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