Plante Carnivore de nos régions (Pierre SIBILLE)
Les Utriculaires
Il nous a fallu scruter le sol spongieux des tourbières pour découvrir les
rossolis et les grassettes, à moins que nous n'ayons rencontré ces dernières
à l'ombre d'un rocher en surplomb ou sur un éboulis mouillé. Mais, parmi
nos plantes carnivores, la palme de la discrétion revient à celles qui
hantent les eaux dormantes. Bien qu'assez communes dans les mares, les
Utriculaires sont souvent cachées par les feuilles flottantes des Potamots
ou des Lentilles d'eau, et ne se signalent à l'attention du promeneur que
lorsqu'elles élèvent au-dessus de la surface de l'eau leurs hampes de fleurs
jaunes. Ces fleurs d'Utriculaires comme celles des Pinguicula ont un éperon,
et c'est l'une des particularités de la famille des Lentibulariacées
( = Utriculariacées) à laquelle appartiennent ces deux genres. Mais les
plantes sans racines que sont les Utriculairas se caractérisent surtout par
la présence de nombreux renflements en forme de petits "sacs" ou petites
outres : les utricules.
* UN PIEGE "SOPHISTIQUE"![]()
On a d'abord attribué à ces minuscules "vessies" le rôle de flotteurs,
maintenant la plante près de la surface à la belle saison et
particulièrement lors de la floraison.
Indépendamment de leur fonction hydrostatique, les utricules constituent
de véritables pièges, très menus certes, mais dotés d'un mécanisme fort
ingénieux. Pour nous en convaincre, examinons l'appareil de capture
d'Utricularia vulgaris.
Cet utricule n'atteignant guère que 3 mm, de silhouette vaguement
arrondie, est rattaché à la plante par un court pétiole. Le piège est fermé
par un clapet qui s'ouvre vers l'intérieur. A la base du clapet, quatre
poils "déclencheurs" pointent vers l'extérieur; ils sont dépassés par de
longues antennes ramifiées.
Le piège d'Utriculaire fonctionne par aspiration. Au repos, l'utricule est
comprimé latéralement, une partie de l'eau qu'il contenait ayant été
évacuée au travers des parois formées de deux couches de cellules. La
pression intérieure de l'utricule est donc réduite par rapport à
l'extérieur. Il en résulte un effet de succion sur le clapet qui,
toutefois, reste maintenu en position fermée par un système complexe de
blocage- Des glandes sécrètent un mucilage qui assure l'étanchéité de
cette valve. Le fragile équilibre ainsi établi entre l'intérieur de
l'utricule et le milieu ambiant dépend d'un mécanisme d'une extrême
sensibilité.
* CAPTURE ET DIGESTION DES PROIES
Près de la surface de la mare, les Utriculaires baignent dans une eau
riche en plancton. C'est un grouillement d'infusoires, de microcrustacés,
de larves, de très jeunes alevins... Ces animalcules sont menacés par les
nasses de l'Utriculaire. Suivons du regard cette toute petite larve de
Chironome ("ver" de vase) dont le corps ténu ondule sans cesse. Perdue
dans le dense lacis des rameaux d'Utriculaire, la frêle créature rencontre
les arborescences des antennes d'un piège entre lesquelles elle s'engage,
se rapprochant ainsi des poils "déclencheurs". Apportons ici une précision :
il ne s'agirait pas de poils "sensitifs" comme ceux de Dionaea ou
d'Aldrovanda, mais plutôt d'une sorte de leviers soulevant la valve. Le
moindre choc suflit à rompre le délicat équilibre évoqué précédemment.
L'utricule est gonflé par cet apport d'eau. Il faudra d'une demi-heure à
deux heures pour que l'eau soit expulsée et qu'une vacuole étant reformée,
les parois latérales se creusent de nouveau. Le piège sera prêt alors pour
une autre capture.
Mais revenons à la victime. Si elle peut survivre quelque temps, son
sort n'en est pas moins scellé. La digestion de la proie morte est assurée
par les glandes de la surface intérieure des parois de l'utricule. Ces
glandes sécrètent des enzymes (estérase, phosphatase, protease) et abordent
les résidus organiques.
* CYCLE VEGETATIF
Les Utriculaires sont des plantes vivaces mais les espèces de nos
régions se réduisent en hiver à des hibernacles globuleux formés de petites
feuilles étroitement serrées les unes contre les autres. Au printemps, ces
turions se développent en longs rameaux feuillés garnis d'utricules.
En été, ies utriculaires, abondantes par endroits, forment d'épais
enchevêtrements dans les mares qu'elles égaîent certaines années d'une
floraison aussi spectaculaire qu'alle est capricieuse. A la recherche du
nectar caché dans l'éperon des fleurs, les insectes sont d'actifs vecteurs
de pollinisation croisée. Le fruit est une capsule sphérique contenant de
nombreuses graines qui peuvent germer au fond de l'eau en donnant naissance
à des plantules sans radicule.
En automne, les rameaux d'Utriculaire régressent, la plante préparant
les hibemacles qui tomberont au fond où ils demeureront pendant toute la
saison froide.
* LES DIFFERENTES ESPECES
Les Utriculalres sont des plantes palustres - aquatiques, terrestres ou
épiphytes - dont on connaît de 250 à 300 espèces. Parmi les plantes
carnivores, ce genre est à la fois le moins bien connu et le plus riche
en espèces réparties dans de nombreuses régions chaudes et tempérées du
globe. En France, on connaît quatre espèces principales, toutes aquatiques,
dont l'identification est malaisée, en l'absence des fleurs.
Une corolle jaune vif de 15 à 20 mm nous signale Utricularia vulgaris ou
encore Utricularia neglecta ( = Utricularia major = Utricularia australis).
Les fleurs sont-elles petites (6-7 mm) et d'un jaune pâle ? Cette plante
grêle est - peut-être - Utricularia minor, ou une sous.espèce un peu plus
robuste, Utricularia bremii.
Moins répandue que les autres espèces, Utricularia intermedia et sa
variété (?) Utricularia ochroleuca fleurissent rarement. Dans cette
présentation très superficielle, faisons une place à une espèce dont la
vaste répartition géographique comprend la péninsule ibérique : Utricularia
exoleta. C'est, elle aussi, une espèce aquatique mais qui, contrairement
aux précédentes, ne connaît pas de période d'hibernation. Cette plante
menue se prête donc particulièrement à la culture en aquarium et constitue
un excellent sujet d'observation.
DIONÉE 4 - 1985 |