Plantes carnivores de nos régions

(Pierre SIBILLE)


Pinguicula grandiflora (Jura)
Photo : René Aubry


Cette rubrique, dans nos cinq premiers bulletins aura été consacrée à une esquisse de description des espèces indigènes de plantes carnivores. Ces quelques articles appellent des compléments, des précisions d'ordre botanique. Après cette "galerie de portraits" un peu figée nous irons à la découverte avec vous, chers adhérents. Nous observerons, au fil des saisons, la vie de "nos" plantes carnivores dans leurs habitats naturels ou encore en culture, dans les mini tourbières que nous leur auront soigneusement amènagées.

Tout d'abord, voici une note que nous devons à Robert Lafaye, de Rennes, et qui vient complèter mon article sur les Rossolis, dans Dionée N°1. Elle comporte, en premier, une description de x Drosera obovata Mert et Koch. M. Lafaye a trouvé en 1976, dans les Vosges, cet hybride naturel avec ses parents D. rotundifolia et D. anglica.

"Le limbe de la feuille est 2 à 3 fois plus long que large, graduellement rétréci en pétiole, plus large que dans D. intermedia (6 à 8 mm au lieu de 3 à 5mm). Contrairement à ce qui se passe dans cette dernière espèce, la hampe florale n'est pas coudée à la base et elle est plus longue (2 à 3 fois la longueur des feuilles) D. obovata qui porte 6 à 10 fleurs sur chaque hampe est une plante nettement plus robuste que D. intermedia".


M. Lafaye signale, d'après " Les quatre flores de France" (Paul Fournier. ) :

  1. Une variété breviscapa de D. rotundifolia (dont la tige est courte, de 4 à 6 cm).
  2. Un autre hybride: D. beleziana (=D. intermedia x D. rotundifolia)
  3. Une sous-espèce de D. rotundifolia, spéciale à la Corse, où elle est très rare : D. corsica Maire dont la tige n'est pas nue comme dans D. rotundifolia mais porte une ou deux feuilles pétiolées, et dont les fleurs sont munies de bractées à tentacules.


De cette sous-espèce, Laurent Legendre (Versailles) nous apprend que le jardin botanique de Kew, à Londres, l'a classée comme plante disparue de France.


M. Lafaye ajoute une remarque sur Pinguicula grandiflora.

En général, il y a 1, 2 ou 3 tiges chacune portant une fleur, mais j'ai trouvé dans les Pyrénées Atlantiques, en 1980, une variété avec un grand nombre de tiges que je nomme multicaule. L'exemplaire de mon herbier a 10 tiges avec chacune une fleur.


Laurent Legendre s'est promené dans les Alpes, en Juillet 1984, a environ 2000m d'altitude et, là, il a fait une rencontre.

Sur un versant bien exposé au soteil, au niveau des neiges éternelles, des Pinguicula alpina montraient leurs blanches corolles au centre jaune sur un sol noir et caillouteux, presque dénudé de végétation.

J'ai aussi rencontré d'autres pinguiculas dont les fleurs étaient violettes voire roses. Elles se situent entre 1000 et 1500m d'altilude et leur répartition géographique est beaucoup plus importante que celle de l'espèce citée ci-dessus.

Laurent Legendre a reconnu dans ces grassettes Pinguicula vulgaris et, peut-être, Pinguicula grandiflora. Cette dernière espèce plus grande dans toutes ses parties que les précèdentes lui a paru plus florifère et moins exigeante en lumière.

Laurent Legendre ajoute :

Comme vous le savez, de telles rencontres sont de plus en plus aléatoires (voir le cas de Drosera corsica). Heureusement certains jardins botaniques sont là pour aider les espèces les plus menacées à survivre. Et nous devons collaborer à leur tâche en leur permettant de complèter leurs vivantes collections.


Passons de la montagne à la Bretagne avec quelques extraits d'une lettre de Philippe Quelen (Côtes du Nord).

J'ai découvert quelques sujets de Pinguicula lusitanica l'été dernier (1984) dans une petite station en compugnie de Drosera intermedia, d'ailleurs non loin de D. rotundifolia.

Je suis retourné (en janvier) dans ce biotope particulier et je croyais bien que plusieurs pinguicula avaient été déracinés; leurs feuilles très turgescentes avaient subi les dégâts du gel. En revanche, les drosera dont seules les ébauches de feuilles étaient alors visibles, ne paraissaient pas avoir souffert. Je dois noter que les grassettes poussent là où le sol est nu (bords d'anciennes ornières de tracteur surtout) tandis que les Drosera (surtout D. rotundifolia préfèrent les coussins de sphaigne; je pense que ces dernières sont donc naturellement mieux protégées des gelées que les grassettes du Portugal.


Remarque : Comme l'a observé Philippe Quelen, D. intermedia et P. lusitanica poussent de préférence sur sol nu (sable tourbeux) alors que D. rotundifolia peut se développer sur le sphagnum, son rhizome vertical lui permettant de se maintenir au niveau de la mousse à mesure que celle-ci croît.

En septembre, Philippe Quelen est retourné voir cette tourbière et nous donne des nouvelles rassurantes :

Le froid n'est sans doute pas près de faire disparaître Pinguicula lusitanica de cette mini-station de 2 ou 3 mètres carrés; les effectifs semblent même avoir augmenté depuis l'an dernier. Les basses températures ont sans aucun doute eu un effet bénéfique sur la dormance des graines car les grassettes observées cet hiver étaient, pour la plupart, déchaussées par le dégel.

Aussi ai-je découvert une autre station où rayonnent des centaines, voire des milliers, de plantules de Drosera intermedia. La vernalisation a, là aussi, agi favorablement sur le taux de germination car l'année passée je n'avais pas même découvert un seul plant de drosera dans ce biotope.

Je constate que les plantes carnivores élisent volontiers domicile dans des sites naturels d'une grande beauté. Quoi de plus merveilleux que de découvrir en été le scintillement des rossolis cramoisies parmi le sphaigne rouge et or, les éricacées et les ajoncs en fleur ?

J'espère sincèrement que "Dionée" favorisera la sauvegarde de ces plantes fascinantes dans nos campagnes.


C'est, en effet, l'un des principaux objectifs de notre association.


DIONÉE 6 - 1985