Plantes carnivores de nos régions

(Pierre SIBILLE)



Les Drosera ne sont pas les seules plantes carnivores à engluer leurs proies. Le même procédé de capture, bien que plus discret et même parfois mis en doute, se retrouve chez les Grassettes ou Pinguicula (Gesnel, XVIe siècle) Ce terme a pour base le mot latin pinguis (=gras) les feuilles de ces plantes étant grasses, visqueuses au toucher. Cette particularité leur a valu aussi les noms d'Herbe grasse, Herbe huileuse, Fettkraut, en allemand, Butterwot, en anglais et Erba da taglio en italien.

Les Pinguicula appartiennent à la famille des Lentibulariaceae, en compagnie des Utriculaires, dont il sera question dans un prochain article, et de trois autres genres de plantes carnivores, toutes exotiques celles-là (voir la classification dans le premier bulletin).

Les quelques cinquante espèces du genre Pinguicula sont réparties presque toutes dans l'hémisphère boréal. En France, on compte cinq espèces principales : Pinguicula vulgaris, Ping. grandiflora, Ping. alpina, Ping. lusitanica et Ping. corsica. Toutes ces grassettes forment des rosettes de feuilles ovales, oblongues ou parfois lancéolées. La face supérieure du limbe est densément recouverte de glandules qui sécrètent un mucilage gluant. Du centre de la rosette s'élancent de sveltes hampes florales portant chacune une fleur dont la silhouette peut rappeler celle de la violette.

La grassette qui a la distribution géographique la plus étendue est Pinguicula vulgaris L. Elle habite les régions montagneuses ainsi que les plaines du Centre et de l'Ouest de la France, dans les tourbières et lieux humides. André Martignon vante le charme de notre grassette dans un portrait finement ciselé : "Une corolle d'ardente améthyste filetée de blanc à la gorge. Sur le même coussinet de feuilles traîtresses, elles sont ainsi deux ou trois fleurs, portées chacune par le fil rosé de leur tige (...) Au bord du marécage, mais parfois aussi assez loin de l'eau, au plein du gazonné et du sable humide, la grassette incline ses fleurs délicieuses - cinq découpes violet ardent, naïvement éperonnées".

C'est la taille de la corolle et de l'éperon qui a permis essentiellement aux botanistes de distinguer dans cette espèce une variété, Ping. vulgaris var. Leptoceras (pétales plus larges et éperon plus court) et une sous-espèce que les flores actuelles présentent sous le nom de Pinguicula grandiflora, Lamark, comme espèce particulière.

Cette dernière plante, plus grande dans toutes ses parties, que la Grassette commune, n'usurpe pas son nom de Grassette à grandes fleurs : ses belles corolles pleines étalent leurs pétales réguliers d'un riche violet, marqués de blanc vers la gorge. Comme le note A. Slack ("Carnivorous plants") ces fleurs font penser à celles d'un Gloxinia en réduction. L'éperon est droit, dans le prolongement du tube de la corolle.

En France, cette plante est une montagnarde préférant les sols calcaires; dans les Iles Britanniques on la connaît sous le nom d'Irish butterwort car elle pousse en Irlande.

Les botanistes ont déterminé différentes variétés de Pinguicula grandiflora. Citons Ping. grandiflora var. pallida (=Ping. Reuteri), à fleurs d'un lilas-rose, violacées à la gorge, et Ping. grandiflora var. longifolia (=Ping. longifolia, Ramond). Cette pyrénéenne se caractérise par ses feuilles elliptiques-lancéolées souvent très allongées.

Une autre montagnarde que l'on peut rencontrer sur les rochers mouillés dans le Jura, les Alpes et les Pyrénées est Pinguicula alpina L. Plus petite que les précédentes, elle est la seule plante alpine du genre à avoir des fleurs blanches tachées de jaune ou de pourpre ; l'éperon est gros et court, plus ou moins recourbé. Des sous-espèces très localisées, ont des fleurs lilacées ou violettes. La Grassette de Corse (Ping. corsica, Bern et Gren) de même taille que Ping. alpina, a des fleurs un peu plus grandes, rosées ou d'un blanc jaunâtre, rarement violacées.

Si la plupart de nos grassettes préfèrent les sites montagneux, c'est dans les landes et les lieux tourbeux du Centre et surtout de l'Ouest de la France que l'on peut rencontrer la Grassette du Portugal, Pinguicula lusitanica L. Au centre d'une petite rosette de feuilles ovales ou oblongues, d'un vert jaunâtre, à bords roulés en dedans, s'élèvent sur des hampes très grêles, de minuscules fleurs d'un blanc un peu rosé.

Après cette présentation (trop) succincte des jolies plantes que sont les Grassettes, le prochain article sera consacré à leur biologie et aux conditions d'acclimatation.


DIONÉE 2 - 1984