A la découverte du Nepenthes Masoalensis ( 1 )

(Marcel LECOUFLE)



"Monsieur Marcel Lecoufle nous a communiqué un récit de voyage qu'il a fait au Cap Est de Madagascar. De ce texte très pittoresque sur la découverte des orchidées et d'une partie de la flore de cette grande île, nous extrayons un trop court passage relatif à la découverte des Nepenthes. "



Le Cap Est, situé au nord-est de la grande île malgache, appartient à la vaste presqu'île de Masoala. C'est le point corrspondant au méridien le plus à l'est de Madagascar. Cette côte reçoit les moussons de l'océan Indien avec ies pluies diluviennes provoquées par l'accumulation des nuages sur les montagnes de l'arrière pays. La saison la plus sèche se situe d'octobre au début de décembre.

J'ai été invité à effectuer cette excursion lointaine par le Docteur Maisongrosse de Perpignan, amateur d'orchidées, dont l'oncle, le Père Maisongrosse est missionnaire catholique à Ambohitralanana. Au Muséum National d'Histoire Naturelle de Paris, le spécialiste des orchidées de Madagascar, Mr Jean Bosser, n'a jamais pu visiter cette région, en raison des pluies qui l'en ont empêché. C'est également dans ces sites que se trouve le très rare Nepenthes masoalensis dont l'identification a été mise au point par Messieurs Schmid et Hollinger en 1976, guidés alors par le Père Maisongrosse. Ce Nepenthès n'a pas encore été cultivé en dehors de ses points d'origine.

Muni du passeport et du visa de l'ambassade malgache, on se rend à Madagascar par avion et les lignes internationales nous font toucher le sol malgache à l'aéroport d'lvato, distant de 15 km de la capitale Tananarive ou Antananarivo. Nous étions là, le dimanche 13 novembre 1983, M. et Mme Maisongrosse et moi-même, attendus par M. Dubeau, ami de mes hôtes.

Nous quittons l'aéroport d'Ivato pour Sambava, le lundi 14 novembre. Nous survolons le nord-est de la grande île en faisant escale à Majunga et laissant l'île de Nossi-Bé à notre gauche et Diego Suarez avec ses sites à orchidées. Au petit aéroport de Sambava, le taxi camionnette commandé

par avance par des amis d'Antalaha nous attendait pour nous faire parcourir les 89 km de piste routière jusqu'à Antalaha. La température est élévée dépassant les 30 degrés. Le ciel bien bleu est parsemé de quelques nuages blancs...

Nous passons la nuit chez des amis à Antalaha. Le mardi 15, à 9 heures, nous reprenons le taxi-camionnette pour parcourir la piste vers le Sud...

Quoiqu'il n'y ait ni téléphone ni électricité, les nouvelles se colportent rapidement et le Père a eu le temps de venir au-devant de nous. Vêtu d'un pull et d'un pantalon bleu sombre, portant la barbe et le béret, l'air jovial, il nous met tout de suite à l'aise. Il est tout heureux de recevoir quelque visite, étant prêtre de ce district depuis une trentaine d'années. Nous faisons également connaissance avec le guide qui nous conduira le lendemain vers le site à Nepenthes masoalensis...

Le lendemain matin, le guide vient nous chercher vers sept heures et nous partons tous quatre, en compagnie du Docteur Maisongrosse et de sa femme, visiter le site à Nepenthes le plus proche. L'appareil photographique du Docteur est un 24x36 très léger avec une focale de 35 mm. De mon côté, sachant que la marche ne sera pas trop longue, j'emporte tout mon matériel, soit deux appareils, noir et couleur ainsi que l'appareil stéréoscopique, le pied et flash. J'ajoute le matériel de récolte des urnes de Nepenthes pour les récolter en alcool, selon la demande du Docteur Gibson de l'Université d'Utah aux U.S.A. qui étudie spécialement l'assimilation des insectes par les urnes.

Après le village, nous marchons sur les murs de séparation des champs de riz en prenant garde de ne pas glisser sur ces chemins étroits en terre grasse parfois meuble. Les rizières ne recèlent pas d'orchidées. Nous faisons envoler quelques jolis oiseaux. Nous prenons au passage un second gulde qui travaille dans ses cultures. Nous abordons des passages et des terrains de plus en plus marécageux. Lorsque le niveau du soi s'élève un peu, ce sont des cultures d'ananas et de caféiers. Puis à nouveau les marécages gamis de papyrus nains et de végétaux semi-aquatiques. C'est la boue et la fange et on doit marcher en équilibre sur des branches ou en sautant d'une touffe de cyperus à l'autre. Ratant un pas sur une branche, je me suis trouvé à cheval sur celle-ci, mes pieds disparaissant totalement dans la boue semi-végétaie... Nous atteignons une forêt assez dense et c'est au coeur de celle-ci que nous conduisent nos guides.

Le gisement à Népenthes masoalensis se trouve dans l'humus de la forêt. Cet humus est bien humide mais pas marécageux. Les Népenthès émettent des tiges très longues rampant sur le sol, sur lesquelles croissent des petites plantes non racinées. Les tiges continuent leur végétation en grimpant dans les arbrisseaux ou les arbres avec des feuilles de plus en plus grandes vers le sommet; elles atteignent 6 mètres de longueur. Les urnes (ou ascidies) de la base sont petites, arrondies et rouge foncé très coloré. Leurs dimensions varient selon l'importance des feuilles qui les supportent. Les urnes supérieures sont cylindriques, légèrement renflées vers la base, jaune-vert tacheté de brun-rouge. Le dessous des opercules est pourpre foncé ou rouge sang, comme pour mieux attirer les insectes : c'est là que sont les cellules sécrétant le liquide qu'ils recherchent. Ces urnes mesurent jusqu'à 18 cm de hauteur. Elles contiennent peu de liquide en cette saison sèche. Les corpuscules résiduels des insectes y sont nombreux. Nous y avons trouvé des larves vivantes de moustiques ainsi que de tout petits vers blancs, au corps cylindrique pointu aux extrémités, parfaitement bien vivants. Nous n'avons pas trouvé de jeunes plantes enracinées et il ne semble pas y avoir de multiplication positive par graines. En ce mois de novembre, les capsules de graines sont très anciennes et toutes ouvertes. J'en ai récolté quelques-unes et j'y ai trouvé des résidus de graines qui semblent beaucoup trop vieilles pour pouvoir germer. Nous avons pris les photographies en noir et en couleurs en nous servant du pied et du flash, car, sous bois, la lumière ambiante ne permet pas de diaphragmer suffisamment pour avoir des profondeurs de champ convenables.

J'ai également récolté les urnes promises au Docteur Gibson, mise chacune en sac plastique, l'alcool à 70° a été ajouté au retour et j'ai laissé sans alcool deux urnes avec les vers vivants. Malheureusement il faudra presque un mois de délai avant que ces urnes soient délivrées au laboratoire de recherches. Le tout est bien arrivé maintenant et les expériences se poursuivent...


DIONÉE 5 - 1985