A la découverte des Grassettes Espagnoles
(2ème Partie)



1ère partie
(Serge Lavayssière)
précédemment paru dans le bulletin nº31 de Dionée


SOMMAIRE

Introduction

Première Visite
Formation de la Sierra Nevada
Climat
Deuxième Visite : Pinguicula nevadensis

Hoz de Beteta : Pinguicula longifolia

Bibliographie
Adresse Utile






Arrivés à Grenade en début d'après-midi, notre premier désir fut une reconnaissance du site puisque nous n'avions aucune idée de ce qui nous attendait sur la Sierra. Pas difficile d'en trouver l'accès à partir de Grenade puisque les Espagnols sont très fiers de leur "carretera la màs alta de Europa", la route la plus élevée d'Europe, qui mène en une cinquantaine de kilomètres à 3370m d'altitude, pratiquement au sommet du Pico de Veleta. Nous n'en espérions pas plus puisque Pinguicula nevadensis est supposé pousser à de telles altitudes, autour du Pico de Veleta et du Mulhacen, deux sommets éloignés l'un de l'autre de quelques centaines de mètres.


PREMIERE VISITE

Dès la sortie de Grenade, l'ascension inexorable commence. Longue en voiture, elle ne semble pas décourager de nombreux cyclistes (syndrome Indurain !!!). Jusqu'au km 8, nous traversons la banlieue de Grenade (Lancha de Cenes, Cenes de la Vega...) puis nous quittons la zone urbaine. L'altitude est ici de 800m et la végétation comporte divers arbres typiques de la flore méditerranéenne (oliviers, orangers, figuiers, Opuntia ficus-indica) des arbustes (genévrier, Asparagus sp., aubépine), et des herbacées xérophytes (immortelles, sauges, lavande, romarin, thym, salsepareille). La dernière station service (à ne pas manquer) est au km 22 (altitude 1600m). Nous trouvons la première station de sports d'hiver (hotels, remontées mécaniques) au km 31, à une altitude de 2100m. Au dessus de 2500m, la végétation devient plus rare, constituée surtout de lichens et de quelques lithophytes en coussins (saxifrages) dispersés parmi les blocs de shiste. Par endroit cependant, en contrebas de la route, apparaissent dans les cuvettes quelques zones humides dont la verdure nous donne quelque espoir. Enfin, la route goudronnée s'arrête à une vingtaine de mètres du sommet du Pico de Veleta (3394m) venteux et froid en cette pleine après-midi d'août. Nous redescendons alors, persuadés que la quête sera aisée, les sites favorables aux grassettes nous semblant limités autant en nombre qu'en étendue.


Le lendemain, ayant quelques achats à effectuer en ville, nous en profitons pour rendre visite à une librairie spécialisée (Voir adresse en fin d'article) où nous faisons l'aquisition d'excellentes cartes au 1/25000 et consultons une flore qui montre une photo (pas très bonne) de Pinguicula nevadensis qui paraît tout à fait semblable à Pinguicula vulgaris, autant de par ses feuilles que par sa fleur aux nuances mauves. Comme nous le soupçonnions, son habitat est les "Borreguiles", ces pelouses humides d'altitude. Nous voilà donc fin prêts pour le lendemain.


Avant d'aller plus loin dans la découverte de cette plante, il est utile de donner quelques informations sur le milieu très particulier (fort endémisme) qui l'abrite.


FORMATION DE LA SIERRA NEVADA

L'émergence de la Sierra Nevada est datée d'il y a environ 20 millions d'années, et est consécutive à la rencontre des plaques tectoniques africaine et eurasiatique. La plaque africaine est soulevée par la pression (qui continue d'ailleurs de nos jours) ce qui explique que le versant nord de la Sierra soit beaucoup plus abrupt que le versant sud. Les roches constituant le massif sont des roches métamorphiques qui se sont formées il y a 250 millions d'années au fond de la mer "Tetris" à partir de sédiments siliceux et de restes animaux aujourd'hui transformés en graphite. Ceci explique la couleur gris sombre des schistes actuels. Nombreuses également sont les incrustations de matériaux plus récents (180 millions d'années) : marbre, granite, serpentine, amphibolite, gneiss, ces derniers étant d'origine volcanique. La glaciation d'il y a un million d'années, bien que n'ayant que très peu atteint la péninsule ibérique a eu une influence non négligeable à de telles altitudes, modifiant considérablement la faune et la flore originaire des savannes africaines. Ainsi les influences historiques à la fois africaines, nord-européennes et méditerrannéennes et l'isolement dû à l'altitude font de la Sierra Nevada un îlot à l'endémisme très prononcé.


CLIMAT

De par les influences océaniques (vents dominants d'ouest), méditerranéennes (50km au sud) et le dénivelé rapide et important, les conditions climatiques peuvent grandement varier d'un lieu à l'autre. Cependant, Pinguicula nevadensis étant limité au sommets les plus élevés de la région ouest du massif, nous nous limiterons aux conditions régnant au-dessus de 2500m :


Température annuelle moyenne: 6°C

Janvier : max 2°C
min -10°C
Août : max 14°C
min 0°C

Certains étangs sont parfois partiellement gelés jusqu'à fin juin.

Pluviosité pratiquement nulle en juillet-août

Averses orageuses en mai-juin et septembre-octobre.

Manteau neigeux d'octobre à mai (parfois juin)




Nous partons donc en début d'après-midi pour faire une première halte aux abords d'un petit torrent (altitude 2500m), dont l'humidité entretient une pelouse humide constellée d'une multitude de petites fleurs au ras du sol (Gentianes, campanules, renoncules) ainsi qu'une superbe endémique Plantago nivalis dont le nom espagnol (Estrella de las Nieves = Etoile des Neiges) donne une idée assez précise de son aspect. La rosette prostrée de 10cm de diamètre est constituée de feuilles triangulaires couvertes d'une toison blanchâtre.
Après une bonne heure de recherche, aucune trace de Pinguicula nevadensis, ainsi nous reprenons la voiture pour continuer un peu plus haut. Nous passons l'après-midi à explorer toutes les "borreguiles" en contrebas de la route, hélas sans succès. Nous ne regrettons pas bien sûr ces promenades qui nous ont donné l'occasion d'approcher à quelques dizaines de mètres quelques bouquetins, qui comme nous (pas pour les mêmes raisons) fréquentent ces quelques plaques de verdure. Un peu découragés, nous nous engageons sur une piste caillouteuse qui s'écarte de la route principale une centaine de mètres avant le sommet du Pico de Veleta, en direction du Mulhacen. Un arrêt près du refuge Felix Mendes (en bordure d'étangs dits "Lagunas de Rio Seco") ne nous montre rien de plus. Nous nous fixons comme dernière étape pour aujourd'hui la "Laguna de la Caldereta", quelques centaines de mètres plus loin, au pied du Mulhacen. Le site est assez fréquenté, plusieurs véhicules étant en stationnement au bord de la route, et quelques promeneurs faisant le tour de l'étang blotti au fond d'une sorte de cratère. N'apercevant pas de végétation en bordure de l'eau, (et les jambes un peu lourdes) nous décidons de renoncer pour aujourd'hui. Un dernier coup d'oeil sur la carte (par où commencerons-nous demain ?) nous fait découvrir une petite mare pas très loin (750m) au sud de la piste, et les courbes de niveau s'espaçant laissent deviner un lieu de faible déclivité. Nous dirigeons donc nos pas vers cet endroit, sachant bien qu'en raison de la baisse de luminosité nous n'aurons que peu de temps.

Heureusement, nous allons dans le sens de la descente, et juste derrière une arête rocheuse, nous apercevons une vaste étendue verte, exposée plein sud, à 2950m d'altitude, avec plusieurs petites mares entre lesquelles serpentent de minces filets d'eau. Quelques bouquetins en plein repas nous jettent un oeil distrait mais n'interrompent pas pour autant leur activité. Nous approchons d'un pas lent et retrouvons la même végétation typique que précédemment (dont toujours l'admirable "Estrella de las Nieves").
Nous sommes sur le point de faire demi-tour lorsque ma chaussure manque de se poser sur une petite rosette verte de 3cm de diamètre. Aucun doute, il s'agit bien d'une grassette qui ne peut être que Pinguicula nevadensis. C'est la première à se montrer, mais non la seule puisqu'en se rapprochant des points d'eau, le sol spongieux en est couvert. Les plus grosses ne dépassent pas 5cm de diamètre, et les feuilles, rosissant par endroit, ont les bord ondulés et relevés en cuvette.

De nombreuses tiges florales sont présentes, quelques fleurs fanées encore visibles, mais la plupart des capsules mûrissent leurs graines. En approchant de la maturité, les capsules ovoïdes et le haut des tiges prennent une teinte vineuse, presque noire lorsque les capsules sont sur le point de s'ouvrir. Nous en trouvons deux déjà ouvertes, le sommet fendu laissant une mince ouverture d'un millimètre de diamètre. Progressant plus à quatre pattes que debout de manière à mieux apprécier nos découvertes, nous avons le sentiment de rassurer les bouquetins qui finissent par nous entourer, les plus téméraires broutant à quelques mètres de nous. Hélas, la nuit tombe, il est temps de reprendre la route, la tête et l'appareil photo plein d'images inoubliables.






Nous restons encore une petite semaine à Grenade à faire un peu de tourisme, puis nous décidons à prendre la route du retour. Lors de notre passage chez Jean-Jacques Labat à l'aller, celui-ci nous avait suggéré de passer à quelques 130 kilomètres à l'est de Madrid, dans le massif "Serrania de Cuenca" où S.J. Casper signalait en 1966 la présence de Pinguicula vallisneriifolia, plus précisément au lieu nommé "Hoz de Beteta".


"HOZ DE BETETA"

Beteta est un village de montagne que nous abordons par le sud en longeant la gorge du Rio Guadiela. Rien à voir avec la Sierra Nevada puisqu'il s'agit ici d'un massif calcaire dont les falaises blanches surplombent la route et le lit du cours d'eau. Nous n'avons hélas aucune indication précise, ni carte, et à notre arrivée à Beteta, pas de trace d'un quelconque centre d'information ou de tourisme.
Nous revenons donc sur nos pas vers un terrain de camping que nous avons aperçu à l'aller, pas loin du village nommé Canizares. le lendemain, reprenant la route en direction de Beteta, nous décidons de nous arrêter sur une aire de pique-nique en bordure du Rio Guadiela, "Fuente de los Tilos". Un sentier escalade la falaise sur la rive gauche du Rio jusqu'à mi hauteur, puis longe la gorge. A une altitude d'environ 1200m, quelques grassettes s'accrochent à la paroi apparemment sèche, mais il ne s'agit pas de Pinguicula vallisneriifolia.
C'est une forme de Pinguicula longifolia comme en attestent les feuilles allongées aux bords enroulés vers le dessous, les rosettes ne dépassant pas 15cm de diamètre. En ce milieu d'après-midi, le soleil commence à tourner et, en raison de l'orientation Sud-Ouest / Nord-Est de la vallée, les plantes se retrouvent en plein soleil. Elles ne semblent pas gênées même si certaines plantules aux feuilles de quelques millimètres prennent une couleur rouge-brun.
Après quelques photos et récolte du peu de graines restant au fond de capsules ouvertes depuis longtemps, nous suivons le sentier, pour aboutir à un endroit un peu plus humide où les grassettes tapissent la paroi en rangs serrés. Lors du retour en voiture, notre oeil maintenant averti arrive à apercevoir quelques autres rosettes fixées à des hauteurs inaccessibles.






Les quelques graines rapportées ont (à l'exception de Pinguicula nevadensis pour laquelle je ne dispose pas d'emplacement suffisemment "alpin") bien germé, surtout celles de Pinguicula mundi (voir
article précédent dans Dionée n°30), j'espère donc, grâce aux conseils de Jean-Jacques et de Jürg Steiger en amener quelques-unes à la floraison. La présence de Pinguicula longifolia à des latitudes aussi basses ne manque pas d'intérêt, et on se croit autorisé à penser qu'il puisse s'agir d'une sous-espèce (variété, forme ?) nouvelle, s'étant différenciée de l'espèce type en raison de l'éloignement géographique. Les amateurs me pardonneront de ne pas faire bénéficier la Bourse de Graines de mes récoltes, mais j'espère bien que les graines envoyées à Jean-Jacques, à Stan Lampard (International Pinguicula Study Group) et à Jürg Steiger (Suisse) en permettront la maintenance en culture, l'identification précise et, je l'espère, la diffusion.


P.S.: J'ai longtemps hésité à indiquer les lieux exacts où j'ai trouvé ces plantes. J'espère vivement ne pas contribuer au pillage des sites, mais seulement à une meilleure connaissance de ces plantes. Rappelez-vous bien qu'une plante née et développé en milieu naturel n'a que très peu de chances de survivre longtemps à un prélèvement. Lors d'une pollinisation, les graines sont produites avec chacune un patrimoine génétique légèrement différent. Seules germent et survivent les mieux adaptées au milieu, une grande partie des graines produites étant vouées à disparaitre. Les plantes que vous découvrez dans la nature sont les mieux adaptées au milieu, laissez-les où elles sont bien. Il n'y a pas grand préjudice à ramasser quelques graines (attention tout de même à la législation, en particulier pour les plantes inscrites à l'annexe I du CITES) d'autant plus que la sélection se produira en culture, ne germeront que les plantes les mieux adaptées aux conditions que vous leur offrez, celles qui pourront vous donner le plus de satisfactions.



BIBLIOGRAPHIE:

ASENJO (C.) & GONZALES (C.)
Guia Criscar de Sierra Nevada, fascicule édité à compte d'auteur, vendu dans les campings et librairie ci-dessous.
CASPER (S. JOST)
Monographie der Gattung Pinguicula, Bibliotheca Botanica, vol. 127-128, Stuttgart, 1966
STEIGER (J.)
The Pinguicula Species of the Temperate Growth Type and their Cultivation, Carnivorous Plant Newsletter, Vol. IV, N°1, Mars 1975.



ADRESSE UTILE:

  • CARTOGRAFICA DEL SUR & LIBRERIA, C/Valle Inclan, 2, 18003 GRANADA