Protection légale et protection effective de "nos" plantes carnivores.
Dans le Journal officiel du 13 mai 1982 est publiée une liste des
espèces végétales protégées sur l'ensemble du territoire national.
Cette liste comprend des plantes carnivores : toutes les espèces de
Drosera ainsi que les Aldrovanda Vesiculosa.
Sous la responsabilité des ministères de l'Agriculture, de la Santé
et de l'Environnement, l'arrêté daté du 20 janvier 1982 stipule qu'il
est interdit en tout temps et sur tout le territoire national, de
détruire, de colporter, de mettre en vente, de vendre ou d'acheter et
d'utiliser tout ou partie des spécimens sauvages présents sur le
territoire national à l'exception des parcelles habituellement cultivées,
des espèces citées à l'annexe I (dont Aldrovanda). Pour les espèces
citées à l'annexe II (dont tous les Drosera) il y a également
interdiction de détruire les "spécimens sauvages". On ajoute que "le
ramassage ou la récolte, l'utilisation, le transport, la cession à
titre gratuit ou onéreux sont soumis à autorisation..." dans des
conditions nettement précisées.
Quel ami de la nature n'approuverait des mesures règlementaires
visant à protéger des plantes menacées ? Mais n'y a-t-il pas un fossé -
voire un abîme - entre la protection légale et la protection réelle ?
Observons d'abord que pour Aldrovanda Vesiculosa, le secours vient
peut-être trop tard. Devenue introuvable dans les Bouches-du-Rhône,
cette espèce survit-elle encore dans les Landes ?
Quant aux Drosera, ils sont menacés par l'exploitation ou la "mise
en valeur" des tourbières et autres lieux humides. Autre danger pour
nos Rossolis : Pierre Lieutaghi (1) dénonce les collectes de ces plantes
au profit de laboratoires pharmacutiques. "Herbe minuscule, le Drosera
une fois sêché, doit peser deux ou trois grammes, et c'est par dizaines
de kilos qu'on le récolte chaque année".
Si l'on consulte telle flore ancienne (comme celle du Docteur Bonnet,
publiée il y a un siècle) on constate que Drosera Rotundifolia était
assez commun en région parisienne. De nos jours, la plupart de ces
stations ayant disparu, cette plante est devenue rare. Ses meilleurs
refuges sont les colonies spongieuses de sphaignes émergeant dans
les mares de tourbière.
Ne peut-on pas s'inquiéter aussi de la raréfaction des Utriculaires
en raison de la disparition - pollution, comblement - de nombreuses
mares ? Vous êtes si modestes, si discrets, Utriculaires des eaux
dormantes, et vous aussi, gracieux Pinguicula, qu'éclabousse l'eau
vive du torrent, vous êtes si modestes et si discrets que la liste
officielle vous a oubliés !
Plantes carnivores, plantes secrètes, qui aimez la solitude, nous
respecterons votre tranquillité. Vous ayant rencontrées, admirées,
nous ne divulguerons pas le mystère de votre retraite pour ne pas vous
exposer aux convoitises.
La protection légale ne peut devenir protection effective que si elle
s'appuie sur la volonté de tous ceux qui pensent que, dans la nature
aussi, on doit sauvegarder des "chefs-d'oeuvre en péril" .
(1) L'environnement végétal, par P. Lieutaghi (Delachaux-Niestlé édit.).
DIONÉE 2 - 1984
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