A la découverte des Plantes Carnivores Vosgiennes
(Serge Lavayssière)
précédemment paru dans le bulletin nº25 de Dionée
SOMMAIRE
QU'EST-CE QU'UNE TOURBIERE ?
HISTORIQUE
VISITE DE QUELQUES SITES
- Le lac de Lispach
- L'Etang de Machais
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Si nombre d'entre nous rêvent d'Australie, de Bornéo, d'Afrique du Sud,
de tepuis, il ne faut pas oublier qu'en France aussi, se trouvent de vrais
paradis pour les plantes carnivores. N'ayant pu cet été me consacrer à de
longues randonnées, j'ai tout de même effectué une visite éclair dans les
tourbières des Vosges.
QU'EST-CE QU'UNE TOURBIERE ?
Dans les endroits où l'eau stagne, dans certaines conditions, les débris
végétaux peuvent s'accumuler et donner naissance à la tourbe. Ceci n'est
bien sûr possible que si la production végétale et plus rapide que la
décomposition naturelle. L'activité bactérienne responsable de la
décomposition et du recyclage des matières doit être freinée par
plusieurs facteurs. L'acidité du milieu ainsi que des températures
fraîches sont indispensables à l'apparition d'une tourbière. Une
tourbière n'est pas éternelle : elle évolue au long au fil des ans
(des siècles et mêmes des millénaires) avant de finalement se combler
et laisser place à une prairie de moins en moins humide.
Dans un premier temps, la tourbière apparait en bordure d'une étendue
d'eau. Les sphaignes tapissent les rives et lentement gagnent sur l'étang.
Il se forme souvent à ce moment un "radeau flottant" qui finira par
recouvrir complètement l'étang. A ce stade, les dépressions restent
encore très humides, mais l'épaisseur de tourbe est telle que bruyères,
saules, bouleaux commencent à s'établir. Enfin, les sphaignes continuant
à se développer, le sol se bombe au dessus de l'ancien niveau de l'eau,
la tourbière devient de plus en plus sèche et se transforme en lande où
les sphaignes laissent la place à une végétation herbacée (Carex).
HISTORIQUE
L'émersion du massif vosgien date du début de l'ère tertiaire (-60 000 000
d'années). Le plissement alpin provoqua l'effondrement de la partie médiane
du massif il y a environ 25 000 000 d'années. Ainsi se sont séparés à cette
époque les Vosges et la Forêt Noire allemande, alors que la plaine d'Alsace
fut envahie par la mer. Il y a 2 000 000 d'années, commença l'ère
quaternaire avec ses alternances de climat glaciaire et de périodes plus
chaudes. La plupart des tourbières de montagne sont une conséquence du
modelé du relief dû aux glaciers. A l'issue de la dernière glaciation
(environ 500 000 ans), de nombreuses cuvettes glaciaires ont donné
naissance à des lacs et parfois à des tourbières évoluant plus ou moins
rapidement. On peut encore y trouver quelques specimens de flore arctique
réfugiée en altitude où elle trouve encore un climat suffisamment frais
pour survivre.
Le plus nordique de nos massifs, laisse espérer nombre de tourbières
encore en pleine évolution, et est donc plein de promesses à cet égard.
VISITE DE QUELQUES SITES
Ainsi en août 1991, muni d'un guide de randonnées et des cartes IGN
couvrant la région du Col du Bonhomme au Col de la Schlucht, je décidai
d'effectuer une visite de quelques jours aux tourbières vosgiennes.
- Le lac de Lispach
A 5 km au sud-est de Gerardmer, long de 600m sur 300 de large, le Lac de
Lispach a sa moitié nord entièrement recouverte d'une tourbière flottante.
Dangereuse, elle n'est que longée par les promeneurs, mais quelques
pêcheurs s'y aventurent. Curieusement, ce "radeau flottant" ne touche
pas la rive de l'étang mais dérive à quelques mètres de la berge, une
poutre en permettant l'accès.
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Dès les premiers pas, la consistance du sol
est surprenante. Spongieux, le tapis de mousse donne l'impression de se
tendre sous les pas. Si l'on reste quelques minutes au même endroit, le
temps par exemple de prendre une photo, le niveau de l'eau monte lentement
autour des chaussures. Il s'agit donc de prendre garde à l'endroit où on
pose ses pieds, la stabilité et la résistance du radeau n'étant pas partout
identique.
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Après quelques pas prudents, il est facile de reconnaitre à
coup sûr les endroits suffisamment résistants pour supporter le poids du
promeneur. Dans les dépressions, la couleur vert tendre des sphaignes
incite à la plus grande prudence. Sur les hauteurs, la mousse est plus
sèche et prend souvent une teinte rougeâtre.
Le sphagnum omniprésent,
élément essentiel constituant le sol, est consolidé par les racines de
quelques végétaux supérieurs: Carex, linaigrettes, trèfle d'eau (Menyanthes
trifoliata) malheureusement pas en fleur en août...
Mais les plantes les
plus visibles et les plus abondantes sur cette tourbière sont sans nul
doute les Droseras. Drosera rotundifolia est de loin le plus abondant,
tapissant complètement le sol, mais on trouve également quelques Drosera
longifolia ainsi que leur superbe hybride Drosera X obovata. Superbe par
sa robustesse bien supérieure à celle de ces parents, impressionnant par
la taille de certaines touffes, cet hybride ressemble à s'y méprendre à
notre troisième espèce autochtone Drosera intermedia.
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Drosera anglica
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Drosera X obovata
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Seule l'observation
attentive permet de reconnaitre à coup sûr l'hybride: d'abord le pétiole
est légèrement poilu, héritage de Drosera longifolia, alors que celui de
Drosera intermedia est rigoureusement glabre. Ensuite et surtout, la hampe
florale pousse
verticalement du centre de la rosette au lieu de partir d'abord
horizontalement chez Drosera intermedia.
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Couvrant le sol par millions
d'exemplaires, ces Droseras offrent à chaque pas de stupéfiantes scènes
de captures. Ainsi, j'ai pu trouver, sur une grosse touffe de Drosera X
obovata, une dizaine de petites libellules bleues (Ischnura elegans ?)
emprisonnées, plusieurs feuilles assurant souvent la prise de chaque
insecte. Pourquoi tous ces insectes se sont-ils donnés rendez-vous sur
ces quelques décimètres carrés de plantes, cela restera un mystère. En
m'approchant prudemment du bord du radeau flottant, j'ai pu apercevoir
quelques Utriculaires flottant à la surface du lac, mais les fleurs étaient
trop éloignées pour que je puisse déterminer s'il s'agissait d'Utricularia
vulgaris ou d'Utricularia australis (= U. neglecta).
- L'Etang de Machais
Autre site botaniquement passionnant, l'Etang de Machais est lui presque
entièrement recouvert par une tourbière.

Drosera rotundifolia
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Tout aussi dangereux que celui du
Lac de Lispach, ce radeau flottant n'abrite que Drosera rotundifolia. Ceci
ne signifie pas que la flore en ce lieu soit moins intéressante. La
colonisation de l'étang est plus importante qu'à Lispach et l'évolution
de la tourbière plus avancée.
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Drosera rotundifolia
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On peut d'ailleurs y retrouver en cercles
concentriques les différentes étapes de la vie de la tourbière, l'extérieur
étant déjà colonisé par une végétation arbustive.
On retrouve ici bien sûr
le sphagnum prépondérant, Menyanthes trifoliata, des linaigrettes, la
rarissime scheuzérie des marais (Scheuchzeria palustris) mais aussi de
nombreuses orchidées dont Dactylorhiza (ou Orchis) déjà en fruit hélas,
et le minuscule Malaxis des marais (Hammarbya paludosa) difficilement
visible au milieu des sphaignes en raison de sa petite taille et de sa
couleur verte. Bien qu'elle soit signalée ici, je n'ai pas eu la joie de
trouver la listère en coeur (Listera cordata) qui trouve à Machais l'un
de ses derniers refuges en France. Au centre de la tourbière, il ne reste
qu'une petite partie du lac originel. A la surface de l'eau, entre les
îlots de tourbe flottante détachés du bord par les avalanches hivernales,
flottent encores quelques Utriculaires ainsi qu'une relique glaciaire, le
nénuphar nain, identique en tous points à l'espèce type si ce n'est la
taille, les feuilles ne dépassant pas la taille de la main.
CONCLUSION
Je n'ai pas dévoilé de grand secret en écrivant cet article puisque j'ai
moi-même trouvé ces sites dans un guide de randonnées du commerce. Toute
cette flore est intégralement protégée. Si nous voulons encore longtemps
pouvoir profiter de ces sites exceptionnels sachons les respecter, j'espère
n'inciter personne au saccage de ces tourbières. Ces plantes si belles dans
leur biotope s'adaptent mal aux conditions de culture qu'on peut leur
offrir. Certains producteurs bien connus proposent des souches qui
supporteront bien mieux la culture que des spécimens nés en montagne.
BIBLIOGRAPHIE
- Les Hautes-Vosges, Randonnées, Découvertes
- J.-P. BOUDOT, Editions S.A.E.P.
Ingersheim, Colmar, 1980
- Les Plantes Carnivores de France
- M. BAFFRAY, F. BRICE, Ph. DANTON, Editions
Séquences, 16140 Aigre, 1985
- Guide des fleurs sauvages
- D. & R. AICHELE, H. WERNER, A. SCHWEGLER, Hatier,
Editions S.A. Fribourg (Suisse), 1984
- Guide des orchidées d'Europe, d'Afrique du Nord et du Proche-Orient
- J.G. WILLIAMS, A.E. WILLIAMS, N. ARLOTT, Delachaux & Niestlé
Neuchâtel, Paris, 1988