Cette rubrique, dans nos cinq premiers bulletins aura été
consacrée à une esquisse de description des espèces indigènes
de plantes carnivores. Ces quelques articles appellent des
compléments, des précisions d'ordre botanique. Après cette
"galerie de portraits" un peu figée nous irons à la découverte
avec vous, chers adhérents. Nous observerons, au fil des
saisons, la vie de "nos" plantes carnivores dans leurs
habitats naturels ou encore en culture, dans les mini
tourbières que nous leur auront soigneusement amènagées.
Tout d'abord, voici une note que nous devons à Robert Lafaye,
de Rennes, et qui vient complèter mon article sur les Rossolis,
dans Dionée N°1. Elle comporte, en premier, une description
de x Drosera obovata Mert et Koch. M. Lafaye a trouvé en 1976,
dans les Vosges, cet hybride naturel avec ses parents
D. rotundifolia et D. anglica.
"Le limbe de la feuille est 2 à 3 fois plus long que large,
graduellement rétréci en pétiole, plus large que dans
D. intermedia (6 à 8 mm au lieu de 3 à 5mm). Contrairement à
ce qui se passe dans cette dernière espèce, la hampe florale
n'est pas coudée à la base et elle est plus longue (2 à 3
fois la longueur des feuilles) D. obovata qui porte 6 à 10
fleurs sur chaque hampe est une plante nettement plus robuste
que D. intermedia".
M. Lafaye signale, d'après " Les quatre flores de France"
(Paul Fournier. ) :
De cette sous-espèce, Laurent Legendre (Versailles) nous apprend
que le jardin botanique de Kew, à Londres, l'a classée comme plante
disparue de France.
M. Lafaye ajoute une remarque sur Pinguicula grandiflora.
En général, il y a 1, 2 ou 3 tiges chacune portant une fleur, mais
j'ai trouvé dans les Pyrénées Atlantiques, en 1980, une variété
avec un grand nombre de tiges que je nomme multicaule. L'exemplaire
de mon herbier a 10 tiges avec chacune une fleur.
Laurent Legendre s'est promené dans les Alpes, en Juillet 1984,
a environ 2000m d'altitude et, là, il a fait une rencontre.
Sur un versant bien exposé au soteil, au niveau des neiges
éternelles, des Pinguicula alpina montraient leurs blanches
corolles au centre jaune sur un sol noir et caillouteux,
presque dénudé de végétation.
J'ai aussi rencontré d'autres pinguiculas dont les fleurs
étaient violettes voire roses. Elles se situent entre 1000 et
1500m d'altilude et leur répartition géographique est beaucoup
plus importante que celle de l'espèce citée ci-dessus.
Laurent Legendre a reconnu dans ces grassettes Pinguicula
vulgaris et, peut-être, Pinguicula grandiflora. Cette dernière
espèce plus grande dans toutes ses parties que les précèdentes
lui a paru plus florifère et moins exigeante en lumière.
Laurent Legendre ajoute :
Comme vous le savez, de telles rencontres sont de plus en
plus aléatoires (voir le cas de Drosera corsica). Heureusement
certains jardins botaniques sont là pour aider les espèces les
plus menacées à survivre. Et nous devons collaborer à leur tâche
en leur permettant de complèter leurs vivantes collections.
Passons de la montagne à la Bretagne avec quelques extraits d'une
lettre de Philippe Quelen (Côtes du Nord).
J'ai découvert quelques sujets de Pinguicula lusitanica
l'été dernier (1984) dans une petite station en compugnie de
Drosera intermedia, d'ailleurs non loin de D. rotundifolia.
Je suis retourné (en janvier) dans ce biotope particulier et
je croyais bien que plusieurs pinguicula avaient été déracinés;
leurs feuilles très turgescentes avaient subi les dégâts du
gel. En revanche, les drosera dont seules les ébauches de
feuilles étaient alors visibles, ne paraissaient pas avoir
souffert. Je dois noter que les grassettes poussent là où le
sol est nu (bords d'anciennes ornières de tracteur surtout)
tandis que les Drosera (surtout D. rotundifolia préfèrent les
coussins de sphaigne; je pense que ces dernières sont donc
naturellement mieux protégées des gelées que les grassettes
du Portugal.
Remarque : Comme l'a observé Philippe Quelen, D. intermedia et
P. lusitanica poussent de préférence sur sol nu (sable tourbeux)
alors que D. rotundifolia peut se développer sur le sphagnum, son
rhizome vertical lui permettant de se maintenir au niveau de
la mousse à mesure que celle-ci croît.
En septembre, Philippe Quelen est retourné voir cette
tourbière et nous donne des nouvelles rassurantes :
Le froid n'est sans doute pas près de faire disparaître
Pinguicula lusitanica de cette mini-station de 2 ou 3 mètres
carrés; les effectifs semblent même avoir augmenté depuis
l'an dernier. Les basses températures ont sans aucun doute eu
un effet bénéfique sur la dormance des graines car les grassettes
observées cet hiver étaient, pour la plupart, déchaussées par
le dégel.
Aussi ai-je découvert une autre station où rayonnent des centaines,
voire des milliers, de plantules de Drosera intermedia. La
vernalisation a, là aussi, agi favorablement sur le taux de
germination car l'année passée je n'avais pas même découvert un
seul plant de drosera dans ce biotope.
Je constate que les plantes carnivores élisent volontiers
domicile dans des sites naturels d'une grande beauté. Quoi de
plus merveilleux que de découvrir en été le scintillement des
rossolis cramoisies parmi le sphaigne rouge et or, les éricacées
et les ajoncs en fleur ?
J'espère sincèrement que "Dionée" favorisera la sauvegarde
de ces plantes fascinantes dans nos campagnes.
C'est, en effet, l'un des principaux objectifs de notre association.
DIONÉE 6 - 1985
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